Le Crif : Le Parlement européen, instance démocratique de toute l’Union européenne, a récemment adopté à une très large majorité une résolution qui conditionne l’objectif d’un cessez-le-feu à Gaza à la libération de tous les otages et au « démantèlement » du Hamas. Quelle signification et importance donnez-vous à cette résolution ?
Alona Fisher-Kamm : Effectivement, cette résolution a été adoptée par une large majorité pour conditionner un cessez-le-feu, afin d’atteindre les deux objectifs pour mettre fin à cette guerre. C’est une guerre qui nous a été imposée avec une violence extrême, imposée à nous les Israéliens. Dès le début, nous avons fixé deux objectifs : la libération de tous les otages et le démantèlement du dispositif militaire du Hamas.
Cette résolution montre le soutien de la vaste majorité des pays européens et de leurs citoyens sur ces questions. Cette vaste majorité reconnaît le droit, et même le devoir, d’Israël à se défendre. C’est une résolution très importante.
Le cessez-le-feu, bien sûr cela peut paraître positif en théorie : qui ne veut pas voir un cessez-le-feu ? Mais pour rappel, jusqu’au 7 octobre, 6 heures 30, nous étions dans une période de cessez-le-feu. Ce matin-là, le cessez-le-feu a été violé par les massacres du Hamas le 7 octobre. Ce n’est pas la première fois que le Hamas a rompu un cessez-le-feu : depuis 2005 et la décision unilatérale d’Israël de se retirer de la bande de Gaza, aucun soldat, ni civil israélien, n’était présent à Gaza, durant cette période, au moins cinq lourdes attaques ont été menées par le Hamas contre Israël. Il n’est donc plus envisageable de continuer à subir ces attaques incessantes menées par ce mouvement terroriste avec un cycle de violences répétées et de plus en plus intense.
« Ce qui se déroule n’est pas une riposte d’Israël,mais une action pour empêcher le prochain 7 octobre »
C’est le moment de changer les réalités sécuritaires au Sud d’Israël afin d’empêcher toute nouvelle opération guerrière contre Israël à partir de cette zone située de l’autre côté de la frontière.
Nous avons la possibilité, et nous sommes en train de le démontrer, que nous pouvons changer la réalité sécuritaire dans cette région. Si on arrêtait nos opérations maintenant, on donnerait évidemment la possibilité au Hamas de recommencer et on aura alors un autre 7 octobre. Nous avons 100 000 habitants qui ont dû être évacués du sud d’Israël, qui ne peuvent pas rentrer chez eux tant que le Hamas est au pouvoir à Gaza. Le Hamas d’ailleurs l’annonce officiellement : leur objectif est de détruire Israël. Ce qui se déroule depuis presque quatre mois maintenant, ce n’est pas une riposte d’Israël, mais une action pour empêcher le prochain 7 octobre et assurer la survie de l’État d’Israël et de l’ensemble des Israéliens.
Le Crif : Un leader du Hamas à l’étranger vient d’ailleurs de le redire, il déclare ouvertement que le 7 octobre n’est à ses yeux qu’une étape…
Alona Fisher-Kamm : Oui, le Hamas a déclaré que le 7 octobre n’a été qu’une étape afin de détruire l’État d’Israël, vous comprenez donc que c’est quelque chose qu’Israël, ses citoyens, comme la communauté internationale d’ailleurs, ne peut et ne pourra pas accepter. On l’a vu avec la première trêve début décembre 2023 : sans la pression militaire, les otages n’auraient jamais été libérés. Avec un cessez-le-feu sans conditions, qui pourra nous garantir que les otages seront libérés ? Personne bien sûr.
Le Crif : Est-ce que cette résolution du Parlement européen signifie, à vos yeux, que certains dirigeants d’États européens (dont la France) comprennent davantage que conditionner un cessez-le-feu à la libération des otages et au démantèlement du Hamas est nécessaire ?
