Difficile à croire aujourd’hui, mais il fut un temps où le secteur de la tech était une des plus enthousiasmantes réussites de la Russie. Après la chute du mur de Berlin, une communauté numérique bouillonnante s’était développée dans une relative indépendance. Et les années passant, de vrais poids lourds s’étaient constitués, de Yandex à VKontakte, en passant par Kaspersky et Group-IB.

Mais en 2023, ces virtuoses de la tech ont la gueule de bois. Les entreprises qui s’étaient ancrées à l’étranger sont désormais fermement priées de revenir au bercail. VK, propriétaire de VKontakte, le célèbre Facebook russe enregistré aux îles Vierges britanniques, a annoncé le 11 août qu’il se redomiciliait dans la région de Kaliningrad et ne serait plus coté à la Bourse de Londres.

En parallèle, le Kremlin impose ses propres chaperons aux sociétés numériques stratégiques, tel Alexeï Koudrine, un proche de Poutine arrivé à la tête de Yandex en décembre dernier. Selon un rapport du Citizen Lab de l’université de Toronto, dans les mois qui ont suivi l’invasion, le gouvernement russe a également fait supprimer 30 fois plus souvent que d’ordinaire des contenus sur VKontakte, telles que des critiques de Vladimir Poutine ou de la guerre. Ce serrage de vis s’est brutalement accentué depuis le début du conflit, mais il avait commencé en réalité il y a bien longtemps.

Cette stratégie aux effets économiques délétères a brisé les ailes de Yandex, l’un des fleurons technologiques du pays. Le Google russe avait réussi à capter environ 60 % du marché de la recherche en ligne au niveau national et se diversifiait à l’international avec habileté, dans le cloud, l’IA, les voitures autonomes, la labellisation de données… Des domaines dans lesquels son succès dépendait étroitement de sa capacité à travailler avec des partenaires et des fournisseurs occidentaux. Un casse-tête depuis que le conflit a éclaté.

Pour sauver les meubles et conserver ses liens avec l’Occident, Yandex a revendu à VK ses activités les plus polémiques, car très exposées à la propagande du Kremlin. Comme son agrégateur de news rempli de médias d’Etat vantant la prétendue « opération russe de dénazification » de l’Ukraine. Yandex travaille également à se scinder en deux, afin d’isoler les activités qui peuvent l’être de son pays d’origine – le business national, lui, resterait sur place. En juillet 2022, le spécialiste de la cybersécurité Group-IB avait emprunté cette même voie.

Pour autant, mettre la tech en cage ne réglera pas tous les problèmes de Moscou et si la Russie parvient à contourner en partie les embargos occidentaux qui la privent de composants technologiques stratégiques, comme les semi-conducteurs de pointe, ces mesures n’en mettent pas moins des bâtons dans les roues du secteur numérique russe.

Le plus inquiétant pour le pays reste toutefois la fuite des cerveaux, massive. Selon une note de l’Institut français des relations internationales (Ifri), plus de 1 million de Russes auraient quitté le pays depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Principalement de jeunes hommes aisés, urbains et très instruits. Un phénomène qui touche de plein fouet le secteur technologique. Le gouvernement russe estime que 100 000 informaticiens auraient quitté le pays en 2022, des chiffres sans doute en deçà de la réalité.

Des employés de Yandex, interrogés par la MIT Technology Review,estimaient qu’à peine 10 % des salariés de l’entreprise étaient encore présents dans les locaux russes en juin 2022. Face à la gravité de cette fuite des cerveaux, les autorités russes font des pieds et des mains pour retenir et attirer les professionnels du numérique. Ils leur proposent « des contrats à long terme, des salaires plus élevés et même… des hypothèques subventionnées (!) sur trente ans », détaille Vladislav Inozemtsev, dans la note de l’Ifri, précisant que « tout cela n’a que peu d’effet ». Difficile de faire croire aux lendemains qui chantent quand le bain de sang continue.

Source : L’Express – Résume Israël Valley

 

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