Serge et Arno Klarsfeld : « Les juifs doivent se tenir à l’écart de l’extrême droite »
Le président de l’association Les Fils et filles des déportés juifs de France et l’avocat estiment, dans une tribune au « Monde », que les prises de position d’Eric Zemmour transgressent à la fois les valeurs républicaines et les valeurs juives.
Tribune. La révolution française a libéré les juifs et leur a permis, selon leurs mérites, d’accéder à toutes les positions tant privées que publiques. Un siècle et demi plus tard, Hitler, le nazisme, le maréchal Pétain à la tête du régime Vichy qui s’est associé à la solution finale firent périr un quart des juifs de France. Les trois quarts restant durent leur survie à une population française compatissante et à une Eglise qui avait appris de ses erreurs : esprit républicain et charité chrétienne.
Les juifs de France sont dans leur immense majorité fidèles à l’esprit républicain et se répartissent plus ou moins équitablement entre le centre gauche et le centre droit. Pourtant depuis une dizaine d’années, un certain nombre d’entre eux, craignant un islamisme conquérant et antijuif qui s’est manifesté par des attentats sanglants, sont tentés par un vote à l’extrême droite.
Selon une étude menée par l’Ifop en 2014, ils étaient 4 % à voter pour le Front national de Jean-Marie Le Pen en 2007. En 2012, ils étaient 13,5 % à voter pour Marine Le Pen, alors que dans la population générale, ils étaient 19 %. A l’élection présidentielle de 2017, les juifs de France ont majoritairement voté pour Macron au second tour. Quant aux juifs français installés en Israël, ils n’étaient que 4 % à voter pour le candidat de l’extrême droite.
Réhabilitation de Pétain.
Aujourd’hui, non seulement certains juifs s’engagent publiquement dans les médias pour soutenir les positions de l’extrême droite, mais Eric Zemmour, un juif dont les aïeux sont devenus Français en 1870 par le décret Crémieux, qui attribua la citoyenneté française aux « Israélites indigènes d’Algérie », veut devenir l’étendard de l’extrême droite à l’élection présidentielle de 2022.
Pour cela, il transgresse certaines valeurs républicaines et certaines valeurs juives. Il milite pour la réhabilitation de Pétain, qui selon lui aurait sauvé les juifs français en donnant aux Allemands les familles juives étrangères, dont des milliers d’enfants nés en France et donc Français. La meilleure défense des juifs français pour Pétain aurait été de dire : « Cet abominable travail, faites-le vous-même, ce n’est pas dans nos traditions. Nous ne sommes pas des monstres. Nous sommes la France ! »
Au lieu de cela, Vichy a fait arrêter des milliers de familles juives en zone libre, et en zone occupée, a fait séparer les mères des enfants du Vél d’Hiv [lors de la rafle du 16 juillet 1942] à coups de crosse. Que pouvaient penser les Allemands ? Que Vichy protégeait ses juifs ? Le crime commis par l’Etat français a été de s’associer aux nazis dans le déroulement de la « solution finale ». Cette responsabilité de Vichy a été reconnue et condamnée par les présidents Jacques Chirac, François Hollande et Emmanuel Macron dans leurs discours commémoratifs du Vél d’Hiv.
www.lemonde.fr