Cette semaine est sorti en France un film italien du réalisateur Marco Bellocchio : « L’enlèvement » qui revient sur une affaire qui a scandalisé l’Italie et le monde dans la seconde moitié du XIXe siècle : l’enlèvement du petit Edgardo Mortara.

Né à Bologne en 1851 dans une famille juive, il est le sixième des huit enfants de Salomone Mortara et de Marianna Padovani où il mène une vie tranquille avant qu’il ne soit arraché en 1858 en pleine nuit à sa famille, sur ordre du prêtre inquisiteur et conduit à Rome dans le collège de catéchumènes attaché au Saint-Siège, dans le giron du pape Pie IX.

Tandis que les époux Mortara remuent ciel et terre pour récupérer leur enfant, alertant jusqu’aux communautés juives des autres pays d’Europe, Edgardo est placé à la « Maison des catéchumènes et des néophytes », un séminaire créé pour la conversion, entre autres, des juifs et des musulmans, où il reçoit une éducation catholique rigoriste et se forme à la prêtrise. Son père, Momolo, aura beau se démener pour le récupérer, la loi pontificale demeurera sourde et inflexible, sous prétexte que le garçon aurait été baptisé, par trois gouttes d’eau aspergées en tapinois sur la tête du nourrisson par une bonne superstitieuse, six ans plus tôt.

La communauté judaïque s’agite, sollicite, mais le pape oppose toujours la même réponse − non possumus (« nous ne pouvons pas »), formule passée à la postérité -, trop heureux de cette prise faite au « peuple déicide » (vieux préjugé à la peau dure de l’antisémitisme chrétien). Aux parents il est néanmoins accordé une permission de visite, pour voir, comble de l’effroi, leur fils s’éloigner d’eux, influençable, incapable de résister au lavage de cerveau, monstrueusement aliéné au dogme catholique.

Ce sombre épisode, bien réel, fit grand bruit au-delà des frontières italiennes et des cercles concernés, dans toute l’Europe libérale, sollicitant son lot de caricatures dans la presse, de tentatives de faire pression (les Rothschild menacent la papauté de sanctions financières), jusqu’à rencontrer la révolution en marche à l’endroit du Risorgimento, le mouvement d’unification politique de l’Italie, qui, en 1870, fera chuter la forteresse du pape/

De cette histoire au long cours et aux multiples embranchements, Marco Bellocchio retient moins le potentiel de fresque que le piège mental se refermant sur le jeune Edgardo, lui que l’on retrouvera adulte dans le dernier tiers du film, sujet à de violents raptus et autres accès schizophrènes, comme effets organiques du rapt originellement subi. L’enfant est le sujet nécessairement dissocié que l’histoire politique a choisi pour enfoncer son coin.

 « L’enlèvement du petit Edgardo symbolise la volonté désespérée, ultra-violente, d’un pouvoir déclinant qui essaie de résister à son propre effondrement, en contrattaquant, explique Marco Bellocchio, dans le dossier de presse . Les régimes totalitaires ont souvent de tels soubresauts qui leur donnent, pour un temps seulement, l’illusion de la victoire (un bref spasme avant la mort). »

Marco Bellocchio fait balancer son point de vue entre la famille juive déchirée mais toujours déterminée à sauver son petit du mensonge papiste, et ce dernier, au départ si jeune, si perdu, qu’il n’en faut pas beaucoup pour qu’il soit fasciné par la pompe morbide et le paternalisme doloriste du rituel catholique.

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Source : Midi Libre

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