OPINION- « Madame Hayut, pourquoi tant d’Israéliens ont perdu confiance en leur justice ? »
La colère, c’est bien connu, est mauvaise conseillère. Mais l’arrogance l’est plus encore. Et la présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, a su jongler avec les deux, lors de l’attaque frontale à laquelle elle s’est livrée contre la réforme juridique du ministre Yariv Levin. Et en accusant cette réforme de « vouloir détruire de la démocratie » israélienne, la présidente Hayut ne s’est pas contentée de descendre exceptionnellement de son Olympe pour parler au « petit peuple », elle s’est, de facto, placée en tête de la manifestation de protestation à Tel Aviv, et organisée par des ONG anti-gouvernementales de gauche et d’extrême gauche.
Elle a pris position dans un débat politique et a ainsi perdu son statut officiel de personnalité impartiale qui fait justice selon la loi, sans dévier « à gauche ou à droite ». Comme si Madame la Juge venait, d’un seul coup d’éclat, confirmer des décennies de soupçons de parti pris et de partialité de la part de la Cour suprême ! Dommage….
Dans la bouche de la présidente Hayut il y avait non seulement des menaces d’apocalypse si la réforme Levin était votée, mais aussi un incroyable aplomb : pas un seul mot d’introspection ! Pas d’examen de conscience ! Pas un seul semi-aveu d’erreurs commises au fil des ans ! Pas la moindre explication au fait qu’en trente ans, la confiance de l’opinion publique israélienne a baissé de 30 % ! Pas de réaction au fait que 51 % des Israéliens considèrent que la Justice israélienne est corrompue !
Pour la juge Hayout, qui dans l’absolu devrait manipuler avec dextérité le sens de la nuance, la réalité israélienne est binaire : l’exécutif est dans l’erreur. Par contre, le système juridique, lui est parfait et il se porte comme un charme. Non, Madame la présidente ne voit pas où est le problème… Pour elle, être à l’écoute des Israéliens, c’est opérer des changements « cosmétiques », tels que l’entrée des caméras dans les salles d’audience ! Pathétique !
De qui se moque Madame la juge lorsqu’elle prétend que, si la « loi de contournement » (qui accorde à la Knesset le dernier mot sur la Cour suprême dans la validation de lois) était votée, cela priverait la Cour de protéger les Droits de l’Homme et du citoyen israélien ? Sait-elle, Madame la présidente que, depuis un certain 9 juin 2005, des dizaines, voire des centaines de milliers d’Israéliens considèrent que la Cour suprême a une interprétation à géométrie variable du respect des « Droits de la l’Homme et du citoyen » ?
Car ce jour-là, pas moins de 14 des 15 juges (!) de la Cour suprême, fidèles disciples de l’Ecole d’activisme juridique du juge Aaron Barak, ont repoussé des recours déposés par des habitants du Gouch Katif dans le sud de la bande de Gaza et ont refusé de s’immiscer dans la loi qui visait à expulser ces 10 000 Israéliens qui s’y étaient installés avec la bénédiction de tous les gouvernements israéliens (de gauche comme de droite) !
Il suffit de demander, aujourd’hui encore, à un habitant expulsé du Gouch Katif ce qu’il pense de l’impartialité de la Cour suprême…
Le seul juge à avoir voté en faveur d’une ingérence était, comme par hasard, le seul juge sépharade et religieux de la Cour, Edmond Levy qui, quelques années plus tard, expliquera, dans une publication édifiante, pourquoi selon le droit international, la Judée la Samarie et la Bande de Gaza ne peuvent être qualifiés de « Territoires Occupés » !
Soudain donc, l’activisme juridique, qui avait conduit ces mêmes juges à défendre, depuis 2003, les droits des Palestiniens dont les champs allaient être séparés par la fameuse barrière de sécurité, s’est tu, brusquement, face à la détresse de citoyens israéliens qui devaient être chassés de leur maison !
Il suffit de demander, aujourd’hui encore, à un habitant expulsé du Gouch Katif ce qu’il pense de l’impartialité de la Cour suprême… Et c’est sans parler des tribunaux et du Parquet qui avaient toléré, à cette même époque, l’arrestation et la détention abusive, pendant des semaines, d’adolescents israéliens dont le seul crime était de protester contre cette expulsion. Où étaient les juges de la Cour Suprême pour défendre leurs droits de citoyens ?
