EDITORIAL. LIBRE PAROLE. Guy Konopnicki. La France est décidément le pays des mots, après une semaine de polémique sur un mot du président Macron, qui n’avait pas tort d’utiliser l’expression du philosophe Norbert Elias, pour évoquer les comportements mais aussi les idéologies qui défont la vie civile, voici que le président polémique à son tour, sur un mot d’Élisabeth Borne.
La Première ministre avait simplement nommé un chat un chat en disant que le Rassemblement National est l’héritier de Pétain.
Cet héritage, Jean-Marie Le Pen l’a longtemps revendiqué. Il savait, lui, ce qu’il devait aux co-fondateurs de son parti, à André Dufraisse, que les militants appelaient affectueusement Dédé Panzer, parce qu’il avait porté l’uniforme allemand, non dans les chars mais dans le 639ème régiment d’infanterie de la Wehrmacht, où s’étaient enrôlé les volontaires français désireux de combattre aux côtés des nazis. Le sergent recruteur de ces piteux soldats, qui détalèrent devant l’Armée Rouge à Kharkov, se nommait Victor Barthélémy, bras droit de Jacques Doriot, il se vanta dans ses mémoires d’avoir été l’interlocuteur du chef de la SS en France. Il fut, aussi, secrétaire général du Front National. Oh, Marine était encore gamine, quand Jean-Marie Le Pen prononça l’oraison funèbre de Victor Barthélémy, mais elle était adulte, quand il prononça celle d’André Dufraisse, en évoquant ses camarades qui avaient combattu en Ukraine dans les rangs de l’armée allemande.
La liste est longue, des pétainistes qui entourèrent Le Pen. Certes, il y en avait aussi ailleurs, mais contrairement à ce que disent les députés RN quand ils répondent à Élisabeth Borne, Maurice Papon ne fut pas ministre du général De Gaulle, seulement préfet, fonctionnaire aux ordres, il devint député quelques mois avant le départ du Général, et ministre de Valéry Giscard d’Estaing.
La France est ainsi, elle a mis 50 ans à reconnaître, par la voix de Jacques Chirac que son gouvernement et ses fonctionnaires avaient commis l’irréparable, en se rendant complice du crime contre l’humanité. Oui, il y eût bien des complaisances, dans tous les partis, de droite et de gauche, avec d’anciens pétainistes, on pouvait comprendre le pardon à ceux qui s’était fourvoyés à Vichy, mais qui avait ensuite rejoint, certes tardivement la Résistance ou les armées de la France Libre. Résister, combattre, à partir de 1943, comme François Mitterrand, c’était tardif, mais dangereux, le risque pris chaque jour justifiait l’oubli des fautes commises au début.
Mais le Rassemblement National est bien autre chose. Ce n’est pas un parti qui, comme tous, gaulliste compris, a accepté de recycler d’ancien pétainistes. Il a été fondé, sous le nom de Front National, par les pires des Kollabos, dont plusieurs avaient été condamnés pour haute trahison, avant de bénéficier des lois d’amnistie. Ils n’étaient pas repentis, ils ne cachaient pas leur passé, ils ne reniaient pas l’antisémitisme et pas même la collaboration. Le Front National a longtemps relayé, dans sa presse et dans ses manifestations, la propagande négationniste. Jean-Marie Le Pen lui-même a été condamné par la justice, pour avoir traité l’extermination des juifs et les chambre à gaz de « point de détail ». L’un de ses proches, Bruno Gollnisch, ex-vice-président du FN, aujourd’hui à la retraite, invité il y a une semaine dans une émission de radio a tranquillement assumé son combat pour falsifier l’histoire, combat qu’il mena aussi au sein de l’Université, en défendant les auteurs de thèses négationnistes.
Le Front National a changé de nom, mais curieusement, il a repris celui d’un parti de la collaboration, et non des moindres, le Rassemblement National de Marcel Déat. Il n’a pas fondamentalement changé. Marine Le Pen a eu comme conseiller Alain Soral, elle garde auprès d’elle ses amis de l’extrême-droite musclée des facs de droit, les « Gudards », Axel Lousteau et Frédéric Châtillon, par exemple, anciens trublions antisémites devenus hommes d’affaire, présents dans les montages financiers des campagnes de Marine Le Pen.
Le Rassemblement National a seulement ajouté l’hypocrisie et l’opportunisme au vieux fond de commerce pétainiste de l’extrême-droite. Mais Pétain lui-même avait donné l’exemple, en prétendant avoir protégé les juifs français qu’il avait livré aux nazis.
Elisabeth Borne sait de quoi elle parle. Elle a vécu les conséquences directes de la tragédie, par un père, juif et résistant, à jamais marqué par les mois passés à Auschwitz. Elle affronte, courageusement, à l’Assemblée nationale, la haine viscérale des députés RN, certes moins bruyants que les agités du bocal mélenchonnien, mais elle reconnaît ce vieux fond qui caractérise l’extrême-droite. Les héritiers de Pétain, sans nul doute.
Merci, Madame la Première ministre de briser l’hypocrisie, il n’y a aucune raison de vous rappeler à l’ordre, vous ne l’avez pas troublé, vous l’avez rétabli.
Guy Konopnicki
RADIO J.