«La start-up city de la start-up nation »: Tel-Aviv assume sans complexe le pléonasme. Cybersécurité, intelligence artificielle, blockchain, foodtech ou healthtech: une visite guidée de l’écosystème de la «bulle », peuplé d’anciens de l’armée.
Tel-Aviv affronte certes la concurrence de Haïfa, portée par le Technion (l’équivalent du MIT), de Jérusalem où est née Mobileye, la solution anticollision rachetée en mars 2017 par Intel pour 15 milliards de dollars, ou de Beer-Sheva, qui se rêve en capitale mondiale de la cybersécurité.
Mais c’est bien sur le boulevard Rothschild ou le long de la skyline dominée par les tours Azrieli qu’on croise le plus de patrons de la tech israélienne, les gérants des plus importants fonds d’investissement et la plus forte densité de jeunes diplômés, souvent issus des unités technologiques de l’armée israélienne. «L’ethos de la mère juive, ce n’est plus seulement: «Tu seras médecin ou avocat», mais «Tu vendras ta start-up» », plaisante Yossi Vardi, la figure tutélaire du secteur, à 76 ans. Dans le cadre des fêtes de l’Indépendance, célébrées le 19 avril en Israël et le 14 mai ailleurs, l’État hébreu a d’ailleurs créé un Prix Israël (équivalent du Nobel local) dans la catégorie hautes technologies. Il a été décerné à Gil Shwed, cofondateur et patron du champion de la sécurité, Check Point Software. Nous avons ici sélectionné dix des plus belles réussites israéliennes.
Cybereason, à la pointe contre les virus
Création: 2012
Fonds levés: 189 millions de dollars
«La levée de fonds la plus importante du cyber israélien. » Le 27 juin dernier, Cybereason a fait les gros titres en obtenant 100 millions de dollars auprès du japonais SoftBank. Un vote de confiance pour cette jeune pousse qui, en moins de six ans, a réussi à lever 189 millions de dollars, auprès de Lockheed Martin notamment. Son heure de gloire, Cybereason l’a toutefois connue dans les jours suivant cette annonce, lorsqu’un chercheur de la société cofondée par Lior Div, Yossi Naar et Yonatan Amit, tous vétérans de l’unité technologique 8200 des renseignements de Tsahal, a trouvé le moyen de ralentir la progression de Petya, une cyberattaque mondiale. Et ce quelques heures seulement après le démarrage de cette vague massive de rançongiciel, qui a visé des compagnies financières, pétrolières et de télécommunications de Russie et d’Ukraine, puis s’est propagé dans une dizaine de pays. Le virus bloquait les ordinateurs et exigeait 300 dollars en bitcoins. Le chercheur Amit Serper a utilisé un «kill switch », un fichier ou une adresse Internet que va chercher le virus avant de se propager. Les experts ont depuis débattu de l’importance réelle de la trouvaille, mais elle a assuré une belle publicité à Cybereason.
Zebra Medical Vision, le roi du diagnostic médical
Création: 2014
Fonds levés: 20 millions de dollars
Apprendre à un ordinateur à détecter une maladie, en analysant les données de patients provenant d’imagerie médicale conventionnelle (scanners, radios, IRM). C’est le pari lancé par Zebra Medical Vision, la start-up du kibboutz Shefayim, en banlieue nord de Tel-Aviv. Fondée voilà quatre ans par Eyal Toledano, Eyal Gura et Elad Benjamin, la société a développé une plate-forme qui permet aux organismes de santé d’identifier les patients à risque et de proposer des traitements préventifs. «Nos algorithmes peuvent détecter une tumeur du sein dans 92% des cas… contre 86% pour les radiologues», fait valoir Eyal Gura, 40 ans, le président. Un résultat obtenu en travaillant sur l’une des plus importantes bibliothèques d’imagerie médicale (344000 mammographies anonymes). Reconnue par Fortune comme l’une des 50 entreprises qui révolutionnent le monde de l’intelligence artificielle, Zebra Medical Vision a levé 20 millions de dollars, notamment auprès de Marc Benioff, le fondateur de Salesforce, ou de Nvidia.
