Diplomatie française : une certaine idée de l’impuissance.

Le constat établi par des grands diplomates français est celui d’un paysage de décombres et de ruines

Michaël Darmon
Editorialiste i24NEWS.

Qui dira l’agacement du journaliste obligé d’endurer les éléments de langage des responsables politiques de la majorité sur l’influence française à l’étranger, se raccrochant à eux comme autant de planches de salut en contreplaqué débitées par les fournisseurs du quai d’Orsay ?

Aussi, lorsque l’occasion se présente d’entendre un discours honnête et sans détours par des pontes de la diplomatie, réunis dans un cadre de confidentialité, il faut imaginer le bienfait de cette bouffée d’oxygène.

Les premiers pas du novice ministre des Affaires Étrangères Stéphane Séjourné sont observés avec intérêt et crainte. Entre admonestation et avertissement adressés à Israël – qu’il s’agisse des implantations autour de Jérusalem ou de l’offensive israélienne à Rafah – les déclarations ministérielles ne surprennent pas :

« Après sa tournée au Proche-Orient, je comprends que le ministre des affaires étrangères se situe dans les codes classiques de la politique étrangère », explique un ponte de la diplomatie française. Traduire : « Le portefeuille est dans la poche du député européen depuis moins d’un mois, il ne peut rien dire de neuf ». À ce stade, le Quai d’Orsay est en état d’auto-gestion par les fonctionnaires, et attendre une empreinte politique au niveau ministériel relève de la chimère.

Ceci posé, il est possible d’aborder les questions de fond, alors que la présidence Macron entre dans sa dernière phase.

Le constat établi par des diplomates français est celui d’un paysage de décombres et de ruines : La France, maladroite, a été chassée du Sahel et s’apprête à quitter l’Afrique de l’Ouest, poussée par des états adossés à la Russie, portés par une jeune génération anti-française. D’ailleurs, il serait avisé pour la France de quitter ces pays avant d’y être poussée. « C’est douloureux pour nous et douloureux pour l’Afrique », fustige en petit comité l’ancien président de la République François Hollande.

Les relations avec les pays du Maghreb sont ralenties ou au point mort. « Le fait qu’il ait fallu plus de six mois à L’Élysée pour trouver un nouveau conseiller Afrique de la cellule diplomatique en dit long sur la dégradation de notre influence », résume une source, experte des mécanismes les plus délicats régissant la diplomatie française. Le Liban s’enfonce dans les marécages de la faillite et du clanisme, sans que Paris n’y puisse quoi ce soit.

Quant au Proche-Orient, « la descente aux enfers » de l’exécutif, décrite ainsi peu après le 7 octobre par un témoin en première ligne des hésitations et changements de pied successifs de la diplomatie française, est quelque peu stoppée. La situation reste pourtant peu reluisante. « Notre capacité reste limitée. On aurait pu faire autrement. Il était important que le Président de la République se rende tout de suite en Israël, ce qu’il n’a pas fait, tout en envoyant simultanément des messagers dans le monde arabe. »

Depuis le 7 octobre 2023, il est désormais patent que la France, corsetée dans les analyses d’un autre âge, ne perçoit pas les mutations cristallisées par le pogrom du Hamas, en particulier l’islamisation de la question palestinienne. Au-delà de cette région, l’irruption de la religion dans les conflits est une donnée que l’on observe dans plusieurs endroits du monde, notamment en Ukraine et en Inde.

La diplomatie française est en crise, elle n’est plus opérante. Les plus chevronnés du quai d’Orsay se font lanceurs d’alerte. « Nous nous coupons du monde. La Chine, malgré le chemin de raison emprunté depuis 2017 par le président Macron, considère que la France seule ne compte plus. Nous n’avons plus les moyens de négocier en bilatéral. Nous devons être en partenariat, sinon nous ne sommes pas entendus », analyse un ténor des Affaires étrangères. Et de poursuivre : « Nous sommes un pays qui se paye de mots. Sur la sécurité en Afrique, nos faiblesses sont étalées au grand jour. Nous avons perdu nos positions de force. »

Comment redorer le blason de la France, puissance nucléaire vieillissante et membre du Conseil de Sécurité de l’ONU ? Au sein de la communauté diplomatique, certains plaident pour un changement de logiciel afin de poser sur le monde un regard neuf. « ll faut arrêter les schémas surannés, nous libérer du réflexe qui consiste à donner le primat à l’analyse américaine. Résultat : nous avons perdus notre liberté intellectuelle ».

Dans le nouveau monde qui émerge, des modes de fonctionnement inédits donnent des indications sur les cartes géopolitiques en train de se dessiner. Le statut de l’Arabie saoudite, le nouveau hub international, retient l’attention de plusieurs diplomates. Ryad incarne le multi-alignement, la nouvelle gouvernance mondiale qui valide ses alliances parfois contradictoires pourvu qu’elles servent ses intérêts nationaux. Ainsi, Ryad parle à la fois avec Pékin, Moscou, Téhéran, Washington, Le Caire et Jérusalem. En 2030, l’Exposition Universelle se tiendra en Arabie Saoudite, son dirigeant Mohamed Ben Salmane poursuit un objectif : le consensus. Il n’a aucunement intérêt à entretenir des tensions et jouera un rôle majeur dans l’émergence de solutions pour l’après Hamas à Gaza.

La critique des sages de la diplomatie française n’épargne pas le fonctionnement du ministère des Affaires étrangères, incité à s’inspirer du modèle allemand. Berlin envoie ses jeunes diplomates se former dans les pays du Sud global, en Inde, au Mexique, en Amérique du Sud, où ils se frottent aux évolutions des opinions non occidentales, tandis que Paris projette ses jeunes pousses à Londres ou à Washington, pour des rencontres en terrain connu: « Résultat, nous ne savons plus ce que les autres pensent », conclut un ponte.

Peu diplomates en privé, ces barons flingueurs de la diplomatie estampillent le macronisme diplomatique comme un tâtonnement, vrillé par des fulgurances présidentielles sans lendemain. »

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