Monsieur le Président de la République,
Je vous remercie de nous honorer de votre présence à ce 34ème Dîner du CRIF.
Monsieur le Président, mon propos ce soir sera sombre, plus sombre encore que l’an dernier.
Cela fait longtemps, trop longtemps, que notre pays est en crise.
Que le chômage, la misère et la précarité abîment la vie de tant de nos concitoyens.
Que la défiance et le désarroi sont installés dans les cœurs.
Chacun aujourd’hui, a ses raisons d’avoir peur.
Peur des fins de mois, de l’avenir ou de la mondialisation.
Peur d’être dépassé, déclassé ou inutile.
Peur pour ses enfants, pour la planète ou pour l’humanité.
La démocratie, nos valeurs et nos principes qui devraient être des repères dans la tempête, sont sapés par des discours simplistes, mensongers ou complotistes.
L’extrémisme d’hier est devenu banal. La radicalisation se durcit, en politique comme en religion.
Voici le temps des ultras : ultra-droite, ultra-gauche et ultra-violence.
Le tableau de la France est morose. Le reste du monde ne va pas mieux.
L’Europe rétrécit avec le Brexit. Elle se déchire sur les principes qui devraient, tous, nous unir.
Et de Syrie pourraient bientôt rentrer celles et ceux partis servir l’Etat islamique. Leur retour nous inquiète.
Le terrorisme frappe encore partout dans le monde.
A Pittsburgh, un suprémaciste blanc commet le plus grave attentat antisémite de l’histoire des Etats-Unis.
En Israël, les terroristes tuent au couteau, à l’arme automatique ou à la voiture-bélier.
En décembre, ils tirent sur un arrêt de bus blessant grièvement une jeune femme enceinte qui perd son bébé de 30 semaines.
En France, le terrorisme islamiste tue encore: à Carcassonne et à Trèbes à Paris et à Strasbourg.
En mémoire de toutes les personnes tuées en 2018, victimes des guerres et des attentats, du racisme et de l’antisémitisme,
en mémoire d’Arnaud Beltrame et de Mireille Knoll, assassinés tous les deux le même jour, je vous remercie de vous lever pour une minute de silence.
Monsieur le Président de la République,
Notre pays est en crise depuis longtemps.
Il aura suffi de quelques vidéos, d’une pétition sur Facebook et d’un signe de ralliement, le gilet jaune, pour que cette crise révèle ses propriétés inflammables.
Au commencement, il y avait la colère et des revendications légitimes sur le pouvoir d’achat.
Très vite, sont venus s’ajouter un climat insurrectionnel et des scènes de chaos.
Certains ont fait le choix de la violence, des menaces et de la haine.
Ils attaquent des élus, des journalistes, des policiers, des Juifs et tous ceux qui ne pensent pas comme eux. Samedi dernier, sous les caméras et à visage découvert un homme vocifère sa haine des juifs en traitant Alain Finkielkraut de « sale sioniste »
Je suis consterné par leur besoin d’un bouc émissaire dont l’élimination résoudrait, par miracle, tous les problèmes.
Monsieur le Président de la République, je suis horrifié par leurs simulacres de guillotine et de gibet, mais aussi par la conviction, profondément ancrée en eux, que vous êtes une marionnette et que ce sont les Juifs, encore les Juifs, toujours les Juifs, qui tirent les ficelles.
Plusieurs propos, graffiti ou pancartes semblent tout droit sortis des poubelles de l’Histoire.
Leurs auteurs n’expriment pas une opinion. Ils commettent un délit. Ils doivent être poursuivis et sévèrement sanctionnés.
Ceci vaut, évidemment, pour les agresseurs d’Alain Finkielkraut, à qui je veux renouveler notre solidarité pleine, entière et sans réserve,
L’antisémitisme se portait très bien en France avant les gilets jaunes. Il se porte encore mieux grâce à certains d’entre eux. Certains gilets jaunes, pas tous, car je refuse les amalgames.
Oui, l’antisémitisme se porte de mieux en mieux dans notre pays.
Pour l’année 2018, le Ministère de l’Intérieur a recensé 541 actes et menaces antisémites qui ont fait l’objet d’une plainte.
Un chiffre en hausse de 74% par rapport à 2017.
Et ce constat terrible : les Juifs, moins de 1% de la population, sont la cible de la moitié de tous les actes racistes.
