Impôts ridiculement bas, proximité d’Israël et de ses sociétés high-tech, conditions de vie agréables, présence historique d’une importante minorité russe d’investisseurs fortunés, Chypre est depuis une décennie une sorte de hub pour les start-up et entreprises technologiques, qui forment une part importante d’une économie principalement tournée vers la finance, la logistique et le tourisme.

L’île est le siège de milliers d’entreprises spécialisées dans la « zone grise » du numérique, la plupart d’origine russe, qui trouvent là une porte d’entrée en Europe, mais son dynamisme a vu son économie perturbée par la guerre. Ainsi, le géant biélorusse du jeu vidéo de stratégie Wargaming, présent dans l’île depuis 2009 avec des studios annexes, a, par exemple, subitement fermé toutes ses activités en Russie et en Biélorussie en avril 2022, et renforcé sa présence à Nicosie, où il occupe un imposant bâtiment de verre.

D’un côté, à Limassol, plus de 10 000 Ukrainiens se sont installés depuis le début de la guerre, mais inversement, la ville côtière a également connu un afflux majeur de développeurs et d’ingénieurs russes fuyant la mobilisation militaire et le durcissement du régime.

Cet exode de travailleurs très qualifiés et d’investisseurs a eu un impact visible et immédiat sur l’économie chypriote. En 2022, 1 200 entreprises étrangères, presque toutes du numérique, se sont installées sur l’île grâce au seul programme spécifique du ministère du commerce, faisant croître le produit intérieur brut du pays de 3 milliards d’euros, selon les chiffres du gouvernement. Le secteur des technologies est le principal facteur ayant permis d’atteindre 5,6 % de croissance en 2022, le double de ce qui avait été anticipé au début de l’année, et ce, alors que les touristes, source majeure de rentrées d’argent, se sont faits moins nombreux.

Face à l’afflux de capitaux, dix ans après la crise financière et la faillite de la deuxième banque du pays, la Laiki, rares sont les voix qui appellent à une meilleure redistribution des richesses ou à une correction d’inégalités fiscales criantes. Une myriade d’exemptions permettent aux dividendes et aux royalties d’échapper à toute taxation et, au prix de quelques « optimisations » simples, les entreprises de la fintech, du numérique, ou les holdings d’investissement peuvent atteindre un taux d’imposition effectif sur les sociétés de 2,5 %.

« En dehors de Chypre et de Malte, vous ne trouverez nulle part en Europe de montage qui permette de descendre sous les 9 % ou 10 % », expliquait ainsi l’avocat fiscaliste chypriote Charles Savva, lors de la Webmaster Access Affiliate Conference, dans une prise de parole à destination d’entrepreneurs de la tech envisageant de s’installer sur l’île. « Et soyez sans crainte, lorsqu’il y a des changements dans la loi, c’est toujours au bénéfice des investisseurs. »

A l’échelle de ce petit pays d’un peu plus d’un million d’habitants, les entreprises du numérique ont obtenu ces dernières années un poids politique non négligeable. Techisland, qui regroupe la plupart de ces sociétés, agit à la fois comme cercle d’entraide et lobby politique. L’entreprise accueille régulièrement des ministres qui mènent des conférences lors des événements qu’elle organise, et finance sur ses fonds propres des projets caritatifs, parfois directement alignés sur les objectifs du gouvernement.

Nikos Christodoulides, le nouveau président (indépendant, centriste) élu en février dernier a participé à un événement organisé par Techisland pour y vanter les mérites de sa politique envers les investisseurs, et assurer les entrepreneurs du numérique de sa reconnaissance pour leur « importante contribution à l’évolution et à l’avancement de l’économie de Chypre ».

Source :  Le Monde – résumé par Israël Valley

 

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