Israël est souvent cité comme un modèle de ‘start-up nation’.
La France revient de loin en matière d’entrepreneuriat. Comment expliquez-vous ce renversement de situation ?
L’étude que nous cosignons avec EY montre clairement que l’écosystème entrepreneurial français a fortement progressé ces vingt dernières années, notamment face au modèle de la Silicon Valley et ses indicateurs de performances. Un tel revirement ne s’est pas fait en un jour. Il y a 25 ans, personne n’aurait considéré la France comme un pays à la pointe de l’entrepreneuriat. Bien au contraire, elle était régulièrement à la traîne des classements internationaux sur le sujet alors qu’elle pourrait désormais rejoindre la tête de la course à la « start-up nation » d’ici trois à cinq ans ! Cette progression, partie visible de l’iceberg, ne doit pas occulter le fait que l’on assiste à une transformation profonde du travail dans toutes les entreprises, start-ups ou non, depuis l’invasion des technologies digitales. C’est une nouvelle façon de travailler qui se dessine avec des implications sociales dont l’importance sera au moins égale à celle de la révolution taylorienne du début du 20ème siècle. Elle concerne également les grandes entreprises et les administrations. Si le modèle start-up est donc important pour l’économie d’un pays ou d’un territoire, les enjeux de l’évolution vers une nation d’entrepreneurs vont bien au-delà de la stricte start-up. Le modèle entrepreneurial est une autre façon d’organiser et de vivre le travail.
Israël est souvent cité comme un modèle de ‘start-up nation’. La France suit-elle ce chemin ?
L’exemple israélien montre que même une petite nation peut développer avec succès une activité économique très innovante au niveau mondial. Il y a en Israël des entrepreneurs talentueux, experts dans leur domaine, certes, mais il y a surtout un écosystème d’accompagnement de leurs start-ups qui facilite leur développement et leur permet de trouver les investissements dont ils ont besoin. Les entrepreneurs en Israël bénéficient de formations de haut niveau et de l’expérience acquise au travers de partenariats avec des grands groupes. Ces différents leviers commencent à porter leurs fruits dans l’écosystème des start-ups françaises. Et, de ce point de vue, la concentration des principales ressources (financières, expertises, réseaux…) en région parisienne est un point positif (même si cela pose évidemment des questions au niveau du développement des territoires).
Justement, dans quelles proportions l’écosystème français a-t-il progressé?
L’écosystème a connu une forte progression ainsi qu’en témoignent quelques chiffres contenus dans l’étude menée conjointement avec EY. On dénombre à ce jour en France 228 incubateurs et 49 accélérateurs, soit trois fois plus de « tiers lieux » consacrés à l’entrepreneuriat qu’en 2010. Autre chiffre révélateur : une moyenne de 1517 entreprises sont créées chaque jour dans l’hexagone. La France a été en 2016 le pays au monde où les grands groupes ont le plus collaboré avec les startups. Tous les acteurs du CAC 40 ont lancé des programmes allant dans ce sens. Le mouvement David avec Goliath, initié par Raise et dont la Chaire Entrepreneuriat d’ESCP Europe était partenaire l’an dernier, y a d’ailleurs largement contribué. L’idée de ce mouvement est d’unir la force de frappe des grandes entreprises françaises avec le génie créatif des Jeunes Entreprises de Croissance. L’impact de ces alliances est réel. Pour les grandes entreprises, elles insufflent une nouvelle culture de l’innovation, une plus grande réactivité en soutenant les jeunes sans les écraser. Elles les engagent aussi à repenser leur organisation. Pour les jeunes entreprises, c’est l’accès au déploiement. C’est surtout une chance supplémentaire de survie dans un pays où 50% des jeunes entreprises meurent avant 5 ans d’existence. Au niveau européen, la France n’a pas à rougir non plus : elle est dans le trio de tête en termes de capital innovation, de crowdfunding et de Corporate Venture Capital.
Avez-vous quantifié l’importance du phénomène start-up en France ?
Parfaitement. C’est en France que l’intention d’entreprendre chez les jeunes est la plus élevée parmi les pays de l’OCDE : 34% des étudiants veulent devenir entrepreneurs. Dans les trois meilleures écoles de commerce parisiennes, les diplômés qui deviennent entrepreneurs sont 10 fois plus nombreux qu’en l’an 2000. C’est une mobilisation sans précédent et dont les résultats sont très encourageants avec un engagement très fort des grandes écoles. Si on analyse l’origine des entrepreneurs français qui sont candidats au prix de l’entrepreneur de l’année EY, autrement dit des fondateurs d’entreprises en forte croissance, on constate qu’ils viennent en grande majorité d’une dizaine d’écoles (HEC, ESCP Europe, Essec, EM Lyon, Mines, Polytechnique, Centrale, Télécom, Sciences Po, Dauphine…).
