SCIENCE ET TECHNOLOGIE. Toopi Organics(France) intéresse beaucoup les chercheurs israéliens. Et ce n’est pas du tout par hasard. De nombreux scientifiques israéliens travaillent sur les fertilisants biologiques. Selon (1) : « L’entreprise installée à Loupiac de la Réole recycle l’urine humaine pour la valoriser en fertilisant biologique. Raflant tous les prix d’innovation, elle séduit investisseurs français et étrangers qui misent sur cette nouvelle filière capable de faire trembler les géants des engrais industriels.
Il est jeune, n’a pas fait de grandes études, et pourtant Michael Roes a réussi à embarquer dans son aventure, scientifiques, ingénieurs, agriculteurs, élus locaux et investisseurs. Alors qu’il cherchait à développer sa petite entreprise de fertilisants naturels à base de plantes, il tombe sur l’idée peu glamour mais on ne peut plus essentielle du recyclage de l’urine. Ce qui n’était au départ qu’un problème évoqué par un de ses amis loueur de toilettes sèches comme une opération d’assainissement coûteuse, il va transformer ce déchet en fertilisant bio à un prix défiant toute concurrence tout en organisant une solution pour préserver les ressources en eau potable.
Innover en s’inspirant des anciens
L’idée n’est pourtant pas nouvelle puisqu’avant l’arrivée de l’industrie pétrochimique l’urine était déjà utilisée comme fertilisant par nos anciens. Il suffit de se documenter pour apprendre qu’il y a moins d’un siècle, à Paris, la moitié des urines étaient encore recyclées. Tout un historique retranscrit par exemple dans la thèse de Fabien Esculier, ingénieur des Ponts des Eaux et des forêt du Laboratoire Eau Environnement et Systèmes Urbains, qui démontre que sans engrais de synthèse l’humanité recyclait bel et bien ses urines, seules sources à l’époque de nutriments comme l‘azote. Une pratique qui s’éteint avec l’arrivée d’une solution plus facile à utiliser qu’offre la pétrochimie.
À titre de comparaison, aujourd’hui, avec 200 kilos d’engrais azoté industriel, un engrais stable qui ne sent pas et facile à épandre, on fertilise un hectare de blé, il faudrait épandre l’équivalent de 30 000 litres d’urine pour arriver au même résultat. Une opération compliquée pour un agriculteur qui lui demanderait beaucoup de temps, beaucoup de mécanisation et qui présente en plus l’inconvénient de sentir mauvais. Les contraintes seraient telles qu’aujourd’hui c’est impossible ne serait-ce qu’économiquement de revenir à ces méthodes ancestrales reconnait Michael Roes. C’est impensable pour un agriculteur de renoncer aujourd’hui à des engrais chimiques pour une solution qui serait plus contraignante et plus chère. Ce serait notamment sur ce constat que les services de recherche et développement des grands groupes industriels qui planchent sur le sujet ont buté nous explique le jeune entrepreneur :
Des industriels et des sociétés ont essayé de trouver des procédés alternatifs de recyclage des urines qui consistait à extraire les 2 à 5% d’éléments intéressants contenus dans l’urine par des procédés d’extraction ou de concentration mais dans les deux cas on arrive à la même impasse. D’un point de vue technique ou économique, ça ne tient toujours pas par rapport à un engrais minéral.
Une impasse qui n’a pas pour autant découragé Michael Roes : « Non, pourquoi ? Si des gens sérieux planchent dessus, c’est qu’il y a quelque chose à trouver« . Certes un bon et sain raisonnement qui a conduit sans tabou à une expérience « fait maison ».
Tout simplement dans une bouteille
En y repensant, l’épisode prête à sourire. Mais c’est pourtant bel et bien en urinant dans une bouteille que Michael Roes a trouvé la solution qu’il cherchait.
J’ai fait pipi dans une bouteille, j’ai rajouté des probiotiques, des cachets de lactobacille achetés en pharmacie, j’ai rajouté du sucre et j’ai attendu. Deux jours plus tard, le mélange faisait des bulles et là, ça a fait tilt instantanément. J’ai compris qu’il y avait un vrai sujet à creuser !
L’urine comme milieu de culture à bactéries ! Quand on sait que les milieux de culture à bactéries coûtent chers à produire, que les bactéries sont utilisées dans de nombreux domaines industriels comme l’agriculture, l’agro-alimentaire ou encore la cosmétique, Michael Roes a senti qu’il tenait une bonne piste d’innovation. Ne lui manquait plus qu’à l’explorer scientifiquement et à trouver le modèle d’affaire pour la développer. En 2019, avec son associé Pierre Huguier, docteur en écotoxicologie, ils déposent les statuts de leur start up qu’ils nommeront d’un petit jeu de mot inspiré de la langue anglaise, Toopi Organics.