Et encore, ces chiffres ne tiennent compte ni de l’antisémitisme sur Internet et les réseaux sociaux, ni des actes et menaces qui ne sont pas suivis d’une plainte.
Dans son étude de fin 2018 sur l’antisémitisme, l’Agence des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne constate :
« Près de 80% des répondants ne signalent pas les incidents graves à la police, ni à un autre organisme parce qu’ils pensent souvent que cela ne changerait rien ».
Porter plainte sert-il encore à quelque chose ?
Nous avons besoin pour répondre à cette question, que les condamnations et les sanctions pour antisémitisme soient recensées chaque année.
Nous souhaitons que le Ministère de la Justice produise et publie ce bilan annuel, pour l’antisémitisme comme pour toutes les autres haines.
Les chiffres sont froids et impersonnels. Ils ne peuvent rendre compte des drames et des peurs.
En 2018, Mireille Knoll est venue s’ajouter à la trop longue liste des victimes de meurtres antisémites dans notre pays.
J’ai le cœur serré en pensant au destin de cette rescapée de la rafle du Vel d’Hiv rattrapée 76 ans plus tard par l’acharnement barbare de ses assassins.
Ce crime a un goût amer de déjà-vu.
J’ai le cœur serré en pensant à Sarah Halimi, elle aussi assassinée chez elle par un voisin, elle aussi assassinée au cri « Allah ou Akbar », quasiment un an, jour pour jour, avant Mireille Knoll.
Que se passe-t-il dans ce dossier? Il semble être figé.
La famille de Sarah Halimi attend le procès pour faire son deuil. Monsieur le Président de la République, elle m’a chargé de vous dire son désarroi.
En 2018 et en 2017, deux vieilles dames ont été assassinées chez elles en France parce que juives.
En 2018 et comme les années précédentes, des Français juifs ont été insultés, harcelés, menacés, volés, agressés ou frappés parce que juifs.
La France est aujourd’hui sous l’émotion d’actes antisémites à fort pouvoir symbolique, mais des Français juifs souffrent, eux, depuis des années et souvent dans l’indifférence.
Les mots sont terribles, mais ne disent rien de la vie des victimes de l’antisémitisme du quotidien. Qui sont-ils, ces Français ?
Un jeune homme de 19 ans roué de coups à un arrêt de bus du 19ème arrondissement lorsque les agresseurs voient sa kippa après avoir volé son sac.
Une jeune femme de 20 ans frappée et volée dans la rue à Sarcelles et qui entend ses agresseurs lui crier « Tu as eu peur, sale juive ».
Des familles de Vitry-sur-Seine à qui l’on balance des crachats, des canettes ou des œufs et que l’on couvre d’insultes lorsqu’elles sortent de la synagogue le samedi midi.
Ceux qui en ont les moyens fuient. Les autres restent dans un climat hostile fait, chaque jour, d’incivilités, de menaces et de violences.
L’antisémitisme du quotidien, je pourrais vous parler longtemps des victimes.
Mais qui sont leurs agresseurs ? Trop souvent hélas des jeunes Musulmans.
Monsieur le Président de la République, à mon grand regret des versets du Coran et des Hadits sont encore utilisés, même en France, pour donner à l’antisémitisme la légitimité de textes sacrés.
Notre pays ne peut s’en accommoder.
Il faut en finir avec la justification religieuse de la haine des Juifs.
Nous avons besoin, pour cela, des imams, des responsables communautaires et de l’ensemble des Français musulmans.
Nous sommes prêts à travailler, main dans la main, avec eux. Nous le faisons déjà avec certains, mais ils sont souvent menacés et insultés et quelques-uns vivent même sous protection policière.
Au siècle dernier, Vatican II a montré qu’il était possible de faire bouger un corpus religieux et d’en retirer toute justification de la haine des Juifs.
Nous invitons les musulmans à engager l’islam sur le même chemin.
Nous ne sommes pas les seuls.
En avril dernier à l’initiative de Philippe Val, 250 personnalités dont un ancien Président de la République et trois anciens Premiers Ministres ont signé le Manifeste contre le nouvel antisémitisme.
Ils y formulaient une demande similaire parce que le sujet n’est ni théologique, ni religieux, mais politique, parce que l’enjeu, c’est, avant tout, de vivre-ensemble.
Antisémitisme de certains musulmans, antisémitisme de certains gilets jaunes…
Il n’existe pas un seul profil d’antisémites, même s’ils sont nombreux à partager la pratique de la quenelle et la culture du complot.
