ISRAELVALLEY. Un article sur Frédéric Journès, l’Ambassadeur de France en Israël et son action conjointe avec le Consul Matthieu Clouvel-Gervaiseau et ses équipes dans une terrible période de guerre.

L’Ambassadeur de France en Israël, Frédéric Journès, a remis le 19 septembre ses lettres de créance au Président de l’Etat d’Israël, Isaac Herzog, marquant le début officiel de son mandat. Le 19 Septembre, au moment de la réception des lettres de réance à Jérusalem,  personne ne s’attendait à une guerre aussi brutale et dévastatrice entre Israël et les criminels du Hamas.

Dès le début de la guerre l’Ambassadeur et ses équipes ont été obligés de fonctionner 24H/24. Une période extraordinaire qui ne se vit qu’une seule fois.

De nombreux morts français dans cette guerre. Et l’Ambassadeur, kippa sur la tête, a assisté aux cérémonies déchirantes. Des otages français pris dans les griffes du Hamas. Les familles des otages contactent l’Ambassadeur sans cesse. Toutes les déclarations de l’Ambassadeur faites dans les médias sont analysées à la loupe. Ce conflit fait la Une en France. Un stress permanent. Tous les ingrédients d’une période historique  y sont. Et un Ambassadeur qui va de l’avant.

Très actif sur instagram Frédéric Journès s’expose sans complexe. On le voit en action dès le premier jour à Yad Vashem. Très vite on le voit aussi dans le sillage d’Emmanuel Macron en Israël. Depuis quatre ans aucun ministre français n’avait visité Israël. Tout change avec la guerre. On le voit dans le sillage de la Ministre Catherine Colonna en Israël. Et également accompagnant la Présidente de l’Assemblée Nationale en Israël.

Un véritable démarrage « TGV » pour un Ambassadeur habitué plutôt au mode de fonctionnement de la « douce » Suisse (son poste précédent). Ce qui est certain : le presse israélienne s’intéresse beaucoup à ce diplomate étonnant.

En effet, il aime Israël et le dit sans détours.

L’Ambassadeur, qui avait souhaité sa présence en Israël, a  été embarqué dès le début de sa mission à Tel-Aviv dans une période historique, la guerre entre le Hamas et Israël. Plus d’une dizaine d’interlocuteurs ont accepté de répondre à nos questions. Un élément est très clair : il ne manie pas la langue de bois et « oblige » son interlocuteur à être très direct dans ses propos.

Il est intéressant de noter que nos interlocuteurs saluent tous le rôle important de l’Ambassadeur et du Consul qui sont très actifs pour aider les Français d’Israël.

Les visites de l’Ambassadeur sur les lieux des crimes du Hamas ont laissé des traces. Ses interviews (professionnels et « to the point ») dans les médias français ont été souvent salués par nos interlocuteurs. Ce qui a le plus surpris : sa visite, vite oubliée, chez les Loubavitchs israéliens (à voir sur instagram).

Celui qui a témoigné publiquement sur son action avec l’Ambassadeur est Matthieu Clouvel-Gervaiseau, Consul général de France à Tel-Aviv qui a été interviewé par Le Point :

« Il a vécu le 7 octobre au cœur de l’enfer. Il raconte au « Point » ces heures glaçantes, pendant lesquelles 40 Français ont été massacrés par le Hamas.

Il est très clair dans cet interview que l’Ambassadeur de France a joué un duo hyper-actif avec le Consul. L’Ambassadeur a été en première ligne pour soutenir les Français d’Israël.

L’ARTICLE LE POINT. Le 7 octobre en Israël, 1 400 personnes ont été massacrées par l’organisation terroriste Hamas. Parmi eux, 40 Français ont perdu la vie – neuf autres sont portés disparus, certains retenus en otage. Pourtant, ce matin-là, à la fin des vacances scolaires et jour de shabbat, « cela devrait être une journée tranquille, agréable… »

Le Point : Au matin du 7 octobre, comment vous est parvenue l’alerte ?

Matthieu Clouvel-Gervaiseau : Je suis réveillé à 7 heures du matin par un appel de mon adjoint. Il a été informé par des Français dans le sud du pays d’envois massifs de missiles autour de Gaza. Cette situation n’est pas inhabituelle, mais cette fois, nos contacts sur place sont inquiets : ce qui se passe semble beaucoup plus violent que d’habitude. Nous décidons tout de suite de nous retrouver au consulat. J’enfile un jean et une chemise, et je me mets en route – j’habite en ville, à vingt minutes à pied de nos bureaux. En chemin, les sirènes sur Tel-Aviv m’obligent à courir m’abriter sous un immeuble. J’ai le cœur qui bat un peu plus vite, et je comprends qu’il ne s’agit pas de quelques tirs sur le Sud… C’est plus global et plus fort. Des contacts à Ashkelon et à Sderot m’alertent. D’habitude, on peut avoir cinq ou dix mises sous abri en une matinée… Mais là, il en pleut des dizaines et des dizaines, c’est alerte sur alerte, et ça frappe, ça frappe…

Dès 7 h 45, nous envoyons un premier e-mail à tous les Français basés dans le Sud et le centre du pays, les prévenant de tirs nourris de roquettes et en leur rappelant, en français, que faire en cas de tirs de missiles. C’est à ce moment que de premières vidéos nous parviennent…

Avant même que les autorités israéliennes ne vous aient alertés, vous saviez… ?

