Le sujet est tellement tabou que personne ne sait évaluer l’impact des armées sur le climat. Pourtant, les conflits sont, et de loin, l’activité la plus néfaste pour la planète. Militaires et experts commencent à réfléchir à ce que pourrait être la transition climatique militaire. En Israël, ce sujet est considéré comme très mineur. Très peu d’articles en parlent.
Dix-neuf ans plus tard, Richard Nugee, 58 ans, passe la main dans sa barbe poivre et sel, assis devant son ordinateur portable, dans le Wiltshire, au sud-ouest de l’Angleterre. Trente-six années durant il a été militaire, jusqu’à son dernier poste de lieutenant-général au ministère de la Défense [britannique]. Il a commandé des troupes au Kosovo, en Irak ou en Afghanistan, avant de prendre sa retraite il y a un an. Aujourd’hui encore, il passe le plus clair de son temps à œuvrer pour son ancien employeur. Richard Nugee s’est donné pour mission de rendre l’armée respectueuse du climat.
Rares sont les activités plus nocives pour le climat que la fusion de l’acier pour fabriquer des armes. Que ces missiles qui explosent en ce moment à Kharkiv ou à Donetsk. Que ces avions qui effectuent des frappes au Yémen ou qui s’entraînent dans le ciel d’Allemagne.
Jusqu’à présent, rares sont les voix, curieusement, qui demandent à l’armée de s’engager à réduire son empreinte sur l’environnement. Tant sur l’échiquier politique qu’au sein du mouvement de défense du climat. Seulement voilà, à l’heure où tout désarmement est exclu, la question ne peut plus être glissée sous le tapis : une armée écoresponsable est-elle possible ?
Si l’on pose la question à Richard Nugee, il répond : “On n’a pas le choix.” Pour lui, sauver la planète n’est même pas l’argument principal. La Terre qui se réchauffe pose de sérieux problèmes à l’armée. “Nous ne sommes pas taillés pour ça”, observe-t-il. Ni pour les canicules, ni même pour les nouvelles guerres qui nous guettent lorsque l’eau se fera rare et qu’un nombre croissant de régions deviendront inhabitables, lorsque les gens n’auront d’autre choix que de migrer en masse.
Les armées exclues de l’accord de Paris.
Alors qu’il était encore en service, Richard Nugee a fait de la protection du climat son cheval de bataille. Au cours de sa dernière année de carrière, il a troqué son poste d’officier à la tête de 600 hommes au ministère de la Défense contre un bureau individuel sans collaborateur. D’où il a rédigé un rapport formulant des recommandations pour conduire l’armée britannique à la neutralité carbone.
Au départ, il était le seul à se faire du mouron. “Comme j’étais un haut gradé, les gens étaient polis avec moi, j’avais de la chance”, raconte-t-il, la barbe traversée d’un sourire. Mais personne ou presque ne s’intéressait au sujet. Nul besoin d’ailleurs : les armées ne doivent guère rendre compte de leur bilan carbone. Elles sont même exclues de l’accord de Paris. L’armée allemande est l’une des rares à publier un rapport de soutenabilité environnementale tous les deux ans. Autrement dit : nul ne sait, à ce jour, quel est l’impact des armées du globe sur le dérèglement climatique.
Pas même Neta Crawford. Cette politologue américaine est connue pour ses recherches sur les coûts de la guerre. Elle a calculé combien de civils sont morts en Afghanistan, combien d’enfants sont devenus orphelins en Irak. Elle a cependant négligé pendant des années un indicateur pourtant capital : le coût climatique.
C’est en visitant quelques-unes des 750 bases militaires américaines à travers le monde qu’elle a ouvert les yeux. Un beau matin, elle est tombée sur un convoi interminable de camions-citernes. “J’étais stupéfaite par la quantité de carburant qui était gaspillée chaque minute, confie-t-elle, j’en ai eu le tournis.” Dans un vacarme assourdissant, autour d’elle, des dizaines de pilotes rejoignaient leurs avions de chasse en 4×4, des appareils de plusieurs tonnes décollaient et atterrissaient d