Certains détestent tellement les Juifs qu’ils veulent en faire disparaître le souvenir. Ils ont tué symboliquement Ilan Halimi une deuxième fois en abattant les arbres plantés à sa mémoire.
D’autres, ou peut-être les mêmes, regrettent Hitler et son projet d’exterminer les Juifs.
Ils balafrent l’espace public comme le faisaient les nazis, à coup de croix gammée sur un portrait de Simone Veil et sur des tombes juives à Quatzenheim en Alsace ou encore en écrivant « Juden » sur la vitrine d’un magasin.
Ils sont rarement monomaniaques. Les actes antichrétiens et les actes homophobes ont, eux aussi, augmenté en France en 2018.
La veille de son ignoble agression par des gilets jaunes, Alain Finkelkraut parlait dans une interview d’une France black-blanc-beur qui s’agrège autour de la haine des Juifs.
L’antisémitisme n’est pas monochrome.
Il n’est pas non plus monocorde, il joue sur plusieurs ressorts.
L’un d’entre eux est aujourd’hui la Shoah, lorsqu’elle est moquée, banalisée, relativisée et, parfois, tout simplement niée.
J’imagine la colère et l’effroi des survivants de la Shoah et du nazisme, des descendants de déportés, de résistants et de Justes. J’imagine, en particulier, la colère et l’effroi de Simone Veil, Claude Lanzmann, Marceline Loridan et Georges Loinger qui nous ont quittés récemment.
Un autre ressort, très prisé à l’extrême-gauche et chez les islamo-gauchistes, est l’antisionisme, ce refus au seul peuple juif du droit d’avoir un Etat.
Les antisionistes ont une obsession haineuse : c’est l’Etat d’Israël qui, pour eux, est illégitime et le seul Etat maléfique sur terre.
Ici encore, l’élimination du bouc émissaire résoudrait, par miracle, tous les problèmes.
Au premier rang des antisionistes, les activistes du BDS pratiquent le harcèlement et l’appel au boycott. Leurs cibles du moment sont le prochain Concours de l’Eurovision qui aura lieu à Tel Aviv mais aussi des banques et des grandes entreprises comme Carrefour et Axa.
Leurs actions sont illégales et doivent être sanctionnées.
Une lutte efficace contre l’antisémitisme doit traiter tous ces ressorts.
Une définition de l’antisémitisme, illustrée d’exemples, fait aujourd’hui référence, celle de l’IHRA l’Alliance Internationale pour la Mémoire de l’Holocauste.
Elle en couvre tous les aspects, y compris le négationnisme et l’antisionisme.
A l’unisson des autres pays européens, la France a voté en faveur de cette définition lors de son adoption par l’IHRA en 2016 et, encore tout récemment, fin 2018, dans la résolution du Conseil européen sur la lutte contre l’antisémitisme.
Conformément aux recommandations du Parlement européen et du Conseil européen plusieurs États membres l’ont déjà intégrée, dans leurs propres textes de référence.
Pourquoi notre pays tarde-t-il à le faire ?
Ecoutons les policiers, magistrats, enseignants, éducateurs et responsables des réseaux sociaux.
Tous nous disent le besoin d’un texte clair auquel se référer pour démasquer toutes les formes de l’antisémitisme, y compris celui plus pernicieux qui se cache derrière l’obsession et la haine d’Israël.
N’est-ce pas le rôle de l’Etat de fixer le cadre ?
Certains prétendent que la définition de l’IHRA interdirait la critique de la politique israélienne. Ils ne l’ont pas lue ou sont de mauvaise foi car la définition indique explicitement que cette critique ne relève pas de l’antisémitisme.
Monsieur le Président de la République, ne laissons plus les antisémites jouer sur les mots pour échapper aux poursuites.
Nous avons besoin de la définition de l’IHRA. Nous avons aussi besoin de la justice et des juges.
Il est grand temps que l’antisémitisme, comme le racisme, relève du droit commun, et non plus de la loi de 1881 sur la presse.
Il est grand temps, lorsque des sanctions sont prononcées, qu’elles aillent au-delà du rappel à la loi ou de la pédagogie et qu’elles soient véritablement dissuasives.
Les juges sont indépendants et c’est heureux, mais ici encore, n’est-ce pas le rôle de l’état de fixer le cadre ?
Les antisionistes ne sont pas les seuls à voir Israël comme une parenthèse de l’Histoire qu’il faut absolument rayer de la carte.
Au Proche-Orient, d’autres partagent cet objectif. Israël est aujourd’hui pris en étau au nord par le Hezbollah, au sud par le Hamas et au nord-est par les Iraniens qui s’installent en Syrie, sans oublier les missiles que l’Iran rêve d’équiper de têtes nucléaires.
Chaque menace est redoutable. L’encerclement l’est encore plus.
Cet encerclement est soigneusement orchestré par l’Iran, qui affiche publiquement son objectif : l’éradication de l’Etat d’Israël.
Depuis 40 ans, le pouvoir iranien renforce son régime totalitaire, éliminant ses opposants, interdisant toute presse libre, opprimant les femmes et finançant le terrorisme.
Monsieur le Président de la République, prenons au sérieux les menaces proférées par les mollahs. Comme tous les dictateurs, ils finissent toujours par faire ce qu’ils disent, pour peu que le monde démocratique leur laisse les mains libres.
Face à tant de haines, je me réjouis des solides relations d’amitié entre la France et Israël, de la saison culturelle croisée de 2018 et de la récente visite en France du Président Rivlin.
Permettez-moi néanmoins de regretter que votre projet de déplacement en Israël comme celui d’Edouard Philippe aient été successivement ajournés. Comme celle de tous vos prédécesseurs depuis François Mitterrand, votre visite en Israël est attendue.
J’espère, cette année, avoir l’honneur de vous accompagner en visite à Jérusalem, la capitale d’Israël.
Monsieur le Président de la République, 70% des Français pensent que la démocratie ne fonctionne pas bien dans notre pays selon le dernier baromètre du CEVIPOF.
Certains sont tentés par des régimes plus autoritaires, d’autres par des référendums permanents, les plus radicaux par le Grand Soir et par l’élimination des boucs émissaires.
Des pays, même en Europe, tiennent des élections, mais bafouent le pluralisme, la liberté de la presse, l’indépendance de la justice ou les droits des minorités.
En France, ce rêve est à portée de main ou de bulletin pour le Rassemblement National, la France Insoumise et les autres partis extrémistes qui, tous ensemble, ont attiré plus de 48% des suffrages au premier tour de la présidentielle de 2017.
C’est, pour nous, un cauchemar.
Les élections européennes de mai prochain seront cruciales car leur enjeu sera la défense des libertés qui sont l’essence de la démocratie face à la montée des populismes.
Monsieur le Président de la République, notre pays a pris ces derniers mois des orientations qui me semblent positives et qu’il faut aussi souligner.
Je pense à la régulation de l’Internet et à la lutte contre les discours haineux sur les réseaux sociaux.
Nous approuvons les recommandations du rapport Avia, Amellal et Taieb. Leur mise en œuvre est urgente car la situation se dégrade de jour en jour. Il faut même aller au-delà et lever l’anonymat sur les réseaux sociaux pour tous les comptes qui sont des vecteurs de haine.
Je pense aussi à plusieurs initiatives lancées par Jean-Michel Blanquer.
Nous savons sa volonté d’en finir avec la culture « pas de vague » et avec les atteintes à la laïcité. Nous savons sa détermination à lutter contre les haines, le complotisme et le négationnisme.
Mais les actions et les partenaires – je pense notamment au Mémorial de la Shoah – doivent être renforcés car aujourd’hui, des enseignants ont encore peur d’aborder la Shoah en classe et c’est indigne de la France. Nous attendons maintenant des résultats.
Des résultats et de l’efficacité, la France en a besoin dans la lutte contre l’antisémitisme car les haines se nourrissent du laisser-faire, des renoncements et de l’impuissance.
Monsieur le Président de la République, je sais l’engagement des pouvoirs publics contre l’antisémitisme, le racisme ou la haine anti-LGBT.
Pourtant, force est de constater que les plans de lutte contre les haines se succèdent mais produisent peu d’effet.
Si l’intention est bonne, la démarche n’est- elle pas trop générale ? Ces plans ne sont-ils pas trop génériques quand il faudrait répondre aux ressorts spécifiques de chacune des haines ?
Toutes ces haines sont autant de maladies et aucune n’est plus grave que les autres. Mais on ne soigne pas toutes les maladies avec un seul et même traitement.
Il est temps d’essayer des traitements plus ciblés.
Alors, ce soir, j’exprime solennellement le souhait que soit défini et mis en place un plan spécifique de lutte contre l’antisémitisme, intégrant toutes ses dimensions. La situation l’exige.
Monsieur le Président de la République, vous avez eu ces mots très forts à propos de Simone Veil lors de la très belle cérémonie de son entrée au Panthéon.
Je cite : « Puissions-nous sans cesse nous montrer dignes comme citoyens, comme peuple, des risques que vous avez pris et des chemins que vous avez tracés, car c’est dans ces risques et sur ces chemins, Madame, que la France est véritablement la France. »
Ces mots obligent chacun d’entre nous.
Le parcours hors du commun des femmes et des hommes qui reposent au Panthéon a allumé, au fond de chaque cœur, une petite lumière,
Celle d’une France courageuse et fraternelle,
Celle d’une France éprise de justice et de liberté.
Puissent ces lumières grandir, éclairer notre pays et lui redonner confiance !
Puissent ces lumières nous aider, tous ensemble, à surmonter les crises et à en sortir plus forts et plus unis !
Je mesure, comme chacun d’entre nous, l’ampleur du défi, je refuse la résignation et j’appelle ce soir avec vous au sursaut national et salutaire de la société française pour briser le mur d’indifférence qui entoure l’antisémitisme.
Vive la République. Vive la France.
Francis Kalifat, Président du Crif
Je vous remercie de nous honorer de votre présence à ce 34ème Dîner du CRIF.
Monsieur le Président, mon propos ce soir sera sombre, plus sombre encore que l’an dernier.
Cela fait longtemps, trop longtemps, que notre pays est en crise.
Que le chômage, la misère et la précarité abîment la vie de tant de nos concitoyens.
Que la défiance et le désarroi sont installés dans les cœurs.
Chacun aujourd’hui, a ses raisons d’avoir peur.
Peur des fins de mois, de l’avenir ou de la mondialisation.
Peur d’être dépassé, déclassé ou inutile.
Peur pour ses enfants, pour la planète ou pour l’humanité.
La démocratie, nos valeurs et nos principes qui devraient être des repères dans la tempête, sont sapés par des discours simplistes, mensongers ou complotistes.
L’extrémisme d’hier est devenu banal. La radicalisation se durcit, en politique comme en religion.
Voici le temps des ultras : ultra-droite, ultra-gauche et ultra-violence.
Le tableau de la France est morose. Le reste du monde ne va pas mieux.
L’Europe rétrécit avec le Brexit. Elle se déchire sur les principes qui devraient, tous, nous unir.
Et de Syrie pourraient bientôt rentrer celles et ceux partis servir l’Etat islamique. Leur retour nous inquiète.
Le terrorisme frappe encore partout dans le monde.
A Pittsburgh, un suprémaciste blanc commet le plus grave attentat antisémite de l’histoire des Etats-Unis.
En Israël, les terroristes tuent au couteau, à l’arme automatique ou à la voiture-bélier.
En décembre, ils tirent sur un arrêt de bus blessant grièvement une jeune femme enceinte qui perd son bébé de 30 semaines.
En France, le terrorisme islamiste tue encore: à Carcassonne et à Trèbes à Paris et à Strasbourg.
En mémoire de toutes les personnes tuées en 2018, victimes des guerres et des attentats, du racisme et de l’antisémitisme,
en mémoire d’Arnaud Beltrame et de Mireille Knoll, assassinés tous les deux le même jour, je vous remercie de vous lever pour une minute de silence.
Monsieur le Président de la République,
Notre pays est en crise depuis longtemps.
Il aura suffi de quelques vidéos, d’une pétition sur Facebook et d’un signe de ralliement, le gilet jaune, pour que cette crise révèle ses propriétés inflammables.
Au commencement, il y avait la colère et des revendications légitimes sur le pouvoir d’achat.
Très vite, sont venus s’ajouter un climat insurrectionnel et des scènes de chaos.
Certains ont fait le choix de la violence, des menaces et de la haine.
Ils attaquent des élus, des journalistes, des policiers, des Juifs et tous ceux qui ne pensent pas comme eux. Samedi dernier, sous les caméras et à visage découvert un homme vocifère sa haine des juifs en traitant Alain Finkielkraut de « sale sioniste »
Je suis consterné par leur besoin d’un bouc émissaire dont l’élimination résoudrait, par miracle, tous les problèmes.