Les start-ups ont la réputation d’être des entreprises fragiles. Est-ce aussi le cas des start-ups françaises ?
Comme dans tous les pays, les start-ups françaises restent des structures fragiles. La France a réussi à se hisser en leader pour ce qui est de la création de start-ups. En revanche, en termes de croissance, il y a un encore un déficit qui doit être comblé au plus vite si la France veut éviter le risque de voir tous les efforts consentis réduits à néant. A peine 50 entreprises françaises de moins de 8 ans ont levé plus de 15 M $, contre près de 1500 aux Etats-Unis sur la période 2014 et 2015. Les investissements en capital-innovation ont encore du chemin à parcourir : si parmi les cinq plus gros fonds en Corporate Venture Capital en Europe, trois sont français, les tickets moyens demeurent près de deux fois inférieurs à ceux pratiqués en Angleterre et près de trois fois à ceux pratiqués Allemagne. Le montant des investissements en Corporate Venture en France était aussi 24 fois inférieur à celui des Etats-Unis en 2015. L’écosystème français est en progrès, mais il lui reste encore à acquérir la maturité nécessaire pour affronter la concurrence mondiale. Il faut aussi que les actions des régulateurs français et européens ne soient pas un frein à leur développement ou qu’ils fassent la part trop belle aux start-ups américaines sur le continent européen. Comment arrivera-t-on à construire des modèles européens sur la base de celui qui a fait le succès de Blablacar ? Comment ces start-ups pourront se développer à l’international sans y perdre la propriété de l’entreprise ? Ne risque-t-on pas de former des talents en France pour les voir définitivement succomber aux sirènes de la Silicon Valley ? De nombreux défis attendent l’Europe sur ce terrain. L’ESCP Europe contribue d’ailleurs modestement à faciliter cette intégration via ses 6 campus qui permettent de faciliter les liens avec les écosystèmes (Paris, Berlin, Londres, Madrid, Turin et Varsovie). Autre initiative intéressante, le travail mis en place par Wonder Léon, en partenariat avec la Chaire Entrepreneuriat d’ESCP Europe, sous la responsabilité d’Hélène Mazzella qui vise à faciliter la venue des meilleurs talents dans les start-ups européennes.
L’étude fait-elle ressortir un profil type de l’entrepreneur ?
Le profil de l’entrepreneur français est très distinct selon qu’il s’agisse d’un travailleur indépendant ou d’un créateur de start-up. Dans le second cas, c’est souvent quelqu’un avec un haut niveau de formation, le plus souvent masculin (à près de 90%). Contrairement à certaines idées reçues, beaucoup des entrepreneurs qui réussissent ont plutôt autour de quarante ans. Cela ne remet pas en cause l’importance des expériences entrepreneuriales jeunes, qui parfois réussissent, mais qui permettent surtout d’apprendre à entreprendre.
Les grands enjeux à venir sont de rendre l’entrepreneuriat innovant à forte croissance plus accessible avec plus de profils issus des formations universitaires, notamment avec plus de profils de chercheurs (nettement moins représentés que dans d’autres pays de l’OCDE). Il faudra aussi faire un travail important pour féminiser la population des fondateurs de start-ups.
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Sylvain Bureau (Forbes) : « L’exemple israélien montre que même une petite nation peut développer avec succès une activité économique très innovante au niveau mondial.
Il y a en Israël des entrepreneurs talentueux, experts dans leur domaine, certes, mais il y a surtout un écosystème d’accompagnement de leurs start-ups qui facilite leur développement et leur permet de trouver les investissements dont ils ont besoin.
Les entrepreneurs en Israël bénéficient de formations de haut niveau et de l’expérience acquise au travers de partenariats avec des grands groupes.
Ces différents leviers commencent à porter leurs fruits dans l’écosystème des start-ups françaises. Et, de ce point de vue, la concentration des principales ressources (financières, expertises, réseaux…) en région parisienne est un point positif (même si cela pose évidemment des questions au niveau du développement des territoires). »
Sylvain Bureau, normalien agrégé en économie et Docteur de l’Ecole Polytechnique en sciences de gestion, est Directeur de la Chaire Entrepreneuriat d’ESCP Europe. Ses principaux sujets de recherche portent sur la subversion en entrepreneuriat sur lesquels il travaille avec des collègues de l’université de Stanford et de l’Université de Londres.
En lien avec ces travaux, Sylvain a créé Improbable, un séminaire pour apprendre à entreprendre par l’art (cf. dernière exposition en réalité virtuelle à Paris). Il a aussi co-fondé Storymakers, une application pour créer un pitch sur une page web.
/www.forbes.fr/