La « Silicon Valley » israélienne, qui représente près de 10% du PIB du pays et la moitié de ses exportations, est le deuxième écosystème d’innovation dans le monde derrière sa jumelle californienne. Si, aux yeux du monde, Tel Aviv incarne la capitale originelle de la « terre promise » de la tech, la « Silicon Wadi » a désormais étendu ses bras hors des rues de la Ville blanche, du désert du Néguev aux rivages de la Galilée, jusqu’aux faubourgs de Jérusalem-Ouest. Les étudiants du prestigieux Technion d’Haïfa, qui ont donné naissance à la clef USB ou au langage PHP, ont créé plus de start-up cotées au Nasdaq que la France entière.
L’Etat hébreu détient-il la recette secrète de la « start-up nation » ? La France, qui ne cache pas ses ambitions dans le domaine, pourrait lorgner sur le modèle israélien. Un exemple qu’il faut néanmoins prendre avec des pincettes. « Il faut faire attention avec l’idée de modèle. Deux pays sont rarement identiques, et le modèle de l’un n’est pas applicable à l’autre », observe Nicolas Brien, directeur général de France Digitale, association dédiée au développement des startups françaises. « En revanche, on peut relever des retours d’expérience intéressants », souligne-t-il.
L’armée au cœur de l’écosystème
Le petit pays méditerranéen n’a pas grand-chose à voir avec l’Hexagone. En guerre perpétuelle depuis sa naissance en 1948, l’avance technologique est une question de survie pour Israël. La machine « tech » est entièrement tournée vers les besoins de l’armée israélienne, qui fait office de formidable catalyseur d’innovation. « Il existe une blague israélienne qui m’a été rapportée lors de mon dernier voyage : les Américains croient qu’une start-up se crée à trois dans un garage, mais en Israël on sait qu’une start-up se crée à trois dans un garage à l’intérieur du ministère de la Défense », s’amuse-t-il, citant des entrepreneurs de Tel Aviv.
Derrière la « start-up nation », il faut en effet voir le visage de l’Etat israélien. En mettant de côté les crédits alloués à Tsahal, l’armée nationale, plus de 4,5% du PIB est consacré aux dépenses en R&D. L’Innovation Authority, sous la tutelle du Premier ministre, nourrit l’écosystème par un système de financement incitatif. « L’écosystème israélien doit énormément à l’intervention publique massive dès les phases d’amorçage. En France, on a mis du temps à le comprendre. Il faut des instruments publics efficaces pour faire germer des start-up », souligne-t-il, saluant au passage le rôle de Bpifrance.
Par ailleurs, l’Etat hébreu, à peine plus grand que deux départements français, a su faire de sa taille un atout. Israël n’offre qu’un marché réduit à ses entreprises : pour réussir, il faut penser « global ». « C’est la clef du succès pour un petit pays. Dès les premiers jours de son entreprise, l’entrepreneur doit penser à son développement à l’international et se construire dans cette direction. C’est une leçon intéressante pour la France car, à l’heure du numérique, il n’y a plus de grands pays en-dehors des Etats-Unis et de la Chine », assure Nicolas Brien.
« L’attractivité d’un pays, ça se travaille »
Ce qui fait aussi la force du pays, c’est « l’état d’esprit entrepreneurial des Israéliens, qui construisent leurs entreprises en prenant des risques », avance Stéphane Chouchan, directeur pays pour le groupe franco-italien STMicroelectronics. L’idée de l’échec fait pleinement partie du processus d’apprentissage. « Le succès est valorisant, mais l’erreur n’est pas forcément pénalisante. Les jeunes entrepreneurs tentent et retentent. Ils savent tomber et se relever jusqu’à réussir », poursuit celui qui est aussi ambassadeur de la French Tech Israël.
« Chaque pays a sa spécificité, mais Israël peut être une source d’inspiration pour la France », ajoute Gisèle Hivert-Messeca, directrice du bureau Business France à Tel Aviv, évoquant le salon DLD qui se tient chaque année en septembre à Tel Aviv. « Cet évènement est une référence dans le monde de la tech. L’actuel président de la République s’y est rendu lorsqu’il était encore ministre de l’Economie. De retour en France, il avait mobilisé son réseau pour créer un évènement qui en serait le pendant en France. L’élève a dépassé le maître : Vivatech ouvrira sa troisième édition en mai prochain, et le succès a été largement au rendez-vous », souligne-t-elle.
Pour se faire une place dans le monde de la tech, il faut se faire voir. Et ça, les Israéliens savent très bien le faire. « L’attractivité d’un pays, ça se travaille. Le concept de start-up nation a été longuement réfléchi pour être vendu à l’étranger. La France l’a très bien compris », note Nicolas Brien. L’un des premiers objectifs du label « French Tech », né sous le quinquennat de François Hollande, était de donner une identité visuelle commune forte à l’ensemble des startups françaises. En témoigne le « coq rouge » devenu le symbole de la marque à l’étranger.
Les atouts français
Si la France veut regarder du côté d’Israël, ce qu’elle peut faire, « c’est encourager la création de petites entreprises en fournissant des filets de sécurité, en créant des programmes d’entreprenariat tels que des accélérateurs ou des incubateurs, en poussant leurs étudiants vers les études technologiques et en espérant que tout cela donnera naissance à un nouvel état d’esprit », résume Niron Hashai, professeur de stratégie et de commerce international à l’université IDC d’Herzliya, entre Tel Aviv et Netanya. « Le gouvernement et les municipalités peuvent également aider les jeunes entreprises par le biais de programmes réduisant les risques financiers comme le fait Israël », rajoute-t-il.
En résumé : la France ne doit pas chercher à reproduire le modèle israélien, mais s’inspirer de ce qui marche le mieux. Tous s’accordent à dire que ce serait une erreur de faire un « copier-coller », car la France a aussi des atouts à faire valoir. « La qualité des ingénieurs français est reconnue dans le monde entier. Les incubateurs israéliens peinent à faire venir des projets français innovants, car ces derniers s’épanouissent dans l’écosystème français. La France n’a absolument pas à rougir », assure Aurélie Guthmann, représentante de Bpifrance en Israël.