Le professeur Dan Ariely, de l’Université Duke située en Caroline du Nord, est un auteur prolifique qui fait entendre sa voix sur plusieurs tribunes : il publie des articles scientifiques, tient une chronique hebdomadaire dans le Wall Street Journal et compte déjà cinq livres à son actif. Contrairement à d’autres universitaires, le Pr Ariely voit son expertise – l’économie comportementale – susciter énormément d’intérêt de la part du grand public.
Le Pr Ariely est de ceux qui n’hésitent pas à remettre en question certaines idées reçues au sujet de la condition humaine, lesquelles ont parfois une incidence sur de nombreux groupes, notamment les gouvernements, les entreprises, voire les individus. L’auteur reconnaît qu’avec sa façon bien à lui de vulgariser la matière, il jouit d’un atout supplémentaire.
« Dans un article de recherche, la méthode est au cœur du texte. J’essaie d’amener le lecteur à réfléchir au mystère que renferme cette méthode. Ainsi, je relate mon expérience, comment cette idée a germé en moi, et j’évoque la tension liée à la recherche. »
Dans son œuvre, le Pr Ariely fait souvent référence à sa vie personnelle. Durant sa jeunesse, en banlieue de Tel-Aviv, en Israël, il a subi un accident impliquant des matières inflammables causant des brûlures au troisième degré sur la majorité de son corps. Ses réactions psychologiques au traitement reçu par la suite ont suscité un grand intérêt dans le monde de la psychologie.
Dan Ariely estime que la capacité de partager des éléments de sa vie personnelle est un atout pour tout dirigeant au sein d’une organisation.
« Il est important de comprendre ce qui pousse les gens à adopter certains comportements, à défaut de quoi on risque de tirer des conclusions erronées. Par l’ouverture et la transparence, on fait preuve d’authenticité, qui est source de motivation. »
Le Pr Ariely a mené des recherches approfondies au confluent de la psychologie et du monde des affaires. Dans son premier ouvrage, il soutient que les êtres humains affichent souvent une irrationalité « prévisible » – non seulement prenons-nous des décisions qui ne sont pas dans notre intérêt, mais nous le faisons de manière systématique.
Le chercheur mentionne que cette découverte s’applique également au comportement des employés d’une entreprise, bien que l’irrationalité se manifeste de façon légèrement différente : conscients qu’ils devront éventuellement justifier leurs choix, les décideurs tendent à éviter de prendre des risques.
« Au sein d’une entreprise, les conséquences négatives d’une mauvaise décision peuvent être beaucoup plus graves. Et on est plus enclin à prendre des risques dans sa vie personnelle qu’au travail, notamment par crainte de perdre son emploi. À mon avis, les membres d’une organisation sont donc plus réfractaires au risque. »
En outre, Dan Ariely croit que le degré d’irrationalité n’est pas le même dans toutes les fonctions d’une entreprise. Le service de la comptabilité, par exemple, est certainement celui qui affiche la plus grande rationalité. Cela dit, il est possible que les acteurs de la finance négligent d’importants facteurs susceptibles d’influer sur leurs décisions d’investissement.
Pour vérifier cette hypothèse, le chercheur a réalisé une petite expérience au moyen de données portant sur la satisfaction des employés et sur les marchés boursiers réparties sur une période de 15 ans.
« J’ai procédé à la simulation comme si, chaque année, pendant 15 ans, j’avais acheté des actions de sociétés dont les employés se disaient heureux de faire partie et vendu celles où le personnel démontrait de l’insatisfaction à l’égard de l’employeur », explique-t-il. « En faisant abstraction du rendement des sociétés pour tenir compte uniquement de la satisfaction des employés, j’ai “battu” le S&P 500 de 15 %! À mes yeux, c’est le signe que le monde de la finance fait fi du capital humain. »
En dehors du milieu des affaires, Dan Ariely pense que l’économie comportementale est promise à un bel avenir. L’intelligence artificielle, notamment, pourrait influer grandement sur le comportement humain – pour le meilleur et pour le pire.
« Je vois différents types d’intelligence artificielle. Elle peut, par exemple, nous assister dans nos tâches actuelles, ce qui présente des avantages, mais aussi des inconvénients », précise-t-il. « Si elle nous permet notamment d’accomplir des tâches plus rapidement, l’intelligence artificielle peut aussi nous amener à prendre des décisions qui ne sont pas dans notre intérêt. »
• Le présent article est une transcription condensée et modifiée d’une entrevue animée par Karl Moore, professeur agrégé à l’Université McGill, dans le cadre de l’émission The CEO Series, présentée sur les ondes de CJAD 800. L’article a été rédigé en anglais avec la collaboration de Dan Schechner, étudiant au baccalauréat en commerce à McGill, et traduit vers le français par Éric Berndsen, traducteur. L’entrevue intégrale est disponible en baladodiffusion Apple.
Le présent article est une transcription condensée et modifiée d’une entrevue animée par Karl Moore, professeur agrégé à l’Université McGill, dans le cadre de l’émission The CEO Series, présentée sur les ondes de CJAD.
L’article a été rédigé en anglais en collaboration avec Pauline Sels, étudiante au baccalauréat en commerce à McGill, et traduit vers le français par Josée Forest, traductrice-réviseure. L’entrevue intégrale est disponible en baladodiffusion sur la page iTunes de l’émission The CEO Series.
https://www.lesaffaires.com/blogues/karl-moore/l-irrationalite-previsible-des-etres-humains-et-ses-effets-sur-l-entreprise/608649