Rescapés du 7 octobre, les plants de cacao israéliens pourraient permettre d’éviter une pénurie mondiale.

Développés par Ellen Graber, les semis « super-résistants » ont survécu 3 mois et demi sans eau ni engrais, preuve d’une grande résilience

 

Ellen Graber pose avec l'un de ses plants de cacao au Centre Volcani, dans le centre d'Israël. (Avec l'aimable autorisation d'Ellen Graber)

Ellen Graber pose avec l’un de ses plants de cacao au Centre Volcani, dans le centre d’Israël. (Avec l’aimable autorisation d’Ellen Graber)

Une scientifique israélienne travaille à la mise au point de plants de cacao « super-résistants » qui pourraient bien aider les producteurs de ce qui est l’ingrédient principal du chocolat à résister aux effets délétères des événements climatiques extrêmes et des dommages qu’ils infligent aux cultures et calmer les prix observés de par le monde en ce moment.

Experte en chimie des sols, Ellen Graber aime le chocolat, ce qui l’a conduite à s’intéresser à la culture du cacao, explique-t-elle au Times of Israël, en précisant que les phytologues israéliens savent particulièrement bien gérer les nuisibles et autres agents pathogènes, sans parler des contraintes liées à l’eau, aux sols et enfin au climat. Ils ne sont peut-être pas très familiers des cacaoyers, mais ils cultivent déjà avec succès d’autres plantes tropicales, comme les manguiers, bananiers et avocatiers.

« Je suis convaincue que nous avons des choses à faire valoir », affirme-t-elle.

Graber espère que les coupes budgétaires publiques ne vont pas affecter le projet Cocoa Cure Center.

Ce mois-ci, après avoir mis en garde contre le risque de paralysie de ses activités en raison des sévères coupes budgétaires annoncées, le Centre Volcani a appris que son budget 2024 serait réduit de 68 millions de shekels, soit 21 %.

Lundi, le ministère de l’Agriculture a débloqué une enveloppe de 20 millions de shekels pour apporter ce qu’une source proche du Centre a qualifié de « bouffée d’oxygène ».

Le personnel, contraint de revoir ses priorités et de s’en tenir aux urgences de base, rappelle que cela ne règle en rien la question. Des négociations sont en cours pour obtenir davantage de fonds.

Des cabosses de cacao dans les serres d’Ellen Graber au Volcani Center, dans le centre d’Israël. (Avec l’aimable autorisation d’Ellen Graber)

Le changement climatique, exacerbé en ce moment par le phénomène d’El Niño, a entraîné de fortes pluies et des inondations qui ont fait le lit de maladies fongiques qui se sont attaquées aux plants et affectent les récoltes – effectuées d’octobre à mars – qui touchent à leur fin en Afrique de l’Ouest, producteur des trois quarts des fèves de cacao dans le monde.

Les agriculteurs ivoiriens, pour ne parler que d’eux, ont exporté des volumes réduits de 29 % cette année par rapport à la même période, l’an dernier. La nouvelle saison, qui commence en avril, devrait donner des rendements inférieurs de 33 %.

Graber explique que les fortes pluies ont fait la place à un temps exceptionnellement chaud et sec qui exerce un stress supplémentaire sur les petits arbres à feuilles persistantes qui ont survécu.

Le prix de la tonne sèche de cacao, qui s’élevait à 2 500 dollars en moyenne jusqu’à ces dernières années, est aujourd’hui de 10 000 dollars, un record absolu, ajoute-t-elle.

Mais le changement climatique avait déjà un impact sur la culture du cacao avant El Niño, poursuit-elle, ce qui a contribué au transfert des principales plantations de l’industrie des tropiques américains, d’où le cacaoyer est originaire, vers l’Afrique de l’Ouest.

« Le changement climatique est le grand ennemi de la culture du cacao », affirme Graber. « Soit il y a trop d’humidité, soit le temps est trop sec ou trop chaud. En outre, les sols sont peu fertiles. Les agriculteurs sont très pauvres. Ils n’ont pas les moyens d’acheter des produits utiles. On est à la limite de la viabilité et ce, depuis un certain temps. »

Amatrice de chocolat

C’est il y a six ans, à la lecture d’articles de presse sur les problèmes auxquels l’industrie est confrontée que Graber a décidé d’agir.

