Les bouquinistes virés. De partout (même en Israël) on s’indigne. « C’est l’âme de Paris qu’on assassine ! »

Par |2023-08-08T07:23:32+02:008 Août 2023|Catégories : FRANCE-ISRAEL|

JO 2024 : à Paris, les bouquinistes virés de la Seine. En Israël de nombreux articles en parlent. IsraelValley aussi… La parole est à Pierre Assouline, écrivain et journaliste, membre de l’académie Goncourt.

SELON L’EXPRESS : « Jeux olympiques 2024 oblige, les quelque 150 vendeurs de livres et estampes nichés au bord du fleuve seront sommés de déplacer leurs fameuses boîtes, regrette notre chroniqueur.

Les bouquinistes parisiens, présents depuis 450 ans sur les quais de Seine, refusent d'être déplacés par les autorités pour assurer la sécurité de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques

Les bouquinistes parisiens, présents depuis 450 ans sur les quais de Seine, refusent d’être déplacés par les autorités pour assurer la sécurité de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques.

A Paris, la Seine coule entre des livres et des gravures depuis quelques siècles. On dit qu’ils l’empêchent de déborder. Combien d’autres villes à travers le monde peuvent s’enorgueillir d’un pareil privilège ? C’est une façon de voir les choses. Une autre consisterait à préciser que d’un côté du fleuve siège la mairie de Paris et de l’autre la Préfecture de police. En ce moment et pour les douze mois à venir, elles ont un souci commun : les Jeux olympiques d’été Paris 2024.

Il s’agit de sécuriser l’espace

Puisque pour la première fois de leur histoire la cérémonie d’ouverture se déroulera hors stade, ce ne pourra être que sur la Seine. Il n’est pas de plus bel écrin pour ce défilé. En principe, malgré leur excellence dans la performance, il n’est pas prévu que les athlètes marchent sur l’eau. Les 10 500 sportifs navigueront donc d’est en ouest, du pont d’Austerlitz au pont d’Iéna, sur des embarcations prévues à cet effet sous les yeux de 600 000 spectateurs. Entre des livres et des gravures, ce serait bien le moins pour la capitale d’une nation qui passe pour littéraire. Cela aurait de la gueule. Sauf que les organisateurs ont averti à la mi-juillet que les bouquinistes devaient démonter leurs boîtes, dégager et faire place nette.

Tollé ! Haro sur les bouquinistophobes ! La mairie se défend : il s’agit de sécuriser l’espace à commencer par les gradins et de libérer la vue pour accueillir les spectateurs de la fameuse cérémonie d’ouverture mais aussi ceux des épreuves nautiques. La préfecture itou : il faut parer à la menace terroriste et permettre aux démineurs de déminer le long des parapets en vertu d’un article du Code de la sécurité intérieure. On le sait bien : le problème dans la vie, c’est que chacun a ses raisons. Les intéressés aussi.

A la moindre indélicatesse, les boîtes peuvent se briser

Ce qui les révolte, ce n’est pas de fermer boutique (tout Parisien doué de raison devrait fuir Paris en juillet prochain) mais de la déplacer. Sur les 230 bouquinistes inscrits au registre du commerce, environ 150 de ces autoentrepreneurs sont donc priés d’aller voir ailleurs avec leurs quatre boîtes, maximum autorisé. Or ces fameuses boîtes sont aussi anciennes que ce qu’on y trouve. Leur fragilité les rend difficilement démontables, transportables et remontables. Souvent leurs boulons sont rouillés ; leur étanchéité tient à un réglage millimétré hérité d’un savoir-faire ignoré des déménageurs ; à la moindre indélicatesse, elles peuvent se briser ; chacune est unique.

A la préfecture, « le bureau des interventions et de la synthèse » (un nom pareil, il fallait y penser) qui gère le dossier a dû s’en délester auprès d’un algorithme fou avant de demander à l’intelligence artificielle comment rendre les parapets orphelins sans se les mettre à dos. De partout on s’indigne. C’est l’âme de Paris qu’on assassine ! D’un côté, des bouquinistes raillent les beaux esprits qui s’enflamment pour leur cause en observant que si ces derniers s’étaient faits moins rares, ils n’auraient pas de problèmes de fins de mois en début de mois ; de l’autre, on remarquera que la majorité des lecteurs le sont avant tout de nouveautés qu’ils ne sont pas censés trouver dans les boîtes (en principe…).

Certains bouquinistes menacent de s’enchaîner à leurs boîtes

De plus, tourisme oblige et nécessité faisant loi, les livres anciens ont de plus en plus tendance à laisser la place aux images en tous genres (cartes postales, photos, estampes, gravures, affiches, Unes historiques de journaux, etc.) sur les étals des bords de Seine, même si une boîte sur quatre a le droit de vendre plus de souvenirs que de livres et d’estampes.

Certains bouquinistes menacent de s’enchaîner à leurs boîtes, d’autres d’y mettre une enclume. Leur emblème est ainsi blasonné : « D’azur party de gueules à la boîte à bouquins soutenue de pierres, au chef d’argent au lézard convoitant l’épée ». Car à l’instar du reptile, ils cherchent le soleil ; quant à l’arme blanche, les libraires avaient autrefois le privilège de la porter. Les bouquinistes de la Seine, combien de divisions ? Pour l’instant, ils présentent un front uni. Mais le temps presse. Un ultimatum leur a été lancé par la mairie : d’ici la fin de ce mois, l’affaire doit être réglée.

Qu’ils acceptent de s’exiler ailleurs dans Paris ou pas, on ne leur propose pour toute indemnité que de rénover leurs boîtes alors que tout le processus les empêchera de travailler pendant des mois. La mairie propose, la Préfecture dispose. Or celle-ci n’en a que pour la sécurité. Tout le reste n’est que littérature ».

* Pierre Assouline est écrivain et journaliste, membre de l’académie Goncourt

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