Peu avant 8 heures, des membres de mon équipe m’envoient des vidéos montrant des Jeep du Hamas dans les villes. Mon premier réflexe est l’incrédulité : je n’arrive pas à y croire, j’imagine des fake news. L’attaché militaire de l’ambassade appelle dans tous les sens pour vérifier l’information… C’est vrai ! Nous sommes abasourdis. À 8 h 30, nous envoyons un SMS à tous les Français des régions d’Ashkelon et à proximité de la bande de Gaza, pour les alerter que le Hamas s’est infiltré, et leur enjoindre de rester chez eux. Nous avions les coordonnées de 350 Français sur place, pas celles de gens de passage ni des non-inscrits au consulat.

À partir de cet instant, tout s’accélère… ?

L’armée israélienne commence à communiquer, des vidéos nous arrivent, des appels… Et nous basculons en mode urgence absolue, et en mode « mère louve » : il faut protéger les Français, cette communauté de 180 000 personnes et les dizaines de milliers de touristes de passage, et les mettre à l’abri. Nous sommes une trentaine, d’ordinaire, au consulat. Avec les services de l’ambassade, toute proche, nous serons jusqu’à quatre-vingts mobilisés. Stagiaires, jeunes volontaires internationaux… Tout le monde arrive. La sidération n’a pas le temps de nous saisir. Nous faisons des points réguliers avec mon équipe. Les images et les vidéos qu’on reçoit sont d’une barbarie telle qu’on n’en a pas vue depuis les années 1940. Peut-être même pire… À 12 h 30, nous renvoyons un e-mail à toute la communauté, et on s’attelle aux urgences. Trois familles, sur place, sont en grave danger… Nous réussissons à contacter l’armée et les autorités locales pour les mettre à l’abri.

À quel moment réalisez-vous l’ampleur de l’attaque ?

Dans l’après-midi, de nombreuses familles dont les enfants participaient au festival de musique « Supernova sukkot » commencent à nous appeler. Leurs récits sont glaçants… « Je sais qu’il ou elle était là », disent-elles. Ils leur ont parlé au téléphone, pendant une heure, parfois pendant cinq heures, leurs enfants ont tenté de se protéger dans un ravin, une voiture, un abri… Puis soudainement, le téléphone a été coupé. D’autres familles, des kibboutz, appellent pour qu’on les aide à retrouver un frère, un oncle, des enfants, dont ils sont sans nouvelles. On recevra 600 appels pendant le week-end. Heureusement, nous avions régulièrement répété notre plan de crise, organisé en cellules et en sous-cellules. Nous nous organisons très vite. Une cellule contacte tous les hôpitaux pour recenser les blessés. Une autre harcèle l’armée et la police, pour qu’on retrouve nos Français. Une troisième répond aux appels et fait le lien avec les familles, un groupe s’occupe des lycées, des écoles, un autre répond aux Français de passage, qui sont totalement perdus… On utilise tous les bureaux. L’ambassade, le service de presse, le service culturel, la mission économique, les stagiaires, les volontaires internationaux, tout le monde est là, pendu au téléphone.

À Paris, le centre de crise et les directions du ministère s’organisent immédiatement pour nous aider, répondre à toutes nos demandes, et suivre toutes les familles qui se signalent à nous. Dans ces moments, on se met en mode automatique, combatif, on ne mange plus. On fonctionne au jus de fruits et au café.

Comment prévenez-vous Paris du caractère exceptionnel de ce qui est en train de se produire ?

Le premier choc, à titre personnel et collectif, reste la violence de ce qui nous remonte du terrain. Nous l’avons immédiatement signalé au ministère… Et l’avons prévenu de la violence des images et des vidéos qui allaient arriver en France dans les heures, jours et semaines à venir. On a senti tout de suite que c’était d’une inhumanité sadique, d’une violence et d’une barbarie jamais vécues depuis très, très longtemps. Paris l’a saisi, et compris – les premiers pas en Israël du président de la République et de la ministre Catherine Colonna seront de rencontrer les familles des victimes françaises, cela a été très fort. Sur le plan personnel, il faut le digérer… Nous nous sommes tous, à un moment donné, isolés dans un bureau vingt minutes pour reprendre nos esprits.

Que montraient-elles, ces vidéos ?

Je n’en parlerai pas, car je dois protéger les familles des Français décédés, comme celles des otages, qui ont besoin d’être enveloppées dans ces moments horribles. Ce que je peux vous dire, c’est que j’ai assisté avec l’ambassadeur, plus tard, à des dizaines d’enterrements, plus poignants les uns que les autres. C’étaient nos enfants, nos frères et nos sœurs, des jeunes citadins, fêtards, joyeux et insouciants. Ne restaient pour la plupart que des corps mutilés. Les corps ont été torturés, avec acharnement – décapités, brûlés… J’arrive à prendre sur moi, mais pas quand cela touche des enfants ou des personnes handicapées.

