Le saviez-vous? Ruth Porat, directrice financière de Google est très proche d’Israël. Sa famille est liée à l’Etat hébreu. Son nom revient en boucle dans les médias israéliens. IsraelValley a suivi sa trajectoire depuis des années…
GOOGLE ET LA PANDEMIE. La pandémie a fait tourner à plein régime le moteur de Google — la publicité — et le monde qui se dessine en sortie de crise sanitaire s’annonce tout aussi favorable pour le groupe, grâce à sa capacité à capitaliser sur les nouvelles habitudes numériques des consommateurs. Le géant de la recherche en ligne a réalisé 55,31 milliards de chiffre d’affaires de janvier à mars, soit 34% de plus qu’il y a un an, quand l’émergence de la pandémie de Covid-19 avait fait chuter les dépenses de certains annonceurs, notamment dans le secteur des voyages, à la fin du premier trimestre.
« Google a réalisé un trimestre titanesque », a réagi l’analyste indépendant Patrick Moorhead, aussi épaté que le marché: le titre d’Alphabet, la maison-mère, prenait plus de 4% lors des échanges électroniques après la clôture de la Bourse mardi. Sur le moteur de recherche, les recettes publicitaires sont passées de 25 à 32 milliards de dollars en un an, bien au-delà des attentes, et elles ont progressé de 50% sur YouTube, à 6 milliards. Et ce n’est que le début, assure Philipp Schindler, le vice-président de Google en charge des ventes: « Je pense que nous commençons tout juste à explorer le potentiel commercial de YouTube », a-t-il déclaré lors d’une conférence avec des analystes.
En 2020, alors que les consommateurs désertaient les magasins physiques, Google et Facebook ont accéléré le développement de formats publicitaires qui facilitent les achats, avec des boutons directement dans les publicités ou les vidéos pour rediriger les utilisateurs vers les marques.
– « Google fabrique de l’argent » –
« La frontière entre numérique et physique est en train de se brouiller et nous innovons sur tous les canaux » de distribution, a détaillé M. Schindler. « Ce n’est pas juste en ligne, ce n’est pas juste hors ligne. C’est un mélange. Et ça, c’est notre point fort, à la conjonction de Search (le moteur de recherche), Maps et YouTube. » Les petites et moyennes entreprises ont beaucoup souffert de la pandémie, notamment les restaurants et commerces. « Le Covid-19 continue de dicter le fonctionnement des PME », dont les dirigeants ont le moral au plus bas, soulignait en février la principale fédération des PME aux Etats-Unis. Mais selon Philipp Schindler, « la pandémie a aussi été un catalyseur pour des tendances-clés de consommation, qui créent de nombreuses opportunités pour les petites sociétés », grâce à l’appétit des utilisateurs pour « essayer de nouvelles marques » et leur désir de « soutenir les commerces de proximité ».
Le groupe californien réussit en tout cas à surfer sur la vague de la reprise. Il est « bien parti pour générer 130,15 milliards de revenus publicitaires nets en 2021, soit une augmentation de 25% sur un an », estime le cabinet eMarketer, qui lui attribue 28,6% des parts de marché, juste devant Facebook. « Fondamentalement, Google fabrique de l’argent; la société se résume quasiment à des pubs », a commenté l’analyste Rob Enderle. « Il n’y a pas de risque de baisse des revenus, à moins d’une intervention des régulateurs. »
– Nuage chagrin – C’est semble-t-il le seul nuage à l’horizon pour Alphabet. L’année en cours pourrait en effet être marquée par des développements du côté de la lutte contre certaines pratiques des leaders technologiques, jugées anti-concurrentielles par de plus en plus de gouvernements, y compris celui de Joe Biden aux Etats-Unis.
Facebook et Google font déjà face à des poursuites de la part des autorités sur le front du droit de la concurrence. Plusieurs plateformes numériques, comme Amazon, TripAdvisor ou Yelp, se plaignent que Google favorise ses propres offres dans les résultats de recherche. Et la commission judiciaire de la Chambre des représentants a récemment approuvé un rapport qui prône des scissions au sein des Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon), accusées d’abus de position dominante. Alphabet est toutefois moins exposé à ce genre de risques dans le domaine de l’informatique à distance, qui a explosé à la faveur des restrictions de déplacement.
Google Cloud n’est, certes, que le troisième fournisseur de cloud dans le monde, avec 7% des parts de marché fin 2020, loin derrière AWS d’Amazon (31% des dépenses) et Azure de Microsoft (20%), d’après le cabinet d’études Canalys. Mais Ruth Porat, la directrice financière du groupe, s’est dite « très contente de l’élan actuel de Google Cloud », qui a engrangé plus de 4 milliards de dollars de revenus au premier trimestre, contre 2,8 l’année dernière.
En tout, Alphabet a dégagé un bénéfice net de 17,93 milliards de dollars, quasiment le triple de l’année dernière. Ses profits ont été dopés par un gain de 4,75 milliards grâce à ses investissements dans plusieurs entreprises dont la valorisation a bondi. Le groupe s’est autorisé à racheter jusqu’à 50 milliards de dollars d’actions supplémentaires.
