JACQUES BENDELAC. Le film consacré à la Première ministre Golda Meir durant la guerre de Kippour laissera peu d’Israéliens indifférents : cinquante ans plus tard, le traumatisme de la guerre ne s’est pas estompé.

Les films sur les dirigeants israéliens ne sont pas nombreux ; en sortant de la projection de « Golda », on ne peut que se mettre à rêver d’un film consacré à d’autres politiciens qui ont marqué leur temps, et pourquoi pas « Bibi ».

Nul doute que le film Golda laissera un goût amer au spectateur de 2023 qui ne pourra s’empêcher de comparer les dirigeants israéliens avec cinquante années d’intervalles.

La comparaison entre Bibi (Netanyahou) de 2023 et Golda (Meir) de 1973 laissera perplexes de nombreux spectateurs israéliens soucieux de l’avenir de leur pays. Il s’agit bien de deux chefs d’un même Etat mais que tout sépare : le mode de gouvernance, les ambitions personnelles, le style de vie, etc.

Les femmes au pouvoir

On ne peut que regretter le temps où une femme détenait les rênes du pouvoir en Israël : en 2023, le gouvernement israélien, dirigé par un homme, ne comporte que 6 femmes, soit 18 % des ministres. Même sous-représentation féminine à la Knesset qui ne compte que 30 femmes parlementaires, soit 25 % de l’hémicycle.

Un ministre à la cuisine

Le film rappelle comment Golda Meir prenait parfois de grandes décisions dans sa cuisine : la Première ministre accueillait les personnalités les plus influentes du pays sur une table en formica, autour d’un café, thé et gâteau aux pommes préparés par ses soins. En 2023, difficile d’imaginer une scène semblable ; même l’épouse du Premier ministre actuel ne met jamais la main à la pâte, s’entourant d’une armée de cuisinières et femmes de chambre, ou commandant des plats cuisinés chez un traiteur.

La cigarette du pauvre

La fumée des cigarettes de « Golda » est un symbole fort du film ; le scénariste de « Bibi » n’aura pas de mal à remplacer les modestes cigarettes par de gros cigares ostentatoires et le café par du champagne, autant de produits de luxe offerts fréquemment à la famille Netanyahou par de riches donateurs.

L’alliance avec les Américains

A l’heure où les relations israélo-américaines sont tendues, le film Golda vient rappeler aux Israéliens que l’alliance avec les Américains est indispensable au moment d’une grande guerre. Les dirigeants de 2023 devraient méditer sur la façon dont la Première ministre de 1973 parlementait avec Henry Kissinger, alors Secrétaire d’Etat américain, pour qu’Israël devienne une priorité de la politique étrangère américaine.

Les ambitions personnelles

Golda était totalement dévouée à son pays et dépourvue de toute ambition personnelle ; son engagement pour façonner l’avenir d’Israël dépassait toute satisfaction personnelle et familiale. Bref, tout le contraire de Bibi qui pratique un véritable culte de la personnalité, harangue les foules en vantant son action politique, tout en développant un pouvoir très familial (avec son épouse et son fils ainé), notamment dans l’objectif de pérenniser son pouvoir politique aussi longtemps que possible.

Prendre ses responsabilités

Le film Golda rappelle ce que signifie pour un dirigeant politique l’expression « prendre ses responsabilités ». Sous la pression populaire, Golda Meir n’hésitera pas à démissionner en 1974 de son poste de Première ministre (après 5 années d’exercice), laissant sa place à Itzhak Rabin. En 2023, on ne peut que rêver d’un Premier ministre israélien (après 16 ans passés à la tête du pays) qui prendrait sa retraite politique en cédant les commandes à un autre membre de son propre parti.

Une vie d’acteur

Reste à savoir quel acteur pourrait incarner Bibi sur grand écran ; pour être crédible, il sera américain de préférence, il devra bénéficier d’une aura internationale tout en incarnant le goût pour les luxes de la vie. En fait, Netanyahou pourrait jouer son propre rôle dans le futur film « Bibi » ; il est considéré comme un bon acteur, du moins par ses détracteurs…

Une chose est sûre, le scénariste du film « Bibi » aura la tâche facile : Netanyahou est un personnage à la fois dramatique, complexe, impressionnant et même sexy ; sa vie et celle de sa famille contiennent tous les ingrédients d’un film à succès.

JACQUES BENEDLAC.

à propos de l’auteur
Jacques Bendelac est économiste et chercheur en sciences sociales à Jérusalem où il est installé depuis 1983. Il possède un doctorat en sciences économiques de l’Université de Paris. Il a enseigné l’économie à l’Institut supérieur de Technologie de Jérusalem de 1994 à 1998, à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 2002 à 2005 et au Collège universitaire de Netanya de 2012 à 2020. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et articles consacrés à Israël et aux relations israélo-palestiniennes. Il est notamment l’auteur de « Les Arabes d’Israël » (Autrement, 2008), « Israël-Palestine : demain, deux Etats partenaires ? » (Armand Colin, 2012), « Les Israéliens, hypercréatifs ! » (avec Mati Ben-Avraham, Ateliers Henry Dougier, 2015) et « Israël, mode d’emploi » (Editions Plein Jour, 2018). Dernier ouvrage paru : « Les Années Netanyahou, le grand virage d’Israël » (L’Harmattan, 2022). Régulièrement, il commente l’actualité économique au Proche-Orient dans les médias français et israéliens.
Partager :