Avec 53% des voix engrangées lors du premier tour – contre 7% en France -, le candidat de Reconquête a été plébiscité par ces expatriés. Des chiffres qui, portés à l’échelle nationale, auraient signifié son élection dès le premier tour, et qui doivent sûrement le laisser rêveur. Comment expliquer un tel engouement pour le candidat, dont les idées ont parfois suscité une levée de boucliers durant la campagne au sein de la communauté juive ?
La peur face à la montée de l’islamisme
David, un Franco-Israélien qui a voté Zemmour, affirme s’être largement identifié au programme du candidat. « J’ai quitté la France par sionisme, mais aussi pour toutes les raisons soulevées dans le programme d’Eric Zemmour, particulièrement la montée de l’islamisme. Le déclencheur de mon alyah a été les attentats de Toulouse en 2012 et le fait de voir des militaires devant l’école de ma fille », explique à i24NEWS cet habitant de Netanya, dans le centre du pays.
Comme lui, de nombreux Français d’Israël soulignent qu’Eric Zemmour fait écho à leurs préoccupations concernant l’insécurité, l’intégrisme musulman ou l’identité française en perte de vitesse dans l’Hexagone. Autant de raisons qui ont une large part dans leur décision de s’installer en Israël. « Nous sommes peut-être plus lucides que beaucoup de Français car nous observons le pays de loin, ce qui nous donne du recul par rapport à ce qu’il devient », dit David.
Parmi les inquiétudes de ces électeurs, le grand remplacement présumé figure également en bonne place. « Il ne s’agit pas d’une théorie, mais d’une réalité tangible. C’est un mouvement qui a débuté avec le choc pétrolier de 1973 et dont on voit les répercussions aujourd’hui, avec la politique éternellement pro-arabe de la France et son islamisation », affirme à i24NEWS Patrice, un autre Israélien d’origine française qui a donné sa voix à Eric Zemmour.
« Mon vote se veut un rempart contre l’islamisme », dit-il, indiquant qu’il considère Eric Zemmour comme un « Charles Martel contemporain », sans aucun rapport avec l’extrême droite.
Au-delà de la peur de l’islamisme, l’autre idée qui fédère les électeurs franco-israéliens autour de Zemmour est sa vision de la France et de son rayonnement, nourrie par une certaine nostalgie. Une conception qui relève, pour Patrice, du patriotisme, à distinguer absolument du nationalisme qui caractérise l’extrême droite, insiste-t-il.
« J’aime cette idée d’une France belle et forte », dit cet expatrié qui vit en Israël depuis 15 ans. « D’ailleurs, les Juifs de France sont des patriotes, respectueux de leur pays, et profondément attachés à lui. »
Le candidat du « parler-vrai »
Ces électeurs soulignent enfin que « la cohérence dans les valeurs » et « le parler vrai » d’Eric Zemmour sont les autres raisons qui ont motivé leur vote. Alors qu’ils restent marqués par les atermoiements des autorités françaises, qui ont parfois tardé à dénoncer le caractère islamiste et/ou antisémite de crimes commis sur le sol français, ils disent apprécier que le président de Reconquête dise « la vérité », et qu’il n’ait pas peur d’appeler les choses par leur nom.
« Déjà lorsqu’il était polémiste, Zemmour n’avait jamais peur de faire entendre une voix discordante. Il est à l’image d’Israël, qui tente de faire entendre sa voix dans le concert souvent mensonger des nations », dit Patrice.
La prédominance du vote Zemmour en Israël n’a pas surpris Serge Siksik. Le coordinateur de Reconquête dans la 8e circonscription des Français de l’étranger s’attendait même à un score plus important, de l’ordre de 60% à 65% des suffrages. Il a une lecture similaire des motivations de l’électorat franco-israélien : le danger de l’islamisme, le bilan peu brillant d’Emmanuel Macron mais aussi la position « sans équivoque » d’Eric Zemmour sur Jérusalem comme capitale du peuple juif, ont emporté le vote des Français d’Israël, assure-t-il à i24NEWS.
Quid des sujets qui fâchent dans le programme Zemmour et qui auraient pu refroidir les Franco-israéliens? Qu’il s’agisse des affirmations du candidat concernant Pétain « sauveur de Juifs », ses déclarations sur la famille Sandler ou sa vision intransigeante de la laïcité, certaines de ses positions n’ont pas manqué de susciter une vive polémique dans les rangs de la communauté juive française.
Les partisans franco-israéliens du candidat d’extrême droite en ont cependant une toute autre lecture, affirmant que beaucoup de ses propos ont été déformés par la presse. Un véritable lynchage médiatique, dénoncent-ils, qui serait également à l’origine du faible résultat d’Eric Zemmour dans l’Hexagone. « Ce qu’il a dit, c’est simplement qu’il y a eu moins de Juifs français assassinés durant la Shoah, ce qui est historiquement avéré », affirme David en évoquant ses propos sur Pétain.