Alona Fisher-Kamm : Je l’espère bien, oui, j’espère que de plus en plus de pays européens comprendront qu’il faut mettre des conditions à cet objectif de cessez-le-feu. D’autant qu’il y a depuis des semaines et des mois maintenant une amélioration de l’acheminement à Gaza de l’aide humanitaire. Chaque jour, il y a une pause des opérations militaires permettant l’entrée et la circulation à Gaza des camions humanitaires, de plus en plus nombreux, apportant de l’aide à la population. Bien sûr qu’Israël, non seulement permet l’entrée de cette aide humanitaire mais contribue activement à l’organiser et à l’amplifier sur-place, ceci par d’autres passages que celui de Rafah pour pouvoir accélérer le rythme de ces acheminements d’eau, de nourritures, de carburants, de couvertures, de médicaments… Israël a aussi permis l’entrée de 400 000 vaccins destinés aux enfants pour empêcher les épidémies. Il existe des « safe zones » pour épargner la population et éviter bien sûr une très grave crise humanitaire, de type famine ou épidémie. Pour l’instant, le Hamas a refusé une proposition d’Israël d’une trêve humanitaire de deux mois, s’il n’a pas un intérêt à une trêve humanitaire, pour quoi exiger un cessez-le-feu ?
Dans la discussion avec le Ministre des Armées Sébastien Lecornu, « il y a l’intérêt des deux pays, Israël et la France, d’éviter une escalade au nord d’Israël avec le Hezbollah »
Le Crif : La récente visite du Ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, la deuxième en quelques semaines, indique-t-elle qu’un rapprochement entre la France et Israël s’opère par exemple sur la conditionnalité du cessez-le-feu souhaité par la France ou sur d’autres sujets ?
Alona Fisher-Kamm : Il y a beaucoup de sujets que le Ministre français Sébastien Lecornu a évoqué en Israël. Il y a bien sûr l’intérêt des deux pays, Israël et la France, d’éviter une escalade au nord d’Israël avec le Hezbollah et le risque d’un embrasement régional. Même si Israël a bien indiqué, à plusieurs reprises, que nous sommes prêts à faire face à tous les scénarios. Des échanges avec le Ministre français, nous comprenons que la France est particulièrement concernée, et inquiète, par la situation au nord d’Israël, c’est un sujet qui a été évoqué.
L’évolution de la situation au sud d’Israël a également été évoquée. D’un point de vue militaire mais aussi concernant l’aide humanitaire, la France étant très active en ce domaine. Je tiens d’ailleurs à remercier le Président de la République, Emmanuel Macron, et le gouvernement français d’avoir permis et facilité la livraison de médicaments en direction de certains otages à Gaza et nous nous en réjouissons, même si nous n’avons malheureusement aucune preuve à ce jour que ces médicaments aient pu être acheminés réellement jusqu’à eux. Le sort des otages est un autre sujet qui a été évoqué, il y a encore à ce jour 136 otages à Gaza dont trois Français.
Je tiens aussi à souligner que, depuis le 7 octobre, nous avons eu en Israël beaucoup de visites et signes de solidarité de la part des autorités françaises, à commencer par le Président de la République, Emmanuel Macron, l’ex-Ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, le Ministre des Armées Sébastien Lecornu, à deux reprises comme vous l’avez relevé, le Président du Sénat, Gérard Larcher, la Présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, ainsi que de nombreuses visites d’élus, avec plusieurs délégations importantes de parlementaires et de maires, d’autres délégations sont d’ailleurs prévues dans un avenir proche.
« Je remercie aussi très vivement la communauté juive de France pour sa solidarité avec Israël et son peuple. Cette solidarité nous réchauffe le cœur et contribue à renforcer nos espoirs »
Le Crif : Des visites de responsables de la société civile sont aussi encouragées et organisées par le Crif.
Alona Fisher-Kamm : Absolument, et cela nous paraît très important que des artistes, des intellectuels, des journalistes, des sportifs ou des acteurs associatifs aient pris l’initiative de venir en Israël. C’est très important que les deux sociétés civiles puissent continuer à échanger, se connaissent davantage surtout en ces circonstances, et que des citoyens français puissent voir, de leurs propres yeux, ce qu’Israël a subi le 7 octobre. Il est important de pouvoir voir et sentir l’environnement et les sentiments qui traversent et portent la société israélienne. Nous avons traversé une très grosse épreuve, elle n’est pas terminée, la situation n’est pas facile pour nous en Israël.
Je voudrais aussi bien sûr remercier très vivement la communauté juive de France pour sa solidarité avec Israël et son peuple. Que ce soit une solidarité morale, spirituelle ou matérielle, vraiment cela nous réchauffe le cœur et contribue à renforcer nos espoirs.
« Les Houthis sont complètement manipulés par l’Iran, qui a un intérêt à nuire à l’économie occidentale et à provoquer un embrasement régional »
Le Crif : Sur le plan sécuritaire, un troisième front s’est ouvert, au-delà de l’attaque du Hamas au sud d’Israël, des menaces du Hezbollah au nord d’Israël, avec les attaques des Houthis en mer Rouge. Certains en France ont présenté les Houthis comme une organisation « solidaire des Palestiniens », alors qu’il s’agit d’un troisième groupe terroriste, armé par une même source, l’Iran. Comment réagissez-vous à une telle présentation, et comment appréhendez-vous cette confrontation avec les Houthis, où les États-Unis sont montés en première ligne avec le Royaume-Uni et quelques autres États ?
Alona Fisher-Kamm : Les attaques Houthis n’ont en effet rien à voir avec la cause palestinienne, ni avec le soutien avec les Palestiniens, s’il y a soutien à quelqu’un c’est un soutien au Hamas. Les Houthis sont complètement manipulés par l’Iran, qui a un intérêt à nuire à l’économie occidentale et à provoquer un embrasement régional.
Si on élargit le champ de vision et d’analyse, on constate que l’Iran est derrière les attaques contre l’Irak, contre le Pakistan, contre les Kurdes et, à travers le Hezbollah et le Hamas, contre Israël. Toutes ces agressions ont un point commun : l’intérêt de l’Iran.
Le but des Houthis est de déstabiliser le commerce mondial en mer Rouge et quand ils invoquent la cause palestinienne ce n’est qu’une tentative trompeuse visant à justifier des opérations qui consistent à nuire, à provoquer et à cautionner l’action terroriste.
« Les Accords d’Abraham ont été signés pour atténuer les crises régionales, peut-être qu’ils vont pouvoir à terme jouer un rôle. C’est dans l’intérêt commun de favoriser une sécurité durable dans la région […] à moyen ou au long terme, il va falloir penser à agrandir les acteurs de ces accords »
Le Crif : Plus de trois mois après le 7 octobre et le début de la guerre à Gaza, pensez-vous que les Accords d’Abraham – qui avaient commencé à établir de bonnes relations entre Israël et un premier groupe de pays arabes – pourront, dans un terme qu’on ne peut prédire, retrouver une réalité et contribuer à trouver une solution pacifique à Gaza dans la perspective d’un « après Hamas » ?
Alona Fisher-Kamm : Ce n’est pas un secret de dire que les Accords d’Abraham ne sont pas dans une période favorable, cependant ils tiennent et existent toujours, et c’est important et nécessaire. Les Accords d’Abraham ont été signés pour atténuer les crises régionales et faciliter les échanges, et peut-être qu’ils vont mêmes pouvoir à terme jouer un rôle. C’est dans l’intérêt commun de maintenir et de favoriser une sécurité durable dans la région. Notre message est en tout cas très clair : il y a un avenir et un espoir dans et pour la région.
Les Accords d’Abraham n’ont jamais été fait sur le dos des Palestiniens, bien au contraire, l’idée fondatrice de ces accords était de concevoir un dialogue constructif et important dans la région. Ces accords étaient faits pour que tous les pays de la région puissent bénéficier de ce dialogue ouvert et positif. Cet espoir, le Hamas a tout fait pour le détruire, les massacres du 7 octobre étaient destinés à empêcher le rapprochement en cours par exemple avec l’Arabie Saoudite.
À moyen ou au long terme, il va falloir penser à agrandir les acteurs de ces accords. Je sais, pour avoir été à la tête de bureau de liaison à Rabat au Maroc, ce que cela peut représenter de positif pour l’évolution des mentalités, des regards, des relations et donc pour l’avenir.
Le Crif : On peut dire que le dialogue n’est pas totalement interrompu ?
Alona Fisher-Kamm : En effet, le dialogue n’est pas interrompu. Peut-être est-il un peu plus froid mais il est clair que tous les pays de la région doivent naturellement penser au « jour d’après », non seulement en ce qui concerne Gaza et les Palestiniens mais en ce qui concerne l’ensemble de la région et la sécurité d’Israël. On voit bien que l’Iran essaie d’envenimer la situation, de déstabiliser la région, mais les Accords d’Abraham adressaient un message clair aussi à l’Iran : le dialogue dans le respect et la sécurité peut l’emporter. Je pense que cet objectif des Accords d’Abraham a été atteint. L’avenir nous dira peut-être, il faut l’espérer, que cette nouvelle donne pourra prévaloir sur les ennemies de la paix.
Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet, le 24 janvier 2024