Alfred Frauenknecht, 43 ans, marié, sans enfants. Cet ingénieur brillant, directeur technique du département des réacteurs d’avion chez Sulzer à Winterthour, aurait préféré rester anonyme. C’est raté. Ce 27 septembre 1969, le monde entier découvre son nom. Et son visage. Ce jour-là, Frauenknecht devient pour l’éternité «l’espion suisse», l’homme qui, «contre 860 000 francs, a livré à l’Etat d’Israël des éléments d’information sur l’avion de combat Mirage», comme l’écrit la Feuille d’Avis de Lausanne.

Le jour précédent à Berne, la grave affaire d’espionnage était dévoilée à la presse. «Le Ministère public fédéral a procédé à l’arrestation d’Alfred Frauenknecht, chef d’une division technique de l’entreprise Sulzer, lit-on dans la Feuille. A la suite d’un interrogatoire, l’inculpé a avoué s’être emparé chez son employeur de nombreux plans (…) et de les avoir remis à des agents de l’Etat d’Israël.» Le cadre, dont les services fabriquent sous licence les réacteurs capables de propulser les avions de chasse Mirage de l’armée suisse à 2350 km/h, a profité de sa position. On lui avait confié la tâche de détruire des documents secrets: 200 000 plans et dessins, répartis en 26 caisses, concernant le réacteur de conception française, mais aussi et surtout les machines-outils capables d’en fabriquer les pièces. En l’espace d’une année, Frauenknecht fait microfilmer les documents, comme il est censé le faire. Mais ensuite, au lieu de les incinérer, il vide les caisses de leurs plans, qu’il remplace par de la maculature, avant d’envoyer ni vu ni connu cette paperasse au crématoire de Sulzer. Les plans, eux, s’évanouissent dans la nature… C’est le patron d’une entreprise de transport qui repéra le manège de Frauenknecht.

«Bien qu’il ait reçu en échange de ces plans la somme de 860 000 francs, celui-ci affirme qu’il a agi par conviction politique, poursuit la Feuille. (…) Il était entré au service des Israéliens au printemps 1968. Le procureur général de la Confédération tentera d’établir l’identité des agents recruteurs.» De son côté, Israël déclare «ne rien savoir».

Les sentiments de l’opinion arabe

Pour Georges Plomb, correspondant à Berne du quotidien vaudois, «la désagréable «affaire Frauenknecht» entraîne différentes conséquences. Pour commencer, les sentiments de l’opinion arabe à l’endroit de la Suisse ne s’adouciront pas. Les Palestiniens et leurs amis y verront – sans trop de nuances – une nouvelle preuve des préférences helvétiques pour l’Etat d’Israël.»

Lors de son procès, qui s’ouvre le 19 avril 1971 devant le Tribunal fédéral à Lausanne, Frauenknecht répète avoir agi «en raison de son admiration et de sa profonde sympathie» pour le petit Etat juif «délaissé de tous face à la double menace arabe et soviétique». Il affirme qu’Israël était prêt à lui payer 10 millions de francs pour les fameux plans, dont il estime la valeur à 50 millions. Il avait rencontré des techniciens et des militaires israéliens lors de stages de formation dans l’entreprise française produisant les réacteurs – dont Israël était privé en raison de l’embargo, décidé par le général de Gaulle après l’attaque de l’aéroport de Beyrouth en 1968.

Dès 1970, Israël produira son propre chasseur, le IAI Kfir, copie du Mirage, propulsé par un turboréacteur… de fabrication américaine. Le 23 avril 1971, Alfred Frauenknecht sera condamné à 4 ans et demi de réclusion.

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