Waze, l’appli éclaireur des automobilistes
Création: 2008
Rachat: par Google pour 1,3 milliard de dollars en 2013
Pour l’écosystème local, il y aura sans doute un avant et un après Waze. La vente de l’appli de navigation pour automobilistes au géant Google, en juin 2013, pour 1,3 milliard de dollars, a fait fantasmer les jeunes Israéliens et suscité des vocations. À l’origine de l’une des premières success stories de la Silicon Wadi, un projet amateur imaginé en 2006 par le développeur Ehud Shabtai. Il conçoit une application pour localiser les radars routiers. Deux ans plus tard, les entrepreneurs Uriel Levine et Ami Shinar fondent à ses côtés Waze, bientôt rejoints par Noam Bardin, basé à Palo Alto. Après avoir levé plus de 55 millions de dollars, ce GPS communautaire a vite monétisé ses services. Grâce aux contributions des utilisateurs qui signalent un embouteillage, un accident, des travaux, un radar ou le prix du carburant de chaque station-service, le système permet d’optimiser son déplacement, de limiter le temps de transport, donc la pollution, tout cela au coût le plus bas possible. La cartographie est sans cesse affinée, un peu sur le mode des notices Wikipedia. Fort de deux centres de R&D dans la Silicon Wadi, Google a vite rapatrié en centre-ville les équipes de Waze, établies en banlieue, dans les neufs étages de sa tour qui surplombe la gare principale.
Biocatch, l’identifiant cognitif sans code
Création: 2011
Fonds levés: 41 millions de dollars
Utiliser la biométrie comportementale pour sécuriser les comptes et les données bancaires, détecter les menaces en ligne et arrêter la fraude financière… telle est la mission de BioCatch, une pépite fondée 2011 par Avi Turgeman, Benny Rosenbaum, Uri Rivner, experts en big data, machine learning et intelligence artificielle. En sécurisant les applications Web et mobiles grâce à l’authentification des utilisateurs en fonction de leur comportement cognitif, la plate-forme a séduit de grands noms de la finance, comme Royal Bank of Scotland ou American Express. La start-up totalise 56 brevets, a levé mi-mars 30 millions de dollars, auprès d’American Express Ventures ou de NexStar Partners. «Depuis cinq ans, 9 milliards de données personnelles ont été volées», rappelle BioCatch, qui surveille chaque mois plus de 5 milliards de transactions via 60 millions d’utilisateurs. La jeune pousse analyse 500 paramètres pour créer un profil d’utilisateur unique ne pouvant être ni perdu ni volé ni imité, en identifiant ses interactions avec l’appareil, que ce soit un PC ou un mobile. Plus besoin d’enregistrer de code secret: le terminal reconnaît l’utilisateur à ses habitudes.
Deep Instinct, un cerveau artificiel contre les anomalies
Création: 2015
Dernière levée de fonds: 32 millions de dollars
«La première société au monde à appliquer le deep learning au cyber. » C’est en pariant sur l’apprentissage profond, une technique de l’intelligence artificielle (IA), que Deep Instinct a fondé sa notoriété. Lancée en 2015 par Guy Caspi, la société se prévaut de protéger les systèmes informatiques contre toutes les failles de sécurité récentes et a été distinguée comme «pionnier technologique» lors du sommet de Davos 2017, et comme «start-up la plus innovante» de la conférence Black Hat de Las Vegas en 2016. Pour détecter les anomalies, elle «s’inspire du fonctionnement prédictif du cerveau humain ». Nvidia, le concepteur de puces californien, a participé au dernier tour de table de Deep Instinct, en juillet dernier, à hauteur de 32 millions de dollars. L’américain veut se servir de cette expertise pour créer un centre de R&D israélien spécialisé en IA. Et prendre de vitesse son concurrent Intel, qui s’est offert Mobileye pour 15 milliards de dollars début 2017.
CyberArk Software, protecteur des comptes à privilèges
Création: 1999
Entrée en Bourse: 86 millions de dollars en 2014
Chaque année, Udi Mokady, PDG et cofondateur de CyberArk Software, fait partie des VIP du CyberTech de Tel-Aviv, le deuxième plus grand salon international de la cybernétique (après la conférence RSA). Aux côtés de Gil Shwed, le patron de Check Point, l’inventeur du pare-feu informatique. Il y a deux ans, une rumeur prêtait au second l’intention de «se rapprocher» de son compatriote, spécialisé dans la sécurisation des comptes à privilèges. Mais CyberArk veille jalousement à conserver son indépendance. La société s’est positionnée sur le créneau de ces comptes cruciaux, qui dans les entreprises permettent d’administrer un équipement ou de disposer de droits étendus sur une application. Un piratage de l’un d’eux peut rapidement être dévastateur. CyberArk s’est imposé comme le leader mondial de la catégorie avec 3250 clients, dont la moitié du classement Fortune 100.