© 2021 AFP
SPECIAL RUTH PORAT. « Pour la presse économique, le passage annoncé de Ruth Porat de son poste de directrice financière de Morgan Stanley à celui de directrice financière de Google ne pouvait pas être plus fort : il incarne un déplacement du pouvoir de la bourse de Wall Street vers le Nouvel Eldorado numérique de la Silicon Valley.
Et il n’y a aucun doute que ce transfert est important : une des femmes les plus puissantes de la finance décide que l’herbe, ou au moins l’argent, est plus verte de l’autre côté des Etats-Unis. Mais le bond dans la carrière de Porat vers le géant technologique de Mountain View en Californie, appelle aussi qu’elle rentre à la maison, dans la région de la baie de San Francisco où elle a grandi. Un bref regard sur l’histoire de sa famille révèle que les facteurs qui l’ont amenée à se retrouver dans le Nord de la Californie ne furent rien de moins que les événements les plus marquants de l’histoire juive du 20e siècle : la Shoah et la fondation de l’Etat d’Israël.
Le père de Porat, Dan, est né en 1922 dans ce qui est aujourd’hui l’Ukraine ; il a ensuite déménagé avec sa famille vers un shtetl [village juif] dans les Carpates, puis à Vienne, où ils vivaient lorsque l’Anschluss de 1938 a amené les nazis au pouvoir en Autriche. Dans ses mémoires archivées par le Centre sur l’Histoire Juive, Dan Porat se souvient être allé assister à l’entrée triomphale d’Hitler dans la capitale autrichienne.
Grâce à sa bonne compréhension de l’hébreu qu’il a appris au heder [école juive], il a pu s’échapper vers un kibboutz en Palestine, alors sous mandat britannique ; le reste de sa famille a été tuée dans la Shoah. Dan Porat s’est, alors, porté volontaire pour combattre dans l’armée britannique. Pendant ce temps, la mère de Ruth Porat, Frieda, est née, alors que sa famille se rendait en Palestine où elle a grandi. Frieda et Dan se sont mariés en 1946, puis il a combattu pendant la guerre d’indépendance d’Israël.
En 1954, ils ont déménagé en Angleterre, où Ruth est née, afin que Dan puisse poursuivre ses études supérieures en physique. Ne voulant pas vivre au Royaume-Uni, n’ayant pas la citoyenneté, et craignant qu’Israël devienne trop dangereux pour sa famille, Dan a obtenu un poste à Harvard et au MIT. La famille a déménagé à Boston alors que Ruth avait deux ans. Cependant, le climat ne convenait pas à Frieda. « Frieda voulait revenir en Israël parce qu’elle ne pouvait pas supporter le climat de la Nouvelle Angleterre », raconte Dan Porat dans ses mémoires.
« Je l’ai vue souffrir du froid auquel elle n’était pas habituée et je lui ai promis de l’amener dans une région où le climat est proche de celui d’Israël. » En 1962, les Porat ont donc déménagé à Portola Valley, en Californie. Et Dan Porat est allé travailler au Centre d’accélérateur linéaire de Stanford. Frieda, de son côté, a poursuivi une carrière de psychologue et de conseil en organisation, a fondé le Centre pour la créativité et la croissance et a écrit plusieurs livres, dont « Creative Procrastination », « Life Management Creative » et « Creative Retirement ». Elle est décédée en 2012. Ruth Porat a fréquenté l’Université de Stanford, de même que les deux autres enfants de la famille, et occupe actuellement le poste de vice-présidente du conseil d’administration de l’université.
Elle travaille chez Morgan Stanley depuis 1987, avec une interruption, et pendant les années 1990, elle a parallèlement dirigé le groupe bancaire d’investissements en technologie de l’entreprise. En tant qu’importante donatrice du parti démocrate, on l’a considérée comme une candidate potentielle au poste de secrétaire adjointe du Trésor en 2013, mais elle s’est retirée de la compétition pour cette fonction.
En 2014, Porat et son mari, Anthony Paduano, ont créé à l’université de Stanford une bourse d’études post-doctorales en physique au nom de son père, pour rendre hommage à ses efforts obstinés afin de terminer ses études, quitte à prendre des cours par correspondance, lorsqu’il servait dans l’armée britannique pendant la Seconde Guerre mondiale. Alors que Porat peut apporter sa riche expérience de Wall Street à l’une des sociétés les plus riches du monde, son père avait exprimé l’espoir que ses enfants ne soient jamais motivés uniquement par l’argent.
« L’un des dangers de notre époque est le matérialisme qui laisse l’âme vide et crée une illusion selon laquelle une plus grande consommation est assimilée à une vie meilleure », avait écrit Dan Porat, ajourd’hui âgé de 91 ans, dans ses mémoires. « J’espère que mes enfants et leurs enfants ne tomberont pas dans cette façon de penser. »
Adaptation : Marc Brzustowski