EDITORIAL. I24NEWS. En trois mois à peine, la coalition a dilapidé l’un des plus éclatants succès politiques de la droite israélienne
Les causes de ce revers sont nombreuses :
D’abord, la campagne de protestation formidablement bien orchestrée, à coups de millions de shekels, venus d’Israël et de l’étranger, par les opposants à la réforme. De facto, avec cette campagne, l’opposition s’est accaparée, dans la rue, le pouvoir qu’elle n’a pas obtenu le 1er novembre dernier dans les urnes. Et elle ne l’a pas lâché jusqu’à ce que Netanyahou mette un genou à terre. Grâce à un soutien massif des médias israéliens engagés à ses côtés, grâce à une conseillère juridique du gouvernement devenue véritable cheval de Troie anti-réforme, grâce à une stupéfiante complaisance de l’état-major militaire envers des réservistes qui ont menacé de ne plus servir si la réforme était votée et enfin, grâce à un usage terriblement abusif d’une sémantique-catastrophe sur les risques de « dictature », les opposants à la réforme ont finalement obtenu gain de cause.
Une coalition gouvernementale ivre de pouvoir.
Mais ce succès de l’opposition aurait pu ne jamais se concrétiser… sans la (trop) nette victoire de la droite israélienne lors du scrutin du 1er novembre, et l’ivresse du pouvoir qu’elle a provoquée dans les rangs de la coalition. Personne à droite n’avait envisagé un scenario aussi favorable. Le score de 64 députés sur les 120 sièges à la Knesset a été tellement inattendu que les vainqueurs du scrutin se sont ensuite cru tout permis.
Privée de gouverner pendant un an et demi, la droite est revenue au pouvoir assoiffée d’action. Comme s’ils s’étaient installés sur le toit du monde avec leur 14 députés, Ben Gvir et Smotrich ont méprisé leurs adversaires. Arié Dery a fait voter une loi spéciale pour lui permettre de redevenir ministre. Et, enivré par l’air des sommets, le ministre de la Justice Yariv Levin s’est empressé de présenter sa réforme judiciaire, cinq jours à peine après la formation du gouvernement. Sans le moindre débat au sein du gouvernement, sans la moindre concertation avec l’opposition.
Au lieu d’agir avec ruse et habileté comme l’avait fait dans les années 90 le juge Aaron Barak pour enclencher sa « révolution judiciaire », Levin et Rothman ont préféré mettre les pieds dans le plat. Au lieu d’administrer cette réforme à petites doses et discrètement, ils ont préféré jeter un véritable pavé dans la mare ! Alors que la colère de l’opposition grondait, Levin s’est montré arrogant et surtout incapable de mesurer les conséquences de sa démarche. Ce dédain, la coalition l’a encore démontré en ne prenant aucune mesure pour contrer la protestation du boulevard Kaplan. Ainsi, sous le stupide prétexte que le pouvoir n’a pas besoin de descendre dans la rue, la droite a laissé cette rue aux servantes écarlates et à ses plus farouches opposants… qui ne se sont pas fait prier. Lorsque l’on voit la mobilisation massive des militants nationalistes ce dimanche 27 mars à Jérusalem (près de 100 000 personnes en quelques heures), la droite peut avoir aujourd’hui de profonds regrets de ne pas avoir quitté plus tôt son « after-party » post-électorale.
Un Benjamin Netanyahou aux abonnés absents ?
Benjamin Netanyahou n’est pas exempt de critique. Certains diront que, depuis le 1er novembre, il n’a pas raté une occasion de se tromper entre la laborieuse formation de son gouvernement ou l’attribution de portefeuilles trop généreuse et peu adaptée à la droite sioniste religieuse… Lors de la formation du gouvernement, Netanyahou avait promis à l’administration Biden, inquiète de la forte présence du tandem Smotrich-Ben Gvir, qu’il « tiendrait solidement le volant de son gouvernement ». De facto, le Premier ministre a donné l’impression de gouverner en roue libre : il n’a pas sanctionné les déclarations intempestives de ses partenaires radicaux et les a même parfois justifiées.
Quant à la réforme de la justice, il a préféré s’aligner, dans les limites imposées par la conseillère juridique, sur la ligne dure de Yariv Levin plutôt que d’entamer un dialogue sur la voie d’un compromis…. Pour, au final laisser la situation se dégrader, limoger un Yoav Galant qui était jusque-là l’un de ses plus fidèles alliés, puis céder sous la pression populaire.
Plus d’une fois, dans le passé, Netanyahou a formé un gouvernement à l’aide d’une coalition étriquée de 61 députés. Paradoxalement, une coalition élue de peu avait imposé une discipline de fer et donc une stabilité rassurante, tandis que la victoire massive de la droite le 1er novembre a eu l’effet inverse: au lieu de rassembler les forces, elle les a dispersées. Au lieu de pousser les élus à plus d’humilité, elle a gonflé leur ego.
Au lieu de favoriser la gouvernance, elle l’a laminée. Résultat: en trois mois à peine, la coalition a dilapidé l’un des plus éclatants succès politiques de la droite israélienne. Elle se retrouve certes au pouvoir, mais défaite, amère, et surtout de plus en plus désavouée par une partie de son électorat. Les derniers sondages le confirment: ils n’accordent plus au Likoud que 25 mandats, sept de moins que ceux obtenus en novembre ! Et 54 seulement pour l’ensemble de la coalition, soit 10 de moins que dans l’actuelle Knesset.
De telle sorte que si toute défaite prépare la prochaine victoire, il s’avère également que toute victoire trop nette porte, en elle, les germes de la défaite ou de l’échec. Cela s’est vérifié, à l’échelle internationale, après le traité de Versailles en 1919, qui a conduit l’Allemagne à ruminer sa vengeance et à l’assouvir en 1939. A l’échelle israélienne, cela s’est confirmé après la victoire éclair de Tsahal durant la guerre des Six Jours qui a enclenché l’éternel débat autour des territoires. Et aujourd’hui, cela se confirme encore après l’annonce du gel de la réforme judiciaire par Benjamin Netanyahou….
DANIEL HAIK. COPYRIGHTS. I24NEWS.