Colu, l’identité numérique inviolable
Création: 2014
Fonds levés: 50 millions de dollars
Lauréate 2016 de l’observatoire français Netexplo, la start-up Colu, cofondée par Amos Meiri et David Ring, a innové en adaptant la technologie blockchain à toute une série d’actifs numériques (titres de propriété, billetterie, etc.), dans le but de rendre l’identité numérique des individus infalsifiable. Puis elle a créé un portefeuille virtuel pour monnaies locales digitales, encourageant les dépenses de proximité. La jeune pousse totalise ainsi plus de 100000 utilisateurs mensuels dans quatre villes d’Israël et du Royaume-Uni. Colu a levé 50 millions de dollars auprès du fonds Aleph ou de Spark Capital, dont une ICO (Initial Coin Offering) de 20 millions réalisée en février dernier, offrant sa propre cryptomonnaie. L’histoire de Colu, qui revendique la création de «Colored Coins », un protocole open source présenté comme la première plate-forme viable Bitcoin 2.0, a démarré bien avant la création de la start-up. «Il n’y avait rien en rayon lorsque nous avons débuté, soulignent les fondateurs. Mais tous nos employés ont servi dans des unités liées à la cryptographie dans l’armée. Israël possède un avantage évident dans la blockchain. »
Cortica, les yeux des voitures autonomes
Création: 2007
Fonds levés: 60 millions de dollars
La rumeur est montée en flèche en mars dernier. Le milliardaire Elon Musk aurait engagé des discussions avec la start-up Cortica, pépite de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage profond, qui permet aux véhicules autonomes de mieux appréhender leur environnement et l’identification des objets. «C’est faux. Je n’ai jamais entendu parler de Cortica », a tweeté le patron de Tesla, de passage en Israël, réagissant aux informations du journal Globes. Depuis sa création par Igal Raichelgauz, Karina Odinaev et Josh Zeevi en 2007, Cortica a levé 60 millions de dollars auprès d’investisseurs comme Horizon Ventures (le fonds du milliardaire de Hong Kong Li Ka-shing), le réseau social russe Mail.ru., ou Ynon Kreiz, l’ex-patron du groupe de médias Endemol. Forte de 200 brevets, la jeune pousse a conçu des prototypes qui ont été intégrés par sept grands constructeurs automobiles, dont Volkswagen. «Nous sommes la matière grise qui se cache dans les voitures autonomes », résume son fondateur, qui se réjouit de marcher dans les pas de Mobileye, avec lequel… Tesla a un temps collaboré.
Flytrex Aviation, des drones longue distance
Création: 2013
Fonds levés: 3 millions de dollars
Diplômé d’ingénierie électronique de l’université de Tel-Aviv, Yariv Bash collectionne les projets futuristes. En 2010, ce fonceur de 38 ans s’est fait connaître en inscrivant une équipe israélienne à une compétition organisée par Google pour l’envoi d’un vaisseau spatial non habité sur la Lune. Après avoir officié pour le ministère de la Défense, il s’est lancé dans les drones civils. Un secteur qui séduit de nombreux entrepreneurs d’Israël, premier exportateur mondial de drones militaires, et berceau de la technologie des appareils sans pilote. Fin 2013, il cofonde Flytrex Aviation et lance deux ans plus tard le premier drone de livraison connecté au Cloud, permettant d’envoyer et recevoir de petits paquets via une application, et disposant de 35 minutes d’autonomie. Son coup de génie consiste à développer un engin destiné à transporter une charge utile jusqu’à une distance de 25 km, «à une époque où un drone personnel était le plus souvent conçu pour tourner autour de l’individu dans un rayon de 3 à 5 km». Dernier fait d’armes: un service de livraison de nourriture par drone lancé à l’automne dernier à Reykjavik, la capitale islandaise, en partenariat avec l’enseigne AHA.
SuperMeat, la viande artificielle
Création: 2015
Fonds levés: 3 millions de dollars
Commercialiser avant 2022 de la chair de poulet artificielle et exaucer ainsi les souhaits de PETA, l’ONG pour le traitement éthique des animaux? C’est le défi qu’a relevé SuperMeat, une biotech née voilà trois ans, qui compte produire du blanc de poulet, le second morceau de viande le plus populaire au monde (derrière le porc), à partir de cellules animales. «Chaque année, 50 milliards de poulets sont tués pour notre consommation, pointe la société. Notre solution permettra de ne plus faire souffrir les volatiles. » Après avoir récolté 245000 dollars sur la plate-forme Indiegogo, SuperMeat vient de lever 3 millions de dollars auprès de l’allemand PHW, l’un des plus gros producteurs de volaille du Vieux Continent. «Notre prototype devrait être prêt d’ici un an », confie Shir Friedman, au marketing. La société s’appuie sur les travaux de l’expert en ingénierie tissulaire Yaakov Nahmias, de l’université hébraïque de Jérusalem. En 2006, il est parvenu à reproduire artificiellement des cellules du foie humain. Le chercheur prévoit désormais de cultiver la viande de poulet en utilisant des techniques régénératives qui pèsent moins sur l’environnement que l’élevage traditionnel et coûtent moins cher. SuperMeat rêve enfin de fabriquer des produits à base de viande cultivée, sans recourir à des ingrédients d’origine animale. Une offre susceptible de convenir aux végétaliens: Tel-Aviv soigne aussi son image de vegan city!