Très vite, ils engagent des études avec l’institut Pasteur, le CNRS et mettent au point « leur recette » qui permettra de transformer l’urine en un fertilisant biologique hygiénisé, stabilisé et désodorisé grâce à un procédé « low tech », c’est dire qui ne consomme que peu d’énergie, peu de ressource, à un prix final très faible. Testé par l’INRA de Grignon, le fertilisant biologique à base d’urine de la start up girondine s’est montré plus efficace qu’un engrais chimique traditionnel, assurent ses fondateurs.
Un marché mondial qui s’ouvre
Forts d’avoir trouvé un produit naturel plus performant que les engrais minéraux et bien moins coûteux pour les agriculteurs, en moins de deux ans, Michael Roes et son associé ont raflé tous les prix d’innovation, plus d’une dizaine, attirant l’attention de nombreux investisseurs, dont la famille Mulliez, levant ainsi près de 6 millions d’euros de fonds d’amorçage.
Il existe déjà des alternatives microbiennes, c’est d’ailleurs un marché que se partagent les grands groupes, des géants comme BASF mais quand ils sortent leurs produits par exemple à 40 euros le litre, nous avec notre procédé on y arrive pour une fraction du prix de l’ordre de 2 euros. Avec un tel résultat, personne ne peut plus croire que l’on va rester sur l’ancien modèle industriel très linéaire.
Le recyclage d’urine tel que Toopi Organics l’a mis au point remporte également l’enthousiasme à l’étranger, pas moins d’une soixantaine de pays y compris la Chine sont intéressés par le procédé.
Sans encore générer de chiffre d’affaires, l’entreprise a pu installer à Loupiac-de-la-Réole son laboratoire, une unité de production pré-industrielle capable de produire 2 500 litres d’engrais bio par jour et ses bureaux où travaillent 24 salariés. Elle vient en février dernier de déposer son dossier auprès de l’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, pour obtenir l’autorisation de mise sur le marché, une procédure qui prendra 10 à 14 mois.
Sortir l’urine du cycle de l’eau
Toopi Organics n’est pas encore officiellement une entreprise à mission même si elle a déjà inscrit dans ses statuts l’objectif de sortir l’urine du cycle de l’eau car « il est impensable de continuer à uriner dans l’eau potable ! » s’insurge Michael Roes souhaitant faire du recyclage de l’urine humaine non seulement un véritable défi de l’économie circulaire lancé aux fabricants des engrais pétrosourcés mais aussi une formidable solution de gestion durable de la ressource en eau.
Avec une matière première inépuisable ne manque plus qu’à organiser la collecte. L’entreprise girondine a commencé le développement de son réseau de partenaires auprès de ses principales sources d’approvisionnement que sont aujourd’hui les laboratoires d’analyses, les festivals, les lycées et collèges de la région Nouvelle Aquitaine où sont installées des toilettes spécifiques qui recueillent déjà l’urine sans utiliser d’eau mais aussi des stades comme le Parc des Princes, quelques aires d’autoroute avec Vinci, d’autres installations encore sont à l’étude sur les sites des Jeux Olympiques de 2024.
De nombreuses métropoles nous ont contactés pour monter des filières locales car il y a un réel intérêt économique à adopter la solution que nous proposons. L’investissement fait sur ces toilettes nouvelles générations sont très vite rentabilisés par les économies d’eau réalisées.
Cela revient à faire un effort pour la planète qui ne coûterait rien… loin de l’écologie punitive en somme.
Toopi Organics vise enfin l’objectif de monter en partenariat avec les coopératives agricoles et les collectivités locales des stations de production dans chaque département et région.
Nous, ce qu’on veut, c’est aider les agriculteurs à utiliser massivement des engrais bio. Le prix très bas de nos produits sera la clé de ce succès. L’indicateur de la réussite pour notre génération c’est l’impact que nous aurons sur le climat plutôt que nos profits.
Reste à savoir comment réagiront les premiers utilisateurs concernés que sont les agriculteurs. Les jeunes entrepreneurs, eux, assurent n’avoir aucune inquiétude quant au succès de leurs produits s’appuyant sur une logique implacable d’un engrais très efficace, 20 fois moins cher que celui qu’ils utilisent actuellement et de plus bénéfique pour l’environnement. Ce ne sont d’ailleurs pas tant les réactions pleines de bon sens des agriculteurs dont ils se méfient mais des industriels à l’affût d’une si belle idée.
- (1) www.franceculture.fr