Dans un message SMS de ralliement envoyé quelques jours avant le scrutin à des électeurs français de confession juive – celui-là même qui fait l’objet d’une enquête pénale – Zemmour avait par ailleurs pris soin de faire son mea culpa concernant ses propos sur les membres de la famille Sandler assassinés à l’école Ozar Hatorah, qui remettaient en cause leur enracinement en France du fait qu’ils avaient été inhumés en Israël.
« Nos politiciens ne parviennent plus à protéger les Français juifs dans notre pays, ni de leur vivant ni après leur mort au regard de la profanation de nombreuses tombes juives. C’est la raison pour laquelle les enfants Sandler sont enterrés en Israël. Je l’ai compris en rencontrant ce magnifique grand-père Sandler qui m’a tout expliqué », a écrit le président de Reconquête, dans une volonté de désamorcer les ultimes réticences de cet électorat.
Quant à l’idée d’interdire tout signe extérieur de religiosité dans l’espace public, David, qui portait lui-même la kippa lorsqu’il vivait en France, y adhère également. « Le fait de maintenir la religion dans la sphère privée s’inscrit dans une certaine logique de vie en société. C’est peut-être là que réside la solution : imposer les mêmes règles de laïcité à tout le monde », dit-il, faisant notamment référence aux prières musulmanes en pleine rue, observées dans certains quartiers en France, et qui l’indisposent tout particulièrement.
La fin d’un tabou
Dror Even-Sapir, analyste politique pour i24NEWS, relativise le bon résultat d’Eric Zemmour en Israël, pointant le très fort taux d’abstention – 90% – parmi les 60.000 inscrits sur les listes consulaires. « On parle en réalité d’un peu plus de 3 000 électeurs seulement qui ont voté pour lui », souligne-t-il, notant qu’il s’agirait pour la plupart de retraités et d’immigrants arrivés assez récemment dans le pays, et qui se sentent encore particulièrement concernés par ce qui se passe en France.
Pour l’analyste, ce résultat des urnes traduit la « droitisation » très nette de la communauté juive en France, liée pour beaucoup à l’antisémitisme et aux attentats islamistes. Les origines juives d’Eric Zemmour, son image respectable, et le fait que les idées qu’il défend sont de plus en plus débattues dans les médias et donc banalisées, ont fait le reste, dit-il. « Les Juifs français ont toujours été réticents à voter pour Marine Le Pen en raison des sorties antisémites de son père, et de la culture politique du Front national. Mais la judéité d’Eric Zemmour – dont le discours est encore plus radical que celui du RN – a fait sauter les digues, et a brisé le tabou de l’extrême droite auprès de cet électorat », explique Dror Even-Sapir, relevant que selon certaines données, le candidat de Reconquête a également largement séduit les électeurs juifs de France.
Le dilemme du second tour
Reste à savoir si les partisans franco-israéliens de Zemmour iront jusqu’à suivre les consignes de vote de leur champion, qui a appelé à voter pour la candidate du RN face à Emmanuel Macron. Une éventualité qui paraît peu probable à Dror Even-Sapir. « Le nom Le Pen fait encore peur à l’électorat juif », dit-il, tout en concédant que la « dédiabolisation » efficace de la candidate et le rejet d’Emmanuel Macron, pourraient lui apporter un nombre plus conséquent de voix parmi les Juifs français qu’en 2017.
S’il se défend de toute dissidence, Serge Siksik a déjà informé Eric Zemmour qu’il ne relaierait pas ses directives, et qu’il laissait les électeurs voter « comme ils l’entendent ». « Les Franco-Israéliens ne se rallieront pas à Marine Le Pen car son nom ne leur inspire pas confiance », prédit-il également, tablant sur une forte abstention au deuxième tour.
Même s’il dit la comprendre d’un point de vue « stratégique », Patrice considère la consigne de vote de Zemmour comme une « aberration idéologique ». Hors de question pour lui de voter pour le Rassemblement national, « un parti qui a des connexions avec tous les nazis de France », martèle-t-il. Il indique cependant connaître des Juifs français, y compris au sein de sa propre famille, qui s’apprêtent à voter Marine Le Pen.
David n’exclut pas de faire partie de ceux-là, à moins qu’il n’opte pour l’abstention. « Les idées de Reconquête et du RN sont très proches, même si elles ne sont pas exprimées de la même manière. Mais j’ai peur que Marine Le Pen ne retourne sa veste et qu’elle trahisse ses engagements. Ai-je le droit, en tant qu’expatrié, de faire courir un tel risque à la France ? », s’interroge-t-il.
« Je suis celle qui est la plus à même de protéger les Juifs de France », assurait Marine Le Pen sur i24NEWS le 3 avril. Un argument qui, associé à la « normalisation » du RN, pourrait faire mouche auprès des électeurs Juifs français, encore traumatisés par l’affaire Sarah Halimi, et qui retiennent leur souffle en suivant les développements de l’enquête autour de la mort de Jérémie Cohen.
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