Aviez-vous, au terme de cette journée, un premier bilan ?

Au soir du 7 octobre, nous recherchons encore 40 à 45 personnes. Mes équipes harcèlent la Croix-Rouge, les hôpitaux, elles font le tour des stations de police… Côté israélien, nos interlocuteurs sont débordés. Nous devons prendre 30 ou 40 décisions par heure. À quel moment informer ? Comment répondre aux familles, comment rassurer ? Comment distinguer la rumeur des informations vérifiées ?

a journée s’écoule en appels poignants, de parents désespérés qui recherchent leurs proches, et se mettent eux-mêmes en danger. Il y a ce père, qui me dit avoir roulé à 170 km/h parce qu’il devait retrouver sa fille… Nous sommes bouleversés, déchirés. Au consulat, cette première journée, on se porte les uns les autres. Tout le monde s’entoure, se porte vers le haut… On ressent cette chaleur, cette gravité dans nos bureaux. Mais à l’extérieur, les rues de Tel-Aviv sont désertes. La sidération a mis tout le monde à genoux. Notre chauffeur, dont la voiture a été frappée par des missiles, n’a pas pu se déplacer.

Alors quand la nuit tombe, je décide de ramener chez eux mes collaborateurs. Je conduis très mal, c’est une catastrophe. Ils hurlent : « Mais tu fais n’importe quoi, tu vas nous tuer ! » et ils ont raison… Je tourne en rond, je les raccompagne chez eux en me perdant plein de fois, et on rentre se coucher très tard. Ma femme et l’un de mes enfants m’attendent. On se rassure les uns les autres. Le lendemain, nous y retournerons très tôt.

Avez-vous perçu, rétrospectivement, des signes annonciateurs ?

On sentait quelque chose monter, depuis sept à huit mois, et j’avais d’ailleurs rédigé, avec l’ambassadeur et avec l’équipe, une sorte d’analyse pour le ministère. Au consulat de Tel-Aviv, notre activité avait augmenté de 50 %, et nous voyions une population nouvelle.

De nombreux Français, des gens simples dont nous n’avions pas de nouvelles depuis des années, réinvestissaient la nationalité française en venant demander un passeport… Mon équipe, alors, avait trouvé le bon mot, en parlant de passeport « au cas où ».

Sans doute ont-ils ressenti quelque chose, une fragilité dans la société, dans l’État, qui les a incités, pour leurs enfants, à penser au lendemain… Je veux dire un mot de cette communauté des Français du sud d’Israël – une communauté si attachante, à fleur de peau, marquée par de poignantes histoires individuelles et familiales. Le lien de ces familles avec la France est parfois complexe, mais il est très profond. J’ai rarement vu un attachement aux valeurs françaises et à la République aussi attendrissant.

Même s’ils sont partis, ils sont restés très français – on le leur reproche beaucoup ici, d’ailleurs. Je leur dis souvent qu’ils sont des « laïcards » sans s’en rendre compte, et ça les fait rire… Ces Français des régions d’Ashkelon, de Sderot, sont aussi les plus défavorisés dans notre communauté. C’étaient des gens humbles, qui sont venus en Israël dans des conditions difficiles. Les communautés attaquées par le Hamas étaient souvent très à gauche, pacifistes, tournées vers Gaza et vers les échanges… Cette crise les a terriblement fragilisées.

Comment nos compatriotes vivent-ils les polémiques incessantes sur la qualification des crimes du Hamas ou la flambée des actes antisémites en Europe ?

La communauté est toujours sous le choc… Et les plus défavorisés (30 % de notre communauté vit en dessous du seuil de pauvreté) s’inquiètent surtout de ce qu’ils pourront manger demain. Les plus touchés par cette crise sont des gens très pauvres, qui ramaient énormément avant le 7 octobre, et vivaient de petits boulots. Ils n’ont plus rien depuis un mois. Je rencontre, avec l’ambassadeur, des femmes divorcées avec des enfants ou des jeunes familles qui n’ont rien à manger à midi. Ils n’ont plus de couches. Ils ont dû quitter leur domicile, et vivent dans une logique de survie au quotidien. L’aide au relogement est assurée par l’autorité israélienne. C’est difficile, car les familles doivent régulièrement changer d’hôtel. Par contre, l’aide économique et sociale ne s’est pas encore mise en ordre de marche… Le ministère des Affaires étrangères a accordé une aide d’urgence aux Français déplacés qui n’ont plus de revenus, plus de travail.

Tous les jours, nous appelons les familles des otages. Il n’y a pas une minute où l’on ne pense pas à ces enfants, à ces femmes et ces hommes… Je continue de croire dans l’humanité, et d’espérer qu’ils reviennent. La communauté, aujourd’hui, est à terre. Et elle est blessée. Il faudra du temps – beaucoup de temps – pour qu’elle se relève.

Youval Barzilaï.

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