Harlan Coben : maître absolu du polar. Par Josyane Savigneau | L’Arche | (Copyrights)
Il vend des millions de livres. Il publie un roman policier par an et parcourt le monde pour en faire la promotion. Pour L’Arche, Harlan Coben ne s’est pas contenté de parler de son dernier titre, Ne t’enfuis plus, paru en novembre 2019 chez Belfond, mais s’est confié – un peu – sur sa propre histoire.
Les lecteurs familiers d’Harlan Coben ne retrouveront pas dans « Ne t’enfuis plus » son principal héros récurrent, Myron Bolitar. Ils verront tout de même apparaître l’avocate Hester Crimstein, qui est dans tous ses romans depuis quelque vingt ans, et qui est peut-être la préférée de Coben : « J’aime les personnages récurrents, pas seulement parce qu’ils créent une familiarité pour le lecteur mais pour mon intérêt propre. Et Hester, je l’aime particulièrement, elle est presque toujours là. Dans Ne t’enfuis plus, elle a un rôle assez secondaire, mais dans le prochain, elle est l’un des deux personnages principaux. Et j’y parle de son histoire, des tragédies de sa famille, de sa formation pour devenir avocate. Je lui fais même avoir une histoire d’amour. Après vingt ans, il était temps de lui donner un destin personnel. » Raconter « Ne t’enfuis plus » est ce qu’on pourrait faire de pire aux lecteurs assidus de Coben. Contentons-nous du pitch proposé par l’éditeur: « Une SDF dans Central Park. C’est votre fille. Disparue depuis des mois. Elle fuit, elle a des ennuis. Vous voulez la sauver. Bien sûr, qui n’aiderait pas son enfant? Mais vous ignorez que la rattraper c’est la mettre en danger. Elle et tous ceux que vous aimez. Les secrets ne meurent jamais. » Et soyons sûrs que Coben, expert en fausses pistes, va en faire un usage immodéré.
Si on veut en dire un peu plus et prendre du recul, le thème principal, au-delà de toutes les péripéties, est le secret de famille : « Ces secrets me fascinent, bien que je n’en aie pas, confie Coben. Je voulais parler de toutes ces recherches sur l’ADN qui permettent d’en savoir plus sur soi-même. Du reste, j’ai fait le test. Je pensais qu’étant très grand, avec des yeux clairs, je ne pouvais pas être totalement juif. Résultat: je suis à 99,90 % pur juif ashkénaze ! »
Peut-être plus encore que d’autres livres de Coben, « Ne t’enfuis plus » maintient le suspense jusqu’à la dernière page. Avec une question qui se pose à presque chaque chapitre : d’où viennent tous ces enfants adoptés qui apparaissent un à un ? Il est très difficile d’anticiper la fin, notamment avec l’usage que fait, une fois de plus, Harlan Coben de « tueurs normaux », donc d’autant plus effrayants. Et aussi à cause de son goût de mêler plusieurs thèmes dont chacun aurait pu faire un livre: « En effet, je pensais faire un texte sur la question de la drogue, un sur la recherche ADN, un sur les sectes, et finalement j’ai mis tout ça dans la même histoire. »
Harlan Coben dit s’intéresser à la biographie de ses personnages, comme il le montre avec Hester Crimstein, il est donc logique qu’on cherche à lui faire parler de sa propre biographie. Ses ancêtres vivaient en Russie mais son grand-père paternel a émigré aux États-Unis en 1915, en venant de Jérusalem où il était né, comme ses quatre frères, qui eux aussi sont venus aux États-Unis. Harlan Coben n’a jamais rencontré ce grand- père, mort avant sa naissance. Il s’appelait Cohen. « C’est mon père qui a changé le nom en Coben, car quand il s’est marié, ma mère lui a dit que tous les gens qu’elle connaissait s’appelaient Cohen et qu’elle avait envie d’un nom plus original. »
Le lieu de naissance d’Harlan Coben a son importance. C’était à Newark (New Jersey), le 4 janvier 1962. Dans la ville où est né Philip Roth en 1933, et qui est un véritable personnage de son œuvre. Coben n’est pas resté longtemps à Newark — qui n’était plus le lieu décrit par Roth — mais a grandi non loin de là, à Livingston, toujours dans le New Jersey, État où il habite encore, bien qu’il possède aussi un appartement à New York. Il aimait avoir une maison pour élever ses quatre enfants, deux filles et deux garçons, mais maintenant qu’ils sont tous adultes, il se demande s’il ne va pas vivre complètement à New York. « Je pourrais aussi vivre à Paris qui est pour moi une ville magique, dans laquelle j’aimerais pouvoir flâner, au lieu d’y venir seulement pour parler de ce que j’écris. » Sur Philip Roth, son écrivain préféré, il est intarissable et se désole de ne l’avoir jamais rencontré. « L’occasion s’est présentée quand il y a eu une cérémonie pour le Wall of Fame du New Jersey, où nous sommes nommés tous les deux, et j’attendais cette rencontre avec bonheur. Mais il n’est pas venu. » Harlan Coben, qui affirme lire beaucoup mais ne jamais relire un livre, a toutefois relu Pastorale américaine, où il estime que Roth a atteint la perfection. « Mais en réalité j’aime tous ses livres. Bien sûr il m’a influencé. Pas seulement parce qu’on partage une forme d’angoisse juive. Mais pour la subtilité de la construction des histoires. Je pourrais parler aussi d’écrivains français, comme Hugo, Dumas, Simenon. Et je tiens à dire que je déplore le peu de traductions de contemporains que font les Américains. Cette manière d’être auto centré me désole. Quand je viens en France, je rencontre des écrivains que j’ai envie de lire. Et c’est impossible parce que je ne lis pas le français et qu’ils ne sont pas traduits. »
Autre point commun avec Roth : se sentir juif « seulement culturellement ». « Je ne suis pas du tout religieux. Je suis de la génération qui suit celle de Roth, donc je suis encore plus assimilé. Et mes enfants le seront encore plus. Je sais que ça effraie beaucoup de Juifs, je ne vois pas pourquoi. Déjà dans la famille de Roth, il fallait être Américain avant tout. Il l’a dit clairement en refusant d’être étiqueté écrivain juif américain, et en revendiquant écrivain américain tout court. » Une partie de sa famille vit en Israël, il y va volontiers, il pourrait y vivre, sans pour autant avoir le désir de faire son Alya « car comme je l’ai dit, je pourrais tout aussi bien vivre à Paris ». Il sait que beaucoup ont été choqués que Roth n’ait pas voulu de Kaddish à ses funérailles. Mais il l’approuve. « Je vais plus loin, ça m’est égal. Je ne laisserai pas d’instruction. Je serai mort, je m’en moque, on fera ce qu’on voudra. Pour mon père, il y a eu un Kaddish. Moi je n’ai aucun goût pour les rites. Ma femme n’est pas juive, mes enfants n’ont pas eu une éducation juive et n’ont aucune envie d’aller au temple. Je sais que j’aggrave mon cas. Je suis un mauvais juif, mais j’ai en Roth un illustre devancier que j’admire profondément, dans sa vie comme dans son œuvre. »
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