« J’adorais déjà le chocolat à l’époque », confie-t-elle, « alors j’ai commencé à me documenter sur ce qui se passait, les problèmes de cette culture. Plus j’apprenais et comprenais des choses, plus je me disais qu’on avait quelque chose à en faire, à Volcani, parce que ces problèmes ne sont pas insurmontables. »

« Nous savons comment faire pousser des choses dans des conditions climatiques difficiles. »

Son premier projet – faire venir des clones de plantes du Centre international de quarantaine du cacao au Royaume-Uni – est sabordé par la pandémie de COVID-19. Les boutures, qui auraient dû être acheminées par avion dans la journée, sont clouées au sol au départ, faute de vols internationaux.

Mais le centre lui envoie par la poste des graines de 18 variétés de cacaoyers dont les fleurs ont été pollinisées naturellement. L’origine de ces graines n’est pas connue.

Quelques plants de cacao d’Ellen Graber participent à une expérience nutritionnelle dans une serre du centre d’Israël. (Avec l’aimable autorisation d’Ellen Graber)

Avec ces graines, Graber cultive une première génération de plantes dans ses serres, dont les graines permettent d’engendrer une deuxième génération.

Le 4 octobre 2023, elle avait envoyé 140 plants – sur les 300 prévus -, âgés d’environ cinq mois, à une station de recherche et développement située à quelques kilomètres de la frontière de Gaza, dans le sud d’Israël. Trois jours plus tard, le 7 octobre, des milliers de terroristes du Hamas envahissaient les communautés frontalières, massacrant 1 200 personnes et en kidnappant 253 autres.

La zone dans laquelle se trouve le centre de R&D fait désormais partie d’une zone militaire d’exclusion.

Des plantes « super-résistantes » aux privations de la guerre

Le personnel du centre de recherche n’a même pas eu le temps de rempoter les plants, laissés dans leurs pots de trois litres.

« Il n’y avait pas d’électricité et les plantes n’ont eu ni engrais ni eau jusqu’à la mi-janvier », rappelle Graber. « Il a plu un peu, mais pas beaucoup et pas régulièrement. Ils se trouvaient dans un complexe grillagé déserté. Nous nous attendions à retrouver 140 plants de cacao morts. »

Mais lorsque la scientifique Talli Ilani est revenue, elle a découvert que 20 plants avaient survécu et avaient même fait de nouvelles feuilles.

« La plupart des rescapés sont issus de l’une des cinq ou six variétés que j’avais envoyées. C’est le signe que cette variété a d’incroyables facultés de survie dans des conditions de sécheresse sévères. »

Après leur découverte en janvier, les plantes rescapées ont connu des températures nocturnes assez basses – 4 degrés Celsius -, ce qui est très inhabituel pour la région. Et pourtant, elles s’en sont sorties.

« Sans aide, elles ont survécu. Je les ai ramenées à Volcani, rempotées et elles ont survécu. » Elle ajoute : « Je les appelle mes super-héroïnes. »

L’un des plants de cacao « super-résistants » d’Ellen Graber au Volcani Center, dans le centre d’Israël, qui ont survécu une longue période sans eau ni engrais. (Avec l’aimable autorisation d’Ellen Graber)

Originaire de New York, Graber estime qu’en dépit du vif intérêt des agriculteurs israéliens, le pays est trop petit pour devenir une superpuissance du chocolat. Mais il pourrait bien devenir un très grand fournisseur de plants de cacaoyers et un centre mondial de savoir-faire en matière de culture.

« C’est, pour moi, le début de quelque chose, et pas seulement d’une nouvelle culture en Israël. On pourrait contribuer à peupler les régions productrices de cacao, dans le monde, avec des plantes capables de résister aux problèmes qui sont désormais les nôtres », affirme Graber.

Elle précise ne pas avoir procédé à des modifications génétiques, se contentant de faire des croisements et de suivre le comportement des plantes. Les étapes suivantes passent par l’analyse des profils génétiques des plantes super-résistantes, l’identification des insectes qui les pollinisées – un mystère encore en Afrique – et le test de résistance des plantes aux agents pathogènes fongiques.

« Il y a encore beaucoup de choses à faire avant de mettre au point des plants susceptibles d’être vendus », conclut-elle. « Mais c’est un travail absolument nécessaire. »

 

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