« Les femmes font la paix », Dr Marie-Lyne Smadja.
Dr Marie-Lyne Smadja: J’ai toujours été impliquée dans la société que ce soit dans le domaine de l’alya, étant très sioniste ou de l’éducation en tant que professeur. Mais je n’avais jamais milité dans une association. Pendant l’été 2014, j’ai d’abord été, comme beaucoup, bouleversée par l’enlèvement des trois jeunes, Eyal Ifrah, Guil-Ad Shaar et Naftali Frenkel, z »l. Pendant la guerre qui a suivi à Gaza, je me demandais ce que je pourrais faire pour aider mon pays. Je ne pouvais plus supporter l’impasse dans laquelle nous nous trouvions. Il m’est apparu essentiel de proposer des solutions originales, de mettre en marche un mouvement qui pousserait à penser autrement pour enfin parvenir à vivre en paix.
Lph: Pourquoi avoir créé un mouvement de femmes?
Dr M-L.S.: Les femmes sont peu impliquées dans les problèmes sécuritaires en Israël et pourtant elles pourraient apporter les clés de leur résolution. Des travaux de l’ONU, dont la résolution 1325 sur les femmes, la paix et la sécurité, pointent la valeur ajoutée des femmes dans ce domaine. Leur présence dans les processus de décision augmente les possibilités de parvenir à des accords qui sont aussi plus durables.
La promotion des femmes sur ce genre de sujets aussi ne peut qu’être bénéfique pour tous. Notre mouvement est aussi ouvert aux hommes, mais pas au poste de prises de décisions. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons ouvrir les esprits à d’autres visions et d’autres solutions pour notre avenir.
Lph: Dans quel but WWP a-t-il été créé?
M-L.S.: Notre but est clair: pousser nos dirigeants à retourner à la table des négociations avec l’Autorité Palestinienne. Nous ne dictons aucune solution, nous disons simplement que ce n’est que par le dialogue avec la partie adverse que nous pourrons régler ce conflit. Ce n’est que la négociation qui garantira la sécurité d’Israël, à laquelle nous sommes tous très attachés.
Le statu quo dans lequel nous sommes depuis des années a échoué. Il n’y qu’à voir l’état de guerre permanent dans lequel vivent les habitants du Sud pour s’en convaincre. Israël doit être à l’initiative afin de ne plus dépendre des extrémistes palestiniens, ce qui signifie enclencher un processus de négociations avec le soutien des Etats-Unis et des pays arabes modérés. Il est intolérable que ce soit le Hamas qui mène la danse. Israël est un pays fort militairement mais nous devons aussi montrer notre force politique et diplomatique.
Lph: Votre mouvement est-il affilié à un courant politique?
M-L.S.: C’est précisément le regard nouveau que les femmes de WWP apportent. Nous voulons casser le paradigme suivant lequel la paix est le domaine réservé des gens de gauche et la sécurité celui des gens de droite. Au sein de WWP, on trouve des femmes qui votent Likoud, Koulanou, mais aussi à gauche et au centre ou même pour les partis arabes. Des femmes des implantations manifestent aux côtés de femmes palestiniennes. Certaines femmes de WWP sont engagées politiquement, sur le plan local ou national, comme Adina Bar Chalom ou des membres de la liste d’Orly Lévy Abécassis aux dernières élections. WWP reflète la réalité israélienne, celle avec laquelle nous devons composer pour parvenir à une solution durable. Nous nous définissons comme politique mais pas partisan.
Lph: Pensez-vous, comme on l’a entendu parfois ces derniers temps en France ou aussi en Israël, qu’il n’y a plus de droite, plus de gauche, que ces notions sont dépassées?
M-L.S.: Je pense au contraire que la gauche et la droite doivent exister, chacune a sa place. Mais dans un premier temps, il convient de mettre de côté nos divergences et de voir le bien de notre pays, pas uniquement celui de notre communauté ou de notre parti. Nous devons avoir une vue plus globale. Au sein de WWP les femmes sont tellement différentes sur le plan politique, mais nous faisons avancer les choses au niveau citoyen, nous dépassons nos idéologies pour nous rassembler autour de la construction d’un avenir commun. Bien entendu, ce n’est pas facile, le processus est complexe mais nous l’avons mis en marche. 20% des femmes de notre mouvement sont arabes, lors de nos différentes actions elles sont 30% sur le terrain. Elles ont une vraie place, elles recherchent le même but que nous. Si notre mouvement fonctionne c’est que la négociation est possible à notre échelle, alors pourquoi pas plus haut?
Lph: A vrai dire, ces 30 dernières années, les négociations se sont soldées par des échecs douloureux.
M-L.S.: Nous ne nous mentons pas. Nous savons que plus on recule et plus les choses deviennent difficiles. Le Proche-Orient est une région compliquée mais les données géopolitiques ont changé. Je ne me raconte pas d’histoires mais je suis d’un naturel optimiste. Je sais qu’aujourd’hui de nouvelles opportunités sont ouvertes. D’abord parce que grâce à Binyamin Netanyahou, nous avons de très bonnes relations avec les Etats-Unis, ce qui est fondamental pour notre sécurité et nous permet d’agir davantage sur les plans politique et diplomatique. Ensuite, de plus en plus de pays arabes modérés souhaitent une normalisation de leurs relations avec Israël. Nous sommes sur de bonnes bases pour avancer.
Lph: Concrètement, comment agissez-vous sur le terrain?
M-L.S.: Nous sommes présents d’abord au sein de la société par des rencontres, des marches qui appellent à des négociations immédiates. Nos actions sont très suivies, notre mouvement est israélien et réunit arabes et juives avec parfois la participation aussi de quelques femmes palestiniennes.
Parallèlement, notre plus grand succès, à mon sens, est d’avoir réussi à nous faire une place de choix à la Knesset. Nous y sommes toutes les semaines, dans les commissions ou en séance plénière, habillées en blanc. Nous rencontrons des députés et ministres de tous les partis. Lors de la précédente campagne électorale, nous avons participé à tous les meetings pour soulever les questions de la reprise des négociations et obtenir des réponses. Nous avons une vraie influence à la Knesset et le soutien de plusieurs députés de gauche comme de droite.
Lph: Votre mouvement est composé de femmes d’horizons très différents. Y trouve-t-on des olim de France?
M-L.S.: Déjà la co-fondatrice que je suis, séfarade, ola de France attachée à ses racines françaises tout en étant sioniste dans l’âme. Beaucoup de franco-israéliens soutiennent WWP, ils veulent découvrir un autre visage d’Israël.
Lph: Finalement peut-on vous décrire comme des idéalistes?
M-L.S.: Nous sommes très pragmatiques. Nous voulons et faisons du concret. Nous sommes conscients de la réalité, WWP est un mouvement difficile à gérer en raison des différences qui caractérisent ses membres. Mais le plus important c’est de donner l’exemple. C’est cela le plus cadeau pour Israël: rassembler sans renier les différences, qui sont notre richesse. J’espère que cet état d’esprit animera la campagne électorale qui s’ouvre et que nous parviendrons à retrouver la voie de la discussion entre nous et avec les Palestiniens.
Pour aller plus loin: