UN ARTICLE LE POINT EXCEPTIONNEL. Israël : « L’énorme solidarité dans le pays fait un bien fou aux rescapés ».
INTERVIEW. Viviane Chetrit-Vatine préside la Société de psychanalyse d’Israël qui intervient auprès des survivants de l’attaque du 7 octobre, des familles des otages, et des soldats au front à Gaza.
En représailles, l’armée israélienne bombarde Gaza et y conduit des opérations terrestres de plus en plus en profondes. Viviane Chetrit-Vatine, présidente de la Société de psychanalyse d’Israël, détaille pour Le Point la manière dont les spécialistes de la santé mentale prennent en charge les diverses populations confrontées, depuis le 7 octobre, à des traumatismes profonds.
Le Point : Depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre, avec ses 1 400 morts, les otages, les survivants puis les militaires partis combattre à Gaza, comment la société israélienne peut-elle faire face à ces traumatismes ?
Viviane Chetrit-Vatine : Dès le lendemain du 7 octobre, nous avons mis en place toute une activité de soutien, de présence affective auprès des personnes touchées par l’attaque du Hamas. Un mois plus tard, cette initiative venue de l’ensemble du monde en charge de la santé mentale se poursuit et s’amplifie. Dès le début, une part très importante des psychanalystes et psychothérapeutes du pays est partie faire du volontariat dans les hôtels et les lieux où les rescapés et les réfugiés venus des zones à risque sont installés. Ensuite, il y a tout un travail réalisé avec les familles des otages. Il s’agit essentiellement d’un accompagnement effectué par les différentes sociétés de psychanalyse et de psychothérapie.
Tous ces thérapeutes sont eux-mêmes suivis par des collègues qui œuvrent au sein de groupes de supervision. Autrement dit, ces personnes qui accompagnent les survivants, les familles des otages, les soldats actuellement au front sont elles-mêmes accompagnées par d’autres qui sont plus en retrait. Ce qui crée, et c’est important, une capacité d’entraide entre thérapeutes, lesquels ne font pas que du travail proprement thérapeutique. Au départ, il y a surtout besoin d’une présence authentique, pas interprétative. Une présence capable de contenir autant que possible les affects en tous genres que ces personnes directement confrontées à des situations traumatiques ont besoin d’assimiler, de digérer.
Tout d’abord, je ne pense pas qu’il n’y ait que des effets de traumas cumulatifs. Une grosse partie de la population humaine est capable de se débrouiller face au trauma. Nous nous mettons en mode de survie et le cerveau réagit de manière adéquate. En situation de traumatisme, par exemple, on cherche à être en contact avec des gens susceptibles de nous aider et qui nous font sentir qu’ils nous aiment. Ce qui nous réconforte. C’est pourquoi ceux qui sont passés par ces situations ont besoin de s’embrasser, de se toucher. Ces contacts physiques sont une vraie nécessité. Et puis, il faut savoir que nous, les humains, nous sommes fabriqués de façon à être capable de continuer à vivre.
C’est-à-dire ?
Même quand on traverse des situations traumatiques, nous sommes capables de trouver des ressources, de créer un lien fort avec ceux qui viennent nous aider et d’y trouver une vraie consolation. D’ailleurs, ce qu’on entend beaucoup chez ceux qui font appel à nous, c’est l’émotion qu’ils ressentent face à l’énorme solidarité qui s’est déclenchée dans le pays, depuis le 7 octobre. Cela leur fait un bien fou. De fait, nous sommes un pays fait de personnes passées par toutes sortes de situations traumatiques et qui, on le voit, ont des capacités de reconstruction assez impressionnantes.
Quels sont les effets sur le corps des traumatismes subis depuis le 7 octobre ?
Cela peut se traduire par des tremblements, des maux de ventre, des vomissements, des diarrhées. Des phénomènes physiques qui disent la peur, l’angoisse. On peut arriver à les calmer simplement par le contact physique. Il n’y a pas longtemps, une mère m’a téléphoné et m’a dit : « Mon fils, soldat, était à Gaza. Il s’est retrouvé face à des terroristes qui ont tiré. Certains de ses copains ont été tués. Il n’a pas supporté. Il s’est mis à hurler. On l’a exfiltré du front. Je vous en prie, dites-moi ce que je dois faire. Comment je dois me comporter avec lui ? »
Je lui ai répondu ceci : « Vous l’embrassez, vous lui dites que vous êtes heureuse qu’il soit là. Il a besoin d’affection, d’amour. Il va peut-être crier, pleurer. Face à lui, il faut être aussi calme que possible. Être très présente, très maternante. Et surtout ne pas rentrer dans un état d’angoisse qui ne ferait qu’ajouter à la sienne. »
Quelque temps après, cette maman m’a téléphoné à nouveau et cette fois elle m’a dit : « Il veut repartir au front. Il se sent mal d’avoir laissé ses copains là-bas. Il se sent coupable de ne pas être avec eux, en train de combattre. » Là, je lui ai dit : « Il faut qu’il reprenne des forces. Pour repartir, au front, il a besoin d’être en bon état psychique. S’il repart en étant toujours angoissé, inquiet, cela ne fera de bien à personne. Ce n’est pas la culpabilité qui doit le motiver. »
Comment éviter, à plus long terme, le développement des troubles du stress post-traumatique (TSPT) ?
Toutes les recherches montrent qu’à ce jour, aucune technique permettant d’éviter les syndromes de post-trauma n’a été trouvée. Immédiatement après le 7 octobre, des soi-disant spécialistes nous ont dit : il faut faire comme ci, comme ça… Or, pas une recherche ne met en évidence l’existence d’un effet préventif grâce à telle ou telle méthode.
En revanche, ce que l’on sait, et je le tiens de Danny Brom, un grand spécialiste du TSPT, c’est que 99 % de la population ne développe pas de réaction post-traumatique. Et pour le 1 % qui va la développer, on n’a rien pour la prévenir ou l’éviter. Tout ce que l’on fait aujourd’hui part de l’idée que plus tôt la personne est prise en charge, plus il y a de chances qu’elle arrive à assimiler ce qui lui est arrivé.
Cela ne veut pas dire qu’on va rester sans traces. Elles vont rester, mais cela ne va pas nous empêcher de fonctionner, d’aimer, de construire, etc. L’autre chose que Danny Brom a encore répétée ces dernières semaines, c’est que pour ces soldats ou ces civils qui ont ou vont développer ces réactions post-traumatiques, un travail libérateur peut être effectué, trois ans, cinq ans, dix ans après et même au-delà.
Et vous, comment tenez-vous ?
Ce n’est pas facile à gérer mais être en activité et aider mes patients me permet de tenir. Et puis, il y a la société de psychanalyse que je préside. Mais le fait d’être sur tous les fronts me demande énormément, j’ai donc repris contact avec mon ancienne psy. Ce qui m’aide aussi, c’est de pouvoir être avec des amis pour partager avec eux. On est tous dans le même bain…
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