Au lendemain du 7 octobre, il n’aura pas fallu plus de quelques jours aux Israéliens pour rassembler leurs forces et organiser une impressionnante chaîne de solidarité envers populations déplacées et soldats mobilisés. Collectes de vêtements et de produits d’hygiène, solutions de logements, réorganisation des cuisines pour alimenter les bases avec de la nourriture casher, récolte des cultures… Depuis plus d’un mois, petits et grands déploient une énergie aussi vivace qu’efficace dans une unité retrouvée.
Etonnant ? Pas vraiment. Confronté à l’épreuve, chacun retrouve ses réflexes naturels d’entraide, inhérents à la culture du pays.
En Israël, tous les enfants, dès leur entrée en kita Aleph (CP), consacrent deux heures chaque semaine à des actions de bénévolat au sein de leur école, qu’elle soit laïque ou religieuse. Il peut s’agir d’apporter sa contribution au personnel de service, d’aider au nettoyage de sa classe, ou de faire la lecture aux plus petits. Au lycée, les élèves doivent accomplir, selon les années, entre 30 et 90 heures de volontariat annuel pour valider l’obtention de leur baccalauréat. Souvent inscrits à des mouvements de jeunesse au sein desquels les valeurs d’entraide et de partage sont centrales, on retrouve beaucoup de ces enfants devenus adolescents œuvrant comme bénévoles au sein d’organisations et d’associations. Car ici, parents et enfants le savent bien : les engagements individuels et collectifs en faveur des plus fragiles et des plus exposés sont autant de marqueurs sociaux et professionnels déterminants au sein de la société israélienne.
En quelques jours, la Start-Up Nation fragilisée comme jamais a mué en une impressionnante organisation multipliant les initiatives, les actions, et les relais
Les recruteurs de l’armée, comme ceux du privé, leur accordent une importance majeure quand ils examinent les profils des candidats. Pour Léa Aiss, aujourd’hui paramedic au sein du Maguen David Adom (MADA) et étudiante en ingénierie mécanique, s’engager dès l’âge de 14 ans était une évidence : « A l’époque, la vue du sang me terrifiait mais je voulais pouvoir porter secours à un blessé. J’ai suivi une formation de 60 heures pendant les vacances d’été pour pouvoir monter dans les ambulances. J’ai fait mon premier massage cardiaque à 15 ans. Je travaille à Bet Shemesh, il faut 40 minutes de route pour rejoindre l’hôpital. Lorsqu’une grand-mère à l’arrière de l’ambulance vous dit que vous êtes la première personne à qui elle parle depuis un mois, vous savez pourquoi vous travaillez comme volontaire. Le 7 octobre, j’étais à la maison. Quand j’ai compris qu’il se passait quelque chose, j’ai enfilé ma tenue et couru rejoindre MADA sans me poser de question. »
On l’aura compris, Israël peut compter sur ses forces vives en appui de ses besoins. Selon les chiffres avancés par l’Ambassade d’Israël en France, environ 20 % de la population adulte se porte volontaire dans quelque 278 associations d’utilité publique. En temps de guerre, et particulièrement depuis le 7 octobre, la mobilisation spectaculaire a atteint environ 50%. En quelques jours, la Start-Up Nation fragilisée comme jamais a mué en une impressionnante organisation multipliant les initiatives, les actions, et les relais.
Pour Michael Sidi-Levy, psychanalyste et psychologue clinicien, plusieurs éléments historiques, structurels et psychologiques viennent expliquer ce besoin impérieux de se mobiliser pour le pays. Un héritage de la nature collectiviste et de l’esprit de partage des kibboutzim, d’abord ; ensuite, la structure même de l’armée, qui implique la majeure partie de la société israélienne et façonne le sens de la responsabilité envers autrui. En prolongement de l’armée, le soutien d’organisations et infrastructures existantes avec à leur tête des réservistes que l’on sait capables de mobiliser rapidement et largement va souvent de soi. « On a pu observer la puissance de leur mouvement pendant des mois à l’occasion de la révolte contre la réforme judiciaire. En retour, ces organisations ont été les premières au lendemain du 7 octobre à apporter de l’aide logistique et alimentaire aux soldats mobilisés », explique le spécialiste.
« C’est une nécessité pour les parents de se sentir actifs dans ce moment d’angoisse terrible »
« Le facteur d’appartenance est aussi un élément très important dans un moment où notre identité est attaquée. Et puis, se joue aussi notre culpabilité. Par rapport à nos enfants d’abord, dont beaucoup sont sur le front pour défendre notre droit à exister. C’est une nécessité pour les parents de se sentir actifs dans ce moment d’angoisse terrible. Et puis aussi par rapport aux kibboutzim qui longent la frontière avec Gaza, dont la fonction était en quelque sorte de « faire tampon » et dont les habitants l’ont payé de leur vie. Aujourd’hui, toute la société israélienne doit assumer cette réalité existentielle. On ne peut pas perdre cette guerre, sinon ce sera la dernière.