EDITORIAL. Yaïr Lapid a beaucoup appris de son père Tommy et a trempé dans la politique depuis son service militaire et sa carrière dans le journalisme. Il a hérité de lui son opposition, non pas aux ultra-orthodoxes juifs mais à leur pouvoir sur la politique israélienne.
Il a surtout hérité de quelques mesures phares qu’il a tenté de mettre en œuvre, en vain, lors de sa participation au gouvernement Netanyahou : l’obligation de service militaire pour les jeunes orthodoxes ; la suppression des subventions publiques aux religieux ; la création d’un mariage civil sans obligation de passer au préalable devant le rabbin et enfin l’autorisation de l’importation de produits non casher. (JB)
CE QU’ECRIVAIT JACQUES BENILLOUCHE AVANT LES ELECTIONS.
« Netanyahou le considère comme la seule menace sérieuse et c’est pourquoi il tente de le piéger en lui proposant un débat télévisé sous prétexte qu’il est officiellement le chef statutaire de l’opposition. Il ne cesse de le provoquer pour le pousser à l’erreur mais Lapid résiste aux attaques frontales : «si vous regardez derrière Bennett, vous trouverez Lapid» ou bien : «Le choix est clair: votez Bennett et obtenez une rotation avec Lapid». Il n’est pas certain que la tentative de Netanyahou de prendre Lapid comme seule cible soit payante : «Qui voulez-vous ramener à l’économie, moi ou Yaïr Lapid, le pire ministre des Finances de toute l’histoire d’Israël ? Qui apportera plus d’accords de paix, moi ou Lapid ?». S’il montre ainsi que le leader de Yesh Atid est le plus dangereux, il le met de plus en plus à la lumière.
En janvier 2021, Lapid s’était rendu aux États-Unis pour des consultations avec des stratèges politiques américains et en particulier avec les Démocrates avec qui il est en phase. Il a obtenu pour cette élection l’aide des conseillers politiques américains qui lui dictent sa stratégie. Il reçoit les conseils d’une relation de longue date, Mark Mellman, sondeur basé aux Etats-Unis qui dirige la Democratic Majority for Israel. Il a aussi fait appel à un autre vieil ami, Ted Deutch, élu démocrate de Floride à la Chambre des représentants et conseiller stratégique. Il a d’ailleurs calqué sa campagne sur celle de Joe Biden qui avait été avare en interventions auprès des médias par opposition à Trump.
Ses conseillers lui ont insufflé la discrétion et le silence. Comme certains militants du Likoud craignent sa candidature, les Américains l’ont convaincu d’accepter de se mettre en retrait pour permettre à Gideon Saar de débaucher quelques sièges de droite. Même si, selon les sondages, il est loin devant Bennett et Saar, il est prêt au lendemain des élections, par souci d’efficacité, à leur laisser la place dans le cadre d’un gouvernement de rotation. Pour l’instant il s’agit de ne pas brusquer les électeurs inconditionnels de Netanyahou et de pousser le premier ministre hors du pouvoir.
Mais Lapid travaille dans l’ombre dans le cadre de consultations discrètes, voire secrètes. Il a rencontré plusieurs fois Avigdor Lieberman avec qui il est en phase, ainsi que Naftali Bennett et Gideon Saar pour convenir d’une stratégie commune visant à ne pas effrayer les électeurs de droite. C’est pourquoi il est presque acquis que Lapid sera désigné comme deuxième premier ministre de rotation : «Il est plus important pour moi de démettre Netanyahou de ses fonctions que de devenir Premier ministre. Jusqu’à ce que je connaisse les résultats définitifs, je n’exclus pas la rotation». Il doit aussi empêcher Bennett de rejoindre Netanyahou et donc lui offrir le poste auquel il rêve depuis longtemps.
Il a par ailleurs obtenu une réunion secrète avec Mansour Abbas, le leader arabe de Raam, qui s’est désolidarisé de ses amis pour rejoindre le camp sioniste avec l’opportunité d’entrer au gouvernement. À l’origine, il s’agissait d’une stratégie de Netanyahou pour réduire l’importance de la liste arabe et d’envisager sans complexe un soutien arabe pour sa coalition. Mais Lapid a saisi la balle au bond quand il a appris qu’Abbas refusait de siéger avec les Kahanistes d’Itamar Ben Gvir du parti du sionisme religieux, une condition que ne peut accepter Netanyahou. Après sa rencontre avec le leader arabe, Lapid est à présent convaincu qu’il pourrait être un soutien actif dans un gouvernement anti Netanyahou.
De son voyage aux États-Unis, Lapid est revenu rassuré car ses conseillers américains l’ont jugé compétent, travailleur et surtout ambitieux alors que lui, n’a jamais cessé de croire à son avenir de premier ministre. Depuis janvier il laboure le terrain politique pour donner corps à son ambition. On lui a appris à être discret, patient, presque muet pour ne pas s’exposer dans les médias. Il a choisi comme modèle Joe Biden avec qui il entrevoit, le cas échéant, d’excellentes relations dans le cadre d’une première période de ministre des affaires étrangères. Il a suffisamment attendu pour accepter le poste que lui avait refusé Netanyahou. Selon lui, le temps joue pour lui. Il sera certainement premier ministre mais pas dans l’immédiat. Il est encore jeune.
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