En France, les patientes noires moins bien soignées aux urgences : un constat « intolérable ». En Israël cette attitude raciste serait impensable. Le rédacteur en Chef d’IsraelValley a passé des heures aux urgences à l’hôpital Ichilov de Tel-Aviv. Jamais, au grande jamais des attitudes discriminatoires ont été constatées.

SELON FRANCE 24. Une enquête menée cet été par une équipe française révèle le poids du sexisme et du racisme dans le diagnostic de soignants dans des services d’urgence en France, en Belgique, en Suisse et à Monaco. Les résultats montrent que les patientes noires sont moins prises au sérieux et moins susceptibles de recevoir un traitement d’urgence à l’hôpital.

Le service des urgences du CHU de Nantes, le 16 mars 2017 à Nantes, dans l'ouest de la France.

« On avait cette intuition, mais on a été surpris de l’ampleur de l’effet », s’étonne le professeur Xavier Bobbia, chef du service des urgences du CHU de Montpellier et coordinateur d’une étude choc publiée en décembre dans la revue internationale European journal of emergency médicine. Cette enquête révèle le poids des préjugés sexistes et racistes dans le diagnostic des patients reçus aux urgences.

Pour les besoins de cette expérience, durant l’été 2023, le Pr Bobbia et son équipe ont soumis un questionnaire à quelque 1 500 soignants (médecins et infirmiers) répartis dans 159 villes en France, et dans les pays voisins : Belgique, Suisse et Monaco. Pour un symptôme identique – une douleur thoracique qui pourrait être le signe d’un infarctus – ils devaient se prononcer sur la gravité du cas de ces malades.

Une photo des patients, tous âgés de 50 ans, était fournie et huit profils de sexe et d’apparence ethniques différents avaient été imaginés par le concepteur du test, qui a fait appel à l’intelligence artificielle. « En France, on a un cadre législatif qui fait qu’en pratique, on ne peut pas travailler sur ces sujets là [les statistiques ethniques]. Dans notre cas, ça a été possible car il n’y a pas de malades derrière, pas d’humains à qui vous collez une étiquette, mais des images générées par l’intelligence artificielle », précise le Pr Bobbia.

D’où le statut unique de cette enquête aux résultats édifiants, puisqu’elle révèle pour la première fois, avec des données chiffrées, que les hommes sont pris plus au sérieux (à 62 % des cas) que les femmes (49 %), et que le cas est jugé moins grave quand la personne est noire : 47 % des patients noirs ont été jugés en urgence vitale contre 58 % pour les patients blancs.

Les patientes noires moins susceptibles de recevoir un traitement d’urgence .

En croisant les données, 63 % des hommes blancs ont été placés en urgence vitale pour seulement 42 % des femmes noires, à symptômes égaux. Comparés à un patient masculin et blanc, les patientes noires sont donc moins susceptibles de recevoir un traitement d’urgence.

« Une variation énorme » estime le Pr Bobbia qui juge ces résultats « intéressants et inquiétants à la fois ». Il avait noté cette tendance au quotidien sur le terrain, c’est pourquoi il a voulu lancer cette enquête, mais il ne s’attendait pas à de tels écarts. Il évoque des « clichés inconscients » qui ont pour résultat une réflexion médicale « sexiste et raciste« .

L’étude du sexe des soignants interrogés pour cette enquête, quant à elle, révèle qu’hommes et femmes sont auteurs des mêmes préjugés.

Le Pr Bobbia estime que ces résultats sont surtout le reflet des préjugés circulant plus largement : « Les soignants ne sont pas des machines, ils vivent au milieu d’une société, ils sont entachés des mêmes préjugés. Je pense que l’ensemble de notre société a des préjugés racistes et sexistes ». C’est pourquoi le responsable du service des urgences du CHU de Montpellier recommande de soumettre d’autres métiers dans divers domaines à ce type de test.

Des discriminations similaires aux États-Unis et au Canada.

Pour la sociologue de la médecine et de la santé Laure Pitti, « les liens de subordination et l’histoire coloniale de la France jouent à plein » dans l’explication de ces préjugés. Maîtresse de conférence à l’université Paris 8, la chercheuse n’est pas surprise par les résultats de l’enquête de l’équipe du Pr Bobbia.

« D’autres études, menées soit par des soignants, notamment au Canada, soit par des sociologues, selon une méthode qualitative – avec une série d’observations suffisamment nombreuses et suffisamment récurrentes pour faire preuve comme du quantitatif -, ont montré que les femmes sont moins prises au sérieux, notamment pour les cas de douleurs thoraciques » explique-t-elle.

