Haïfa n’est que la troisième ville d’Israël, après Jérusalem et Tel-Aviv. Mais avec une gestion de près de 30 millions de tonnes de fret annuel, le port commercial flanqué au sud de la baie est le premier avant Ashdod ou Eilat. Sous l’administration publique de la Compagnie du Port de Haïfa, il est considéré comme le plus développé et le plus sécurisé du pays, notamment du fait de la présence de la flotte américaine qui y stationne.
En 2010, une première phase d’expansion implique la construction d’un nouveau terminal de réception des cargos. Mais le véritable bouleversement débute en 2018 avec l’appel d’offres visant à en faire un centre d’accueil pour de très larges cargaisons.
Le nouveau projet de port, qui sera opérationnel dès 2021, permet de maximiser le potentiel du réseau de transport terrestre, dont le développement est en cours en parallèle. Les compagnies Ashtrom et Shafir Engineering sont en charge de la construction, tandis que la gestion sera confiée à la Shanghai International Port Group (SIPG).
Si le projet d’expansion ne date pas d’hier, un événement passé plus ou moins inaperçu dans les médias a révélé le 12 octobre l’ampleur du changement qui se trame depuis plusieurs années.
Moins d’un mois après la signature des accords d’Abraham, le premier cargo en provenance des Émirats arabes unis accoste au port de Haïfa, désormais ouvert aux échanges directs avec deux pays du Golfe.
Les accords de normalisation conclus à la mi-septembre entre Israël d’un côté, Bahreïn et les Émirats de l’autre, doivent être lus notamment à la lumière de cet épisode, révélateur d’une stratégie d’ensemble. « La récente avancée diplomatique prépare le terrain afin que ce port devienne un centre régional pour le commerce maritime », explique Joe Macaron, expert à l’Arab Center à Washington. L’officialisation des relations bilatérales poursuit et étend des opportunités diplomatiques, mais aussi commerciales, qui étaient jusque-là soient indirectes soient tenues secrètes. Haïfa représente un maillon-clé de cette chaîne d’opportunité qui élargit le champ des possibles.
Ces échanges ne sont en réalité pas nouveaux, puisque Haïfa s’ouvre au commerce avec le monde arabe dès les premiers accords de paix avec l’Égypte (1979), puis la Jordanie (1994). Les cargos de transit acheminent toute sorte de produits en direction de l’Égypte, de la Jordanie mais aussi de l’Irak ou des pays du Golfe.
« Les compagnies jordaniennes sont alors en charge de changer la documentation de la marchandise, de l’hébreu à l’arabe, avant de les revendre aux pays du Golfe », précise Joseph Khoury, consultant pour une compagnie de fret et spécialiste des questions de commerce maritime. Dans une région fortement instable, où les inimitiés sont nombreuses et les sanctions américaines souvent handicapantes pour le commerce transfrontalier, certains pays arabes se trouvent donc « contraints de faire affaire avec Israël afin de maintenir le commerce régional », estime Joe Macaron.
Pourtant, les quelque 6 700 mètres de quais n’ont pas toujours eu le vent en poupe dans la région. En 1948, au lendemain de la création de l’État hébreu, la communauté arabe lui tourne le dos. Plus question de faire de Haïfa le point d’entrée de la marchandise en provenance d’Europe. On lui préférera désormais Beyrouth. « Privé de marché arabe, Haïfa s’est longtemps limité au commerce interne », lance Joseph Khoury. Les accords de paix, puis la guerre civile syrienne, inversent la tendance en compromettant le passage de la marchandise de Beyrouth à Damas. Le grand gagnant est le port de Haïfa, qui voit le trafic de navires plus que doubler entre 2009 (1,6 millions) et 2016 (3,3 millions), selon des données de la Banque mondiale. L’activité est en pleine croissance.
L’importance nouvelle du port et des investissements ne peut être appréhendée sans prendre en compte l’emplacement stratégique de Haïfa, au cœur d’une région remise au centre des préoccupations internationales grâce à la découverte de nouveaux gisements en gaz. De la Libye à la Grèce, la Méditerranée orientale est l’objet de toutes les convoitises. De son côté, l’État hébreu a fait son entrée officielle dans le secteur des hydrocarbures avec l’exploitation effective du bassin du Léviathan depuis la fin 2019. Pour l’instant, « le seul lien existant entre le port et les gisements de gaz est une partie des usines adjacentes au port, connectée à la nouvelle pipeline », estime Roie Yellinek. Difficile pourtant d’ignorer que les milliards de mètres cubes qui doivent permettre une transition énergétique du pays font face au nœud commercial de Haïfa.
Source : Extraits et Copyrights. lorientlejour.com
A Savoir : IsraelValley a sélectionné uniquement des parties non polémiques de l’article original publié à Beyrouth.