« Nous assistons à la naissance en France d’une gauche tendance Corbyn ».
ENTRETIEN. Yonathan Arfi, nouveau président du Crif, réagit au projet de résolution hostile à Israël déposé à l’Assemblée par des députés de la Nupes.
C’est une proposition de résolution qui pourrait bien faire exploser la Nupes, qui ne cesse de se quereller sur les questions d’antisémitisme depuis son arrivée dans l’hémicycle… Le 13 juillet, une quarantaine de députés de la Nupes, majoritairement issus de La France insoumise, du PCF et des écologistes, ont déposé une proposition de résolution « condamnant l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien ».
Ce très long projet commence de la sorte : « “Notre liberté est incomplète sans celle des Palestiniens.” Par ces mots, prononcés en 1997, à l’occasion du 20e anniversaire de la Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien, Nelson Mandela constatait que si l’Afrique du Sud s’était libérée du régime d’une minorité raciste, le monde n’était pas encore libéré du crime d’apartheid. »
S’il n’a à peu près aucune chance d’être adopté, ce projet de résolution sème la zizanie au sein de la Nupes. C’est le député PS de l’Essonne Jérôme Guedj (membre de la Nupes) qui a braqué les projecteurs sur ce projet de résolution, « 24 pages [qui] transpirent la détestation d’Israël.
S’il est toujours légitime de contester la politique d’un gouvernement, je ne comprends pas en quoi une telle mise au ban d’un État fait avancer d’un millimètre la paix », expliquait-il sur Twitter ce vendredi matin. Le projet n’est depuis plus consultable sur le site Internet de l’Assemblée nationale. Nous avons demandé au nouveau président du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) de réagir à ce texte.
Le Point : Un groupe de députés issus de la Nupes a déposé un très long projet de résolution qui « tend à la condamnation de l’instauration d’un régime d’apartheid par Israël à l’encontre du peuple palestinien […] et en appelle à son démantèlement immédiat ». Cela vous pose-t-il problème ?
Yonathan Arfi : Oui. Il est quand même désolant de constater qu’une quarantaine de députés, dont certains font leurs premiers pas à l’Assemblée nationale, ont pour priorité des priorités de s’attaquer de manière obsessionnelle, stigmatisante et haineuse à l’État d’Israël au lieu de s’occuper des questions de pouvoir d’achat ou des questions liées à l’Ukraine…
Sur le fond, la critique politique ordinaire d’un État peut se révéler tout à fait légitime, mais pas lorsqu’elle se base sur un texte parfaitement mensonger et faisant preuve d’une telle virulence. Nous sommes ici très loin de la simple critique politique. Les signataires de ce texte versent dans de la haine sans nuance de l’État d’Israël et ne semblent avoir qu’un seul but : délégitimer Israël et nier son droit à l’existence en tant qu’État juif.
Comment l’expliquez-vous ?Cela s’inscrit parfaitement dans la tradition historique de l’antisionisme d’extrême gauche qui, depuis l’Union soviétique, a assimilé le sionisme au racisme et nourri l’antisémitisme. Cette tradition se remet simplement au goût du jour avec des méthodes, des idées et un vocabulaire contemporains qui font écho aux évolutions d’une partie de la gauche aujourd’hui… Ce type de démarche favorise l’importation du conflit israélo-palestinien en France, qui se traduit immanquablement par des actes d’hostilité à l’encontre des Français juifs.
Considérez-vous que ces prises de position fassent partie d’une stratégie électorale ?
Je crois que les raisons profondes qui amènent une quarantaine de députés de gauche et d’extrême gauche à porter ce texte s’inscrit à la fois dans la tradition idéologique antisioniste, voire antisémite, d’une partie radicale de la gauche, mais aussi dans des considérations hexagonales plus électoralistes et clientélistes.
Certains responsables politiques estiment que la haine d’Israël pourrait constituer une bonne base de mobilisation électorale. Leur discours de haine entre désormais à l’Assemblée, porté par une démarche militante et haineuse. Cette hostilité totale à l’égard de l’État d’Israël doit aussi nous alerter quant aux attaques à l’œuvre contre les bases de notre démocratie en France. Je rappelle qu’il y a eu le vote à l’Assemblée nationale il y a trois ans, d’une définition de l’antisémitisme qui intégrait notamment la stigmatisation obsessionnelle de l’État d’Israël. Très clairement, ce genre de texte fait souffler un vent mauvais pour les Français juifs.
Cette résolution accompagne la naissance et la montée en puissance politique en France d’une gauche et d’une extrême gauche tendance Corbyn.
Une partie de la gauche française est-elle en train de basculer dans l’antisémitisme ?
L’antisémitisme n’est pas une question de gauche ou de droite, il y a des courants qui traversent toute la société française. Mais, sans pour autant négliger les autres sources d’antisémitisme, on doit constater en ce moment que s’affirment effectivement des courants antisémites, ou des formes de porosité à l’antisémitisme, dans une partie de la gauche.
Cette résolution accompagne la naissance et la montée en puissance politique en France d’une gauche et d’une extrême gauche tendance Corbyn, qui cherchent à capitaliser autour de ces sujets pour se renforcer au sein de la gauche. Pour rappel, Jeremy Corbyn a été ce dirigeant travailliste anglais exclu pour sa complaisance vis-à-vis de propos antisémites dans son propre parti. Il n’hésitait d’ailleurs pas à afficher sa solidarité avec des mouvements terroristes comme le Hamas. Je fais partie de ceux qui considèrent que la lutte contre l’antisémitisme doit rester un marqueur fondamental pour les partis républicains, qu’ils soient de gauche ou de droite.