Par ailleurs, aux États-Unis, où les statistiques ethniques sont autorisées, de nombreuses études ont révélé des différences de traitement des patients selon leur couleur de peau, et notamment « la sous-évaluation systématique de la douleur éprouvée par des patients noirs américains par rapport à celle de patients blancs américains ». Des recherches ont montré en 2016 que les soignants se basaient sur des préjugés racistes, « supposant a priori que les Noirs ressentent moins la douleur que les Blancs ».

En France, les erreurs de jugements révélées par l’étude de l’équipe de Montpellier peuvent avoir de graves conséquences pour les patients discriminés. « A minima une perte de chance. Mais cela peut aller jusqu’à la mort » souligne Laure Pitti, rappelant le cas de femmes noires décédées du fait d’une non prise en charge par le système de santé.

Une mise en examen pour « non-assistance à personne en danger » .

En 2018, un collectif d’associations avait publié une étude révélant des cas de discriminations dans toute la chaîne des urgences, du Samu à l’hôpital. Une initiative prise après la mort, en décembre 2017, de Naomi Musenga, une Strasbourgeoise de 22 ans d’origine congolaise. La jeune mère avait appelé le Samu pour une vive douleur, sans être prise au sérieux par ses interlocutrices. Elle est morte d’un arrêt cardiaque moins de trois heures plus tard. L’opératrice qui avait raillé Naomi Musenga vient d’être mise en examen le 12 janvier pour « non-assistance à personne en danger ».

L’une des hypothèses avancées par les associations et plusieurs enquêtes journalistiques pourraient être le stéréotype raciste du « syndrome méditerranéen ». Une croyance répandue selon laquelle les patientes originaires de pays méditerranéens exagéreraient leurs douleurs en criant.

« En France, les études ont montré qu’il y a une délégitimation récurrente de la douleur des personnes ‘perçues comme autres’, donc altérisées, qu’elles soient d’origine d’Afrique du Nord, d’Afrique subsaharienne ou dites ‘Roms’ », confirme Laure Pitti. « Parfois on appelle cela le syndrome méditerranéen qui est l’idée selon laquelle les patients originaires de la rive sud de la Méditerranée exagèrent leurs symptômes. Cela aboutit à des disqualifications de leurs maux, et donc à des délais de prise en charge, et donc à des pertes de chance ».

Le fait d’avoir un accent ou de ne pas bien parler français est aussi l’un des premiers motifs de refus de soins, notamment au moment de la prise de rendez-vous par téléphone, d’après les enquêtes menées sur les discriminations à la santé en France pour le compte du Défenseur des droits.

« Faire le constat de ces préjugés, ne veut pas dire les tolérer »

Prendre conscience des préjugés, les mesurer, va permettre d’en informer soignants et étudiants en médecine, espère maintenant Xavier Bobbia pour qui « faire le constat des préjugés, ne veut pas dire les tolérer ». Pour y remédier, le chercheur et son équipe proposent encore d’autres solutions, dont le recours systématique à des « grilles d’évaluation objectives » à l’accueil des urgences, ce que préconise déjà la Société française de médecine d’urgence, mais qui n’est pas toujours appliqué.

Ces grilles d’évaluation, en fonction de la fréquence cardiaque, la pression artérielle et d’autres critères objectifs permettent de juger le niveau de priorisation et de gravité du cas des patients reçus aux urgences. L’intelligence artificielle peut aussi jouer un rôle pour permettre d’adopter un regard objectif, estime l’équipe de recherche du CHU de Montpellier.

Quant aux soignants, explique le Pr Bobbia, « ils nous ont fait des retours très constructifs sur l’étude. La plupart disent qu’il est bien de se rendre compte [des préjugés] pour travailler dessus ».

Les préconisations du Pr Bobbia ont été saluées également par Laure Pitti, qui s’inquiète toutefois de l’évolution du contexte politique. Avec la réforme de l’aide médicale d’État (réservées aux étrangers sans-papiers), l’un des points de la loi immigration votée en décembre par le Parlement français, la sociologue regrette un climat politique « délétère » qui risque d’affecter la lutte contre les discriminations. « Ce n’est pas quand on supprime l’aide médicale d’État, c’est-à-dire qu’on considère que les étrangers viennent ponctionner le système de santé en France, qu’on va créer des réflexes inverses chez les soignants ».

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