Monsieur le Président de la République, je suis horrifié par leurs simulacres de guillotine et de gibet, mais aussi par la conviction, profondément ancrée en eux, que vous êtes une marionnette et que ce sont les Juifs, encore les Juifs, toujours les Juifs, qui tirent les ficelles.
Plusieurs propos, graffiti ou pancartes semblent tout droit sortis des poubelles de l’Histoire.
Leurs auteurs n’expriment pas une opinion. Ils commettent un délit. Ils doivent être poursuivis et sévèrement sanctionnés.
Ceci vaut, évidemment, pour les agresseurs d’Alain Finkielkraut, à qui je veux renouveler notre solidarité pleine, entière et sans réserve,
L’antisémitisme se portait très bien en France avant les gilets jaunes. Il se porte encore mieux grâce à certains d’entre eux. Certains gilets jaunes, pas tous, car je refuse les amalgames.
Oui, l’antisémitisme se porte de mieux en mieux dans notre pays.
Pour l’année 2018, le Ministère de l’Intérieur a recensé 541 actes et menaces antisémites qui ont fait l’objet d’une plainte.
Un chiffre en hausse de 74% par rapport à 2017.
Et ce constat terrible : les Juifs, moins de 1% de la population, sont la cible de la moitié de tous les actes racistes.
Et encore, ces chiffres ne tiennent compte ni de l’antisémitisme sur Internet et les réseaux sociaux, ni des actes et menaces qui ne sont pas suivis d’une plainte.
Dans son étude de fin 2018 sur l’antisémitisme, l’Agence des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne constate :
« Près de 80% des répondants ne signalent pas les incidents graves à la police, ni à un autre organisme parce qu’ils pensent souvent que cela ne changerait rien ».
Porter plainte sert-il encore à quelque chose ?
Nous avons besoin pour répondre à cette question, que les condamnations et les sanctions pour antisémitisme soient recensées chaque année.
Nous souhaitons que le Ministère de la Justice produise et publie ce bilan annuel, pour l’antisémitisme comme pour toutes les autres haines.
Les chiffres sont froids et impersonnels. Ils ne peuvent rendre compte des drames et des peurs.
En 2018, Mireille Knoll est venue s’ajouter à la trop longue liste des victimes de meurtres antisémites dans notre pays.
J’ai le cœur serré en pensant au destin de cette rescapée de la rafle du Vel d’Hiv rattrapée 76 ans plus tard par l’acharnement barbare de ses assassins.
Ce crime a un goût amer de déjà-vu.
J’ai le cœur serré en pensant à Sarah Halimi, elle aussi assassinée chez elle par un voisin, elle aussi assassinée au cri « Allah ou Akbar », quasiment un an, jour pour jour, avant Mireille Knoll.
Que se passe-t-il dans ce dossier? Il semble être figé.
La famille de Sarah Halimi attend le procès pour faire son deuil. Monsieur le Président de la République, elle m’a chargé de vous dire son désarroi.
En 2018 et en 2017, deux vieilles dames ont été assassinées chez elles en France parce que juives.
En 2018 et comme les années précédentes, des Français juifs ont été insultés, harcelés, menacés, volés, agressés ou frappés parce que juifs.
La France est aujourd’hui sous l’émotion d’actes antisémites à fort pouvoir symbolique, mais des Français juifs souffrent, eux, depuis des années et souvent dans l’indifférence.
Les mots sont terribles, mais ne disent rien de la vie des victimes de l’antisémitisme du quotidien. Qui sont-ils, ces Français ?
Un jeune homme de 19 ans roué de coups à un arrêt de bus du 19ème arrondissement lorsque les agresseurs voient sa kippa après avoir volé son sac.
Une jeune femme de 20 ans frappée et volée dans la rue à Sarcelles et qui entend ses agresseurs lui crier « Tu as eu peur, sale juive ».
Des familles de Vitry-sur-Seine à qui l’on balance des crachats, des canettes ou des œufs et que l’on couvre d’insultes lorsqu’elles sortent de la synagogue le samedi midi.
Ceux qui en ont les moyens fuient. Les autres restent dans un climat hostile fait, chaque jour, d’incivilités, de menaces et de violences.
L’antisémitisme du quotidien, je pourrais vous parler longtemps des victimes.
Mais qui sont leurs agresseurs ? Trop souvent hélas des jeunes Musulmans.
Monsieur le Président de la République, à mon grand regret des versets du Coran et des Hadits sont encore utilisés, même en France, pour donner à l’antisémitisme la légitimité de textes sacrