IsraelValley, grâce à des relais de premier ordre en Israël, a pu reconstituer l’itinéraire « Top Secret » du Ministre français à Tel-Aviv (trois photos existent et ont été publiées). IsraelValley, étant le site officiel de la Chambre de Commerce France-Israël, a une obligation de discrétion et a décidé de reproduire fidèlement le texte du JDD (qui a certainement été revu, corrigé, re-revu, re-corrigé et livré épuré de toute polémique possible). Nos interlocuteurs israéliens, qui sont sous le secret défense, ont préféré ne rien dire. Ainsi va le monde… Dans 20 ans IsraelValley vous en dira plus.
Le JDD a interrogé le Ministre des Armées, Sébastien Lecornu : « Je veux dire à quel point les familles des otages que j’ai rencontrées à Tel-Aviv sont courageuses et dignes devant l’épouvantable drame qui les touche. Certaines ont perdu un proche dans l’attaque du 7 octobre et vivent désormais dans l’espérance de la libération d’un ou plusieurs membres de leur famille.
Ces prises d’otages sont pour elles la poursuite de l’attaque terroriste du Hamas du 7 octobre dernier. Nous sommes à leurs côtés et le président de la République a fait de leur libération une priorité absolue. Nous nous devons d’être efficaces et vous comprendrez donc l’indispensable discrétion à adopter sur le contenu exact de mes différents échanges.
Mais en effet, j’ai eu des réunions de travail au sujet de leur libération, en Égypte, au Qatar puis en Israël. Sur la base de mes échanges à Tel-Aviv, il m’a semblé important de retourner à Doha et au Caire, avant de rentrer à Paris.
Nous devons faire preuve d’espérance et de lucidité, et en même temps, tout le monde peut comprendre notre impatience plus de quarante jours après l’enlèvement de nos compatriotes. Je l’ai rappelé à tous mes interlocuteurs.
La position de la France exprimée par Emmanuel Macron le 12 octobre dernier n’a pas varié. Elle s’inscrit dans notre position historique depuis le général de Gaulle en passant par François Mitterrand. C’est vrai du droit pour Israël à vivre en sécurité, et donc de se défendre. C’est vrai également du devoir qu’a Israël, pays démocratique avec qui nous partageons des valeurs communes, de respecter le droit de la guerre et le droit international humanitaire.
Et c’est encore vrai de la solution politique à deux États, que la France n’a jamais, je dis bien jamais, abandonnée. Sur la lutte contre le terrorisme, il est évident qu’il nous faut réengager l’ensemble des pays de la région. Une « internationale djihadiste », allant du Sahel à l’Afghanistan, en passant par le Levant, réémerge et peut tenter de se fédérer. Certes, ce sont des groupes terroristes très différents les uns des autres, parfois en rivalité, et poursuivant des buts qui peuvent diverger. Mais ils ont en commun de tous poser des défis de sécurité pour l’Europe, mais aussi pour nos partenaires dont font partie la grande majorité des pays arabes de la région et Israël.
Sans oublier le drame pour les populations civiles locales… Ces groupes peuvent désormais s’appuyer sur des réseaux de financement ou de communication nouveaux, et même bénéficier de certains sauts technologiques comme les drones ou le cyber. Donc oui, nous devons travailler avec nos partenaires et ne pas baisser la garde. J’aurai l’occasion d’ailleurs d’y revenir dès ce mardi avec mon homologue irakien en visite à Paris.
Quand Emmanuel Macron était au Caire, il y a plus de trois semaines,il avait annoncé l’envoi du Tonnerre pour une mission « hospitalière ». C’est Le Dixmude qui a été choisi… Pourquoi ? Quelle mission ? Est-ce une manière de participer à cette guerre ?
Participer à soigner des civils n’est pas participer à la guerre ! Le chef de l’État a positionné la France comme « nation-cadre humanitaire et sanitaire » dès le début du conflit.
En clair, il s’agit d’agréger des moyens pour nous coordonner avec nos partenaires européens et régionaux, comme Chypre, l’Égypte ou la Jordanie. Les armées françaises participent à cet effort aux côtés des équipes du Quai d’Orsay. Le porte-hélicoptères amphibie Tonnerre a été envoyé dès le début sur zone pour constituer un plot logistique avancé avec une première capacité médicale embarquée.
Il était accompagné de deux frégates permettant d’avoir une appréciation autonome de la situation sur place. Le Dixmude, un autre porte-hélicoptères amphibie, a été préparé, lui, à une fonction hospitalière complète, avec deux blocs opératoires, 40 lits médicalisés, un scanner, de la radiologie et un laboratoire. Il est actuellement à Toulon en alerte 24 heures, prêt à être déployé. Tout va maintenant dépendre des dernières discussions avec les acteurs clés pour débloquer la situation. Je précise qu’actuellement, seuls les pays de la région qui disposaient de structures de soins avant la guerre sont présents dans la bande de Gaza et que seuls les Égyptiens ont déployé des moyens effectifs sur leur territoire. Les dernières discussions que j’ai tenues au Caire et à Tel-Aviv sont encourageantes…
L’histoire du conflit israélo-palestinien et les guerres qui l’ont émaillé devraient en effet faire réfléchir… Les déplacements massifs de populations qui en ont résulté ont un impact majeur sur le terrain humanitaire, comme stratégique et sécuritaire. C’est une des raisons pour lesquelles, en plus du drame humain, nous sommes aussi insistants avec nos partenaires israéliens sur la nécessité d’avoir une aide humanitaire et sanitaire au niveau des enjeux. Cela passe inévitablement par des trêves humanitaires devant mener à terme à un cessez-le-feu.
Certains pays arabes recherchent aussi une position d’équilibre et ont évolué dans leur relation vis-à-vis d’Israël. On l’a vu avec les accords d’Abraham ou l’établissement de relations diplomatiques particulières. Cela va dans le bon sens, en faveur de la stabilité régionale. Ces pays, s’ils ne soutiennent pas le Hamas, n’abandonneront jamais la cause palestinienne et sont évidemment sensibles comme nous le sommes au traitement des civils à Gaza. Je l’ai clairement rappelé à mes interlocuteurs des sphères politiques et sécuritaires en Israël.
Récemment, Emmanuel Macron a sévèrement critiqué la poursuite des frappes israéliennes sur Gaza. Netanyahou a immédiatement dénoncé une erreur factuelle et morale. Quel a été l’accueil en Israël ?
Cela faisait vingt-trois ans qu’un ministre des Armées ou de la Défense n’avait pas été en Israël !
L’accueil a été très bon, franc et direct : ce que les circonstances nécessitent. Je connaissais certains interlocuteurs d’avant l’attaque et j’y suis allé avec des points concrets et sensibles à traiter. Ils sont encore bouleversés par l’inhumanité de l’attaque du 7 octobre, qui a fait plus de 1 200 morts.
Ils connaissent tous une victime ou un otage : on ne peut qu’exprimer notre solidarité, nous Français, qui ne connaissons hélas que trop bien le terrorisme et son lot de malheurs. Le président a eu raison de faire cette mise en garde sur les trop nombreuses victimes civiles. Les autorités américaines l’ont fait aussi clairement et certains membres du cabinet de guerre que j’ai rencontrés ne peuvent faire autrement que d’en convenir.
La bande de Gaza compte 500 000 enfants de moins de 10 ans ! Sans oublier les personnes âgées, les adolescents, les femmes, les personnes en situation de handicap… Le Hamas se sert des civils comme bouclier humain. C’est un dilemme pour Tsahal. Mais c’est un dilemme que Tsahal doit gérer conformément aux valeurs d’une armée d’un État démocratique. Nous ne disons pas autre chose. La position de la France est simple, sans surprise, et je crois de bon sens : Israël a le droit de se défendre pour mettre hors d’état de nuire le Hamas qui a commis un épouvantable attentat terroriste. Mais le droit de la guerre et le droit humanitaire doivent être absolument respectés dans les opérations menées à Gaza.
Quel est le poids de la France dans la région ? Inquiétude dans les pays arabes, condamnation par Israël, désaccord avec les alliés américain et allemand… Est-on seuls au monde ?
Que les pays de la région soient inquiets, c’est le moins que l’on puisse dire ! Et nous devons l’être aussi, car tout cela n’est pas sans lien avec les dérèglements consécutifs à la guerre en Ukraine et les grands bouleversements mondiaux. Alors, oui, la voix de la France porte encore ! Je dirai même plus : elle est attendue, ce que nos concitoyens sous-estiment largement.
Notre Histoire parle pour nous : les décideurs des pays du Moyen-Orient comme leurs opinions publiques n’ont pas oublié la force de la vision gaullienne qui n’a cessé de s’exprimer. Pour ne citer qu’un seul exemple, personne n’a oublié la position de Jacques Chirac en 2003 sur l’Irak. Mais on ne peut pas uniquement vivre sur les dividendes de notre grande Histoire : cela nécessite une mobilisation de chaque instant.
Cela passe par un investissement dans les outils de crédibilité et de puissance, notamment au profit de nos forces armées. C’est le sens de la programmation militaire historique de 413 milliards d’euros : le budget des armées aura doublé après les deux quinquennats ! Croyez-moi, cela n’a rien de neutre en signalement stratégique, ni pour nos alliés, et encore moins pour nos compétiteurs. Et, enfin, cela demande un engagement personnel fort du chef de l’État, une mobilisation de chaque instant. Cet aspect est trop sous-estimé pendant les élections présidentielles, mais dans notre Constitution, c’est le chef de l’État qui donne l’impulsion et le cadre, personne d’autre. Je peux témoigner qu’Emmanuel Macron a une volonté acharnée d’agir et de trouver des solutions à des difficultés qui parfois n’intéressent plus suffisamment certains autres pays occidentaux qui regardent ailleurs… Pour rester dans la région, citons notre action pour le Liban, pour la reconstruction de l’Irak avec les conférences de Bagdad, etc.
La position d’équilibre que semble chercher le président, dans la grande tradition politique française, est-elle encore possible ?
Absolument. Et c’est même indispensable. Car c’est conforme à nos valeurs et à nos intérêts. C’est aussi certainement plus difficile à mettre en œuvre qu’auparavant. Premièrement, la géopolitique et les questions stratégiques, ce sont avant tout des choix de temps long. Donc il faut être patient, et c’est plus difficile aujourd’hui dans des démocraties et un monde occidental qui ne jurent que par l’immédiateté…
Ce que nous faisons avec le président de la République depuis 2017 sur les sujets diplomatico-militaires s’inscrit dans cette vision : voir loin, ne pas confondre tactique et stratégie, accepter de voir le résultat de notre action plus tardivement, voire lorsque nous ne serons plus au pouvoir… On ne peut pas dire que Pierre Messmer, ministre des Armées du général de Gaulle, a profité de l’outil militaire qu’il a pourtant contribué à dessiner… Par ailleurs, il est plus difficile de faire comprendre des positions équilibrées, sages, touchant à la complexité d’un Orient qui n’a jamais été simple dans notre monde informationnel moderne… L’équilibre ne fait pas bon ménage avec les réseaux sociaux et leurs lots de fake news et de raccourcis. Enfin, certains débats politiques français n’ont pas vraiment aidé depuis le début de la crise avec des polémiques stupéfiantes qui se sont invitées dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale… «