Benyamin Netanyahou s’est entretenu vendredi avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky dans le but de faire reconnaître à Kiev le « passeport vert » d’Israël pour les vaccinés contre le coronavirus afin d’autoriser les voyages en Ukraine, y compris pour les pèlerins à Ouman.

Le PM a déclaré avoir parlé de « coopération sur le vaccin et de reconnaissance du Green Pass d’Israël afin que les vaccinés puissent bientôt visiter l’Ukraine, y compris Ouman ».

Les liens se sont dégradés l’an dernier lorsque des milliers de pèlerins juifs ont tenté de se rendre à Ouman pour Rosh Hashanah, le nouvel an juif, malgré une interdiction de voyager à cause de la pandémie de coronavirus imposée par l’Ukraine.  Ouman voit généralement des dizaines de milliers de juifs hassidiques visiter la tombe du rabbin Nachman de Breslev pour les vacances de Rosh Hashanah.  Selon l’Organisation mondiale de la santé, il y a eu 1.425.522 cas confirmés de Covid-19 en Ukraine, avec 27.685 décès. (i24News)

LIBERATION. Comme l’a résumé un rabbin sans trop exagérer, le pèlerinage annuel sur la tombe du rabbin Nahman de Bratslav – ce mystique qui repose à Ouman, au fin fond de l’Ukraine, depuis deux siècles – est pour ses disciples exaltés au moins aussi important que faire circoncire leurs fils au huitième jour.

Pour une foule d’autres, principalement venus d’Israël, moins pratiquants mais pas moins bigots, ces trois jours de liesse à l’occasion de Rosh Hashanah (le nouvel an juif), c’est leur Woodstock annuel. Après tout, Nahman, penseur ésotérique, est l’une des rares figures hassidiques à avoir mis l’accent sur la joie dans ses enseignements. Et les Bratslav, comme on les appelle, circulent aujourd’hui en Israël à bord de vans bariolés crachant de la techno talmudique, s’arrêtant aux feux de circulation pour danser sur les passages piétons. Petit à petit, Rosh Hashanah à Ouman s’est ainsi transformé en une sorte de rave party casher et virile. Loin des épouses, qui n’y sont pas les bienvenues, mais plutôt proche d’Odessa et ses prostituées.

Cauchemar sanitaire

Enfin, Ouman est une sorte de lavomatique à péchés : le «hassid mort» (surnommé ainsi puisqu’il n’a laissé aucune descendance pour perpétuer sa dynastie) n’a-t-il pas juré que quiconque viendrait lui rendre visite et réciterait dix psaumes serait absous de toutes ses mauvaises actions ? Dans tous les cas, pour les Bratslav reconnaissables à leurs petites calottes blanches tricotées comme pour les escrocs en mal de pardon (à l’instar de Gilbert Chikli, le fameux «faux Le Drian» serré en Ukraine en route vers le sanctuaire), pas question d’y renoncer. Même au beau milieu d’une pandémie.

Durant les trois dernières décennies, l’événement s’est imposé comme le plus grand pèlerinage juif hors d’Israël, drainant le long de l’étroite rue Pushkina et ses synagogues à la construction anarchique jusqu’à 50 000 dévots, luttant dans une cohue indescriptible pour pouvoir toucher le tombeau du tzadik, l’équivalent judaïque du «saint homme». Bref, un cauchemar sanitaire. Et une migraine pour les gouvernements israéliens et ukrainiens, qui tentent de juguler le rassemblement, faute de pouvoir l’annuler.

Pancartes

Fin août, à la demande du médecin en chef israélien, Kiev a fermé ses frontières aux étrangers, alors que les télés rapportaient que plusieurs milliers de pèlerins étaient déjà sur place ou dans les pays limitrophes, ayant anticipé la mesure. Hurlant à une atteinte à leur liberté religieuse et dénonçant «l’antisémitisme» des technocrates, les calottes de laine ont alors rejoint les manifs anticorruption à Jérusalem sous les fenêtres du Premier ministre. Allant jusqu’à brandir des pancartes à l’effigie de Benyamin Nétanyahou à côté de celle de Staline, autre empêcheur historique de pèleriner en paix…

Depuis, Nétanyahou joue une partition ambiguë, soucieux d’échapper aux foudres des ultraorthodoxes. Aux dernières nouvelles, l’Etat hébreu – qui vient de décréter le reconfinement national pour les fêtes – était en négociation discrète avec l’Ukraine pour permettre l’arrivée d’environ 6 000 pèlerins, nombre «acceptable» pour les Bratslav, avant le début des célébrations, vendredi. Le maire d’Ouman, farouche opposant au rassemblement qui est allé jusqu’à camper devant chez le président Zelensky pour en réclamer l’interdiction, s’est dit prêt à ériger des barrages sur les routes.

Pour le moment, seuls deux fanatiques ont été expulsés du pays après avoir démonté les barrières régulant l’accès au tombeau. Ces derniers jours, plusieurs agressions antisémites ont déjà été recensées. En soi, rien d’extraordinaire : les tensions entre les crânes rasés de ce bled lugubre encore dans son jus soviétique et les visiteurs à papillotes sont récurrentes, comme en témoigne la multiplication des crucifix aux abords de la tombe de Nahman.

Pas de quoi refroidir les Bratslav, qui aiment à raconter à quel point le pèlerinage a toujours été un défi au péril de leurs vies, du temps des pogroms comme du communisme. Et aujourd’hui du coronavirus, quitte à faire des médecins leurs derniers ennemis. (liberation.fr)

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