(Editorial de D.R.) Le journaliste et éditorialiste Daniel Haïk, journaliste-star du monde francophone israélien, très écouté dans la diaspora francophone, vient de produire un « article d’opinion » d’une grande franchise sur les travers des médias israéliens.

S’attaquer à Ilana Dayan (Docteur Honoris Causa) est assez étonnant. Mais finalement pourquoi pas? Elle a toujours été la cible de critiques virulentes des pro-Bibi.

Elle fait partie des (rares!) journalistes israéliens d’investigation qui font honneur à la presse d’un pays qui se déchire.

Sur Wikipédia : « Ilana Dayan-Orbach est une journaliste d’investigation, présentatrice et avocate israélienne. Elle est surtout connue comme animatrice de l’émission de télévision d’investigation Uvda sur la chaîne israélienne 12 ».

Suggestion à Daniel Haïk : organisons, sur i24News où à l’Université de Tel-Aviv, en présence d’Ilana Dayan, un débat contradictoire.

EDITORIAL OPINION DANS I24NEWS.

Opinion: Comment la presse israélienne a joué la carte de l’activisme anti-gouvernemental

Daniel Haïk – i24NEWS

Analyste politique i24NEWS

Daniel Haïk
i24NEWS/i24NEWSDaniel Haïk

Au cours des derniers mois, la presse et les médias israéliens ont choisi d’élever vers des sommets insoupçonnés leur rôle de chien de garde de la démocratie

Alors que les politiciens israéliens se demandent si la réforme judiciaire est morte, agonisante, ou encore bien vivante, il est grand temps de se pencher sur le rôle souvent négatif et même nocif joué par l’ensemble de la presse et la plupart des médias israéliens au cours de ces cinq derniers mois dans ce dossier, et sur leur responsabilité dans la crise qui secoue aussi puissamment la société israélienne.

Précision introductive: pour éviter de faire des généralités, mais par souci de précision, lorsque nous utilisons le terme de « presse israélienne  » ou « médias israéliens », nous incluons la plupart des médias et des journaux dominants en Israël (ex: le Yediot Aharonot, le Maariv et le Haaretz, les chaines de télévision 12 et 13 et les médias du service public Kan). Le Israël Ayom, premier quotidien israélien dans sa diffusion était dans le passé considéré comme inféodé à Benyamin Netanyahou. Mais aujourd’hui, il a opté pour une ligne électorale plus neutre, légèrement au centre-droite.

1. La presse israélienne mobilisée aux côtés des manifestants anti-réforme

Le ministre de la Justice Yariv Levin a présenté « sa » réforme judiciaire le 5 janvier dernier, soit une semaine après la formation du 6e gouvernement Netanyahou. Les manifestations hostiles à cette réforme ont débuté dès le samedi soir suivant 7 janvier, et elles n’ont pas cessé depuis. D’emblée, la couverture médiatique de ces rassemblements a été hors normes : de multiples équipes de télévision ont été mobilisées pour  » couvrir », chaque samedi soir, la protestation. Mais cette « couverture » n’a pas été seulement massive ; elle est très vite devenue complaisante. Ainsi, les chaines de télévision se sont rapidement alignées sur les données des organisateurs, et non de la police, quant au nombre de participants, des données dont la véracité était impossible à vérifier. Qui plus est, les journalistes israéliens ont aligné leur sémantique sur celle des organisateurs de la campagne : au départ, ils ont parlé de « réforme judicaire ». Mais très vite, ils ont opté pour la « révolution », voire même le « putsch » judiciaire. Souvent, les sites d’informations allaient jusqu’à indiquer les heures et lieux des manifestations locales ! La presse a également partagé les images de drones des organisateurs filmant de haut les manifestants à Tel Aviv. Enfin, les médias ont pris soin d’insister sur l’océan de drapeaux bleus et blanc mais ont soigneusement masqué la présence de dizaines de drapeaux palestiniens, qui auraient fait fuir certains des protestataires.

2. Absence totale d’équité dans le débat d’idée  

Outre la couverture tendancieuse des manifestations, la presse israélienne n’a pas cherché l’équité dans le débat d’idée autour de la réforme. Alors que les opposants à la réforme étaient légions sur les plateaux télé, les partisans, appartenant pourtant à la majorité parlementaire, ont quasiment disparus du radar.

De nombreux Israéliens parmi ceux qui ont voté le 1er novembre à droite ont résisté à ce « lavage de cerveau » médiatique et ont abandonné, ces dernières semaines, les JT des chaines de télévision généralistes

Souvent les prévisions apocalyptiques des opposants ont pris le pas sur la réalité objective. Exemple : en multipliant les interviews d’économistes et de patrons de high-tech particulièrement pessimistes sur l’impact de la réforme, les médias ont créé puis alimenté un climat de psychose, et ce avant même que la plus infime clause de la réforme n’ait été votée ! Et naturellement cette psychose s’est « exportée » vers l’étranger, contribuant ainsi à amplifier l’incertitude sur les marchés financiers. Ainsi, avant même qu’elle n’entre en vigueur, la réforme avait déjà causé des dégâts irréparables à l’économie israélienne, et les médias avaient véhiculé, à l’extérieur d’Israël, l’image d’un pays en passe d’être piétiné par la botte du dictateur Netanyahou et de ses « suppôts » Ben Gvir et Smotrich ! D’ailleurs, de nombreux Israéliens parmi ceux qui ont voté le 1er novembre à droite ont résisté à ce « lavage de cerveau » médiatique et ont abandonné, ces dernières semaines, les JT des chaines de télévision généralistes pour trouver refuge dans le giron de la Chaine 14, la plus jeune des chaînes de télévision, mais aussi la plus ouvertement politisée à droite, qui a vu son audimat grimper en flèche.

3. L’irresponsabilité de la presse israélienne face aux « journées sacrées »

 La Journée du souvenir à la mémoire des soldats tombés au combat et la Journée de l’Indépendance, sont deux journées sacrées dans le calendrier de l’Etat d’Israël. Deux journées au cours desquelles les Israéliens savent, d’abord, se recueillir et, ensuite, célébrer à l’unisson. Dans la perspective de ces deux journées sacrées, la presse israélienne avait cette année une mission suprême : appeler les Israéliens à mettre de côté le débat aigu sur la réforme pour accorder la priorité à l’unité de la nation. Malheureusement, elle a failli à cette mission : au lieu de mettre en avant les risques que pouvaient entrainer des manifestations de protestation dans les cimetières militaires, certains présentateurs influents ont joué la carte de l’audimat. Ils ont préféré pousser à l’incitation à la haine, et ont légitimé tout coup d’éclat que les protestataires anti-réforme pourrait initier. C’était irresponsable ! Fort heureusement, il faut saluer la maturité des Israéliens qui, dans leur immense majorité, ne sont pas tombés dans ce piège et ont choisi de mettre entre parenthèses la protestation durant ces 48 heures hors du temps.

4. Le cas radical du Haaretz

Le quotidien d’extrême gauche qui revendique une ligne éditoriale post-sioniste a poussé à l’extrême la mobilisation anti-réforme. Exemple : dès le début du mouvement de protestation, le patron du Haaretz Amos Shoken a démis de ses fonctions l’un de ses plus célèbres éditorialistes, le Dr Gadi Taub, non pas parce que celui-ci est passé, au cours de la dernière décennie, de la gauche vers la droite mais parce que, comme la dit Shoken, « le positionnement de Taub n’est plus légitime. Taub est un agent du chaos dont il faut prendre garde ! » Preuve qu’il peut y avoir dans le très libéral Haaretz quelques pincées de conduite dictatoriale ! Par ailleurs, on ne compte plus, dans le Haaretz, les éditoriaux dénonçant la réforme judiciaire, l’assimilant à des coups d’Etat et comparant le gouvernement Netanyahou aux régimes fascistes les plus radicaux. Dans le meilleur des cas…

5. Le monologue surréaliste d’Ilana Dayan 

Ilana Dayan est l’une des plus célèbres journalistes en Israël. Une sorte d’Anne Sinclair qui gère, depuis de longues années, « Ouvda », une version israélienne du magazine Envoyé Spécial. Fin mars, après le limogeage de Yoav Galant par Netanyahou, Ilana Dayan a franchi le rubicon : elle a ouvert son émission par un monologue stupéfiant, dans lequel elle a appelé les Israéliens à « se dresser » contre la réforme: « Vous devez choisir de quel côté de l’Histoire vous vous placez ! », a-t-elle lancé. Mais, plus amusant, Dayan a introduit son monologue en affirmant que la situation l’obligeait, « pour la première fois », à prendre position.

Beaucoup de téléspectateurs ont jugé cela pathétique. Car tout Israélien qui se respecte et qui possède un minimum de flair politique (et ils sont nombreux !) sait qu’Ilana Dayan se situe quelque part entre le Parti Travailliste et le Meretz….! Il suffit de découvrir les dossiers qu’elle traite dans son émission, pour comprendre qu’elle n’est pas militante nationaliste. Exemple récent : une interview d’une heure d’un ancien informateur du Shin Bet qui avait fréquenté Ygal Amir, l’assassin d’Itzhak Rabin. Un entretien qui n’apprenait rien de neuf sur cette page d’histoire douloureuse, mais qui, comme par hasard, a permis de se focaliser sur les activités subversives de l’actuel ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir, alors qu’il n’avait pas encore 18 ans…

Au cours des derniers mois, la presse et les médias israéliens ont donc, dans l’ensemble, choisi d’élever vers des sommets insoupçonnés leur rôle de chien de garde de la démocratie. Ils ont décidé de s’identifier massivement à la campagne contre la réforme judiciaire, en oubliant peut-être trop vite que c’est la démocratie israélienne qui a élu l’actuel gouvernement !

Sur le plan politique, cette campagne est couronnée de succès. La réforme judiciaire ne sera pas votée dans sa forme initiale. Reste désormais à savoir si le prix payé par la presse, de s’allier ouvertement aux protestataires, ne sera pas trop lourd à porter. Car pour de très nombreux Israéliens qui ont voté en faveur de l’actuelle majorité parlementaire, en se positionnant ainsi, la presse israélienne a perdu le peu de crédibilité qui lui restait. Enfin, cette campagne anti-réforme a permis de constater que, même s’il y a, dans la presse, des journalistes qui n’ont pas peur de s’identifier à la droite nationaliste, comme le pertinent Amit Segal (Ch12) ou encore comme le perspicace Kalman Liebskind (Maariv, Kan), ceux-ci ne disposent pas de la marge de manœuvre nécessaire pour rééquilibrer les lignes éditoriales trop orientées de leur médias respectifs. C’est regrettable. La presse israélienne est peut-être libre, mais elle ne s’est pas encore vraiment débarrassée du carcan de la pensée unique et ce faisant, elle n’a apporté, ces derniers mois, aucune contribution positive au débat qui divise aujourd’hui la société israélienne.

Partager :