Le monde des grandes entreprises est-il sur le point de basculer vers l’Orient ? En grossissant un peu le trait, c’est ce qui ressort de notre analyse sur la base du Forbes Global 2 000, un classement annuel des 2000 plus grandes sociétés par actions, publié par le magazine américain Forbes. Le classement est fondé sur quatre critères : les revenus, le résultat d’exploitation, l’actif comptable et la valeur boursière.
En 2006, le continent américain domine le marché mondial et place 803 de ses entreprises dans le top 2000, soit un peu plus de 4 sur 10. Sans surprise, les Etats-Unis écrasent ce classement avec 659 représentants soit plus de 82% de l’ensemble. Un ensemble complété par le Canada, les pays d’Amérique centrale et du Sud, et enfin par les deux paradis fiscaux des Bermudes et des Iles Cayman, géographiquement rattachés au continent nord-américain mais sous contrôle britannique.
De son côté, l’Asie pointe déjà en deuxième position, grâce à la puissance de feu des entreprises japonaises mais aussi à la percée de la Chine. La Corée du Sud complète le trio de tête asiatique. L’Europe est, elle, reléguée en 3ème position, avec comme tête de proue le Royaume Uni, suivi de la France qui devance l’Allemagne. Quant à l’Afrique et le Moyen Orient, ils sont très loin avec seulement 56 sociétés, dont plus de la moitié est issue de trois pays : l’Afrique du Sud, Israël et l’Arabie Saoudite.
L’incroyable bond en avant chinois.
Dix ans et le passage de la plus grande récession depuis la seconde guerre mondiale plus tard, les cartes ont été redistribuées : l’Asie passe en tête, plaçant 181 entreprises supplémentaires dans le classement pour un total de 773 sociétés. Cette poussée s’est faite en partie au détriment de l’Amérique et de l’Europe. De son côté, l’Afrique et le Moyen-Orient placent 17 entreprises de plus dans le classement pour un total de 73 sociétés.
Cette vision par continent masque néanmoins une autre évolution : celle de la montée en puissance des pays émergents, principalement asiatiques. Au sein même du continent asiatique, la table a été renversée : en 2006, le Japon était le leader régional, très loin devant la Chine et la Corée du Sud. Dix ans après, c’est la Chine qui domine. Et d’autres pays comme l’Inde, l’Indonésie, Taiwan, le Vietnam placent de plus en plus de champions dans le classement mondial. C’est le reflet de la montée en puissance de ces économies : ensemble, elles ne pesaient pas plus de 10% du PIB mondial en 2006, contre près du quart aujourd’hui.
La spécialisation américaine, la chute de la vieille Europe.
Avec le Japon, les Etats-Unis et les principales économies européennes ont cédé du terrain : le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne ont été particulièrement affectés, la France et l’Allemagne à un degré moindre. Deux pays sont à contre-courant, l’Irlande et la Suisse : une montée qui s’est faite au moment où les Bermudes et les Iles Cayman disparaissaient du top du classement.
Mais cela serait une erreur de croire qu’Etats-Unis et pays européens sont logés à la même enseigne. En centrant maintenant l’analyse sur les 100 premières entreprises, c’est-à-dire là où se concentre l’essentiel du pouvoir économique, les Etats-Unis sont parvenus à renforcer leur position en plaçant 7 entreprises supplémentaires, quand l’Europe en a perdu 26. Une fois de plus, la percée de la Chine est remarquable.
A cet effet volume s’ajoute celui de la spécialisation sectorielle. L’Europe dispose de champions dans l’automobile, l’aéronautique, la chimie, la construction… autant de secteurs traditionnels de la vieille économie où les entreprises sont depuis longtemps internationalisées. Mais rien, ou presque, dans les nouvelles technologies. Dans l’internet, par exemple, les grandes entreprises sont américaines (Google, Amazon, Facebook, Apple) ou chinoises (Alibaba), mais pas européennes. Idem dans les équipements pour les énergies renouvelables (cellules solaires, batteries électriques), où les plus grands producteurs sont asiatiques.
Le constat est simple : les émergents asiatiques ont fait une percée, les Etats-Unis concentrent leurs forces, et l’Europe, elle, s’effondre.
ALEXANDRE MIRLICOURTOIS.
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