Et lorsque Madame Hayout affirme, qu’en trente années la Cour suprême n’a « cassé » qu’une vingtaine de lois ou d’extraits de lois votées par la Knesset, il s’agit là une présentation biaisée qui fait totalement abstraction des centaines de décisions de la Cour, fruits de l’activisme juridique « barakien », considérées comme partiales et tendancieuses, voire même teintées de « politisation ».
Jeudi soir, Madame Hayut a soigneusement évité certains dossiers qui ont contribué à ternir l’image de marque de la Justice israélienne, ces trente dernières années.
Et ce n’est pas son seul oubli : jeudi soir, Madame Hayut a soigneusement évité certains dossiers qui ont contribué à ternir l’image de marque de la Justice israélienne, ces trente dernières années. Des rappels ? En 1996, Netanyahou élu alors au suffrage universel direct nomme le professeur Yaacov Neeman ministre de la Justice. Neeman, qui est un juriste intègre et de renommée, ne cache pas alors son intention d’instruire une réforme visant à neutraliser les premiers effets « problématiques » de la « révolution activiste d’Aaron Barak ». Neeman rencontre le conseiller juridique du gouvernement Rabin-Peres, Michael Ben Yaïr, et lui fait part de son intention de le limoger. Quelques jours plus tard, Ben Yaïr annonce… l’ouverture d’une enquête judiciaire contre le professeur Neeman qui est contraint de démissionner.
La presse israélienne, en état de post-traumatisme après l’arrivée au pouvoir de Netanyahou, amplifie l’affaire et multiplie les manchettes accablantes… Quelques mois plus tard, l’enquête n’aboutira à aucune inculpation et Neeman sera totalement blanchi. Mais au moins, il aura été écarté du ministère de la Justice par les patrons du Parquet, adeptes d’Aaron Barak. Autre exemple ? En 2001, Reouven Rivlin est candidat au poste de ministre de la Justice dans le premier gouvernement Sharon en 2001. Lui aussi, comme Neeman, est considéré comme un opposant farouche à l’activisme juridique d’Aaron Barak et de ses acolytes. A la veille de la formation du gouvernement, une enquête judiciaire est ouverte contre Rivlin. Sept soupçons liés à des écoutes téléphoniques sont avancés. Cela contraint Rivlin à retirer sa candidature et à devenir, par défaut, ministre des Communications… Là encore, l’enquête n’aboutira pas et Rivlin, qui aujourd’hui se range du côté du monde de la Justice, sera totalement blanchi. Au fil des ans, d’autres personnalités considérées comme opposantes à l’activisme juridique ont été inquiétées par le Parquet israélien. En vain… Etrange, n’est-ce pas ?
Les médias parlent de confrontation ouverte, de bataille sans précédent, d’explosion et même de guerre civile
Voila donc pourquoi un peu d’humilité de la part de la juge Hayout, et au passage également de la part de la Conseillère juridique du gouvernement, Galit Bahrav Miara, qui n’a pas hésité à se positionner contre le gouvernement qu’elle est censée conseiller, n’aurait pas fait de mal.
Après les propos d’Esther Hayut et la réaction elle aussi courroucée du ministre de la Justice, Yariv Levin, les médias parlent de confrontation ouverte, de bataille sans précédent, d’explosion et même de guerre civile. Comme d’habitude, en Israël, la presse et les médias préfèrent alimenter les flammes de la division plutôt que de les amoindrir. Et c’est bien regrettable.
Certes, on peut comprendre que la réforme de Yariv Levin puisse choquer et inquiéter ceux qui n’ont pas voté pour l’une des formations politiques de l’actuelle coalition. Mais l’on doit aussi comprendre que celle-ci est le reflet d’une réelle aspiration de plus d’une moitié de la population à retrouver un système juridique quI soit plus équitable, plus discret, et qui soit conduit par des juges et des juristes totalement impartiaux.
Lorsqu’au lieu de crier à l’assassinat de la Démocratie, les juges israéliens auront accepté de comprendre les profondes motivations de la réforme juridique de Levin et sa volonté de corriger des imperfections, alors les esprits se calmeront peut-être et il sera temps alors d’entamer un dialogue constructif entre les différentes composantes politiques et idéologiques de la société israélienne. Et peut-être qu’alors, d’un commun accord, des rectifications seront introduites dans cette réforme. Pour restaurer enfin le blason terni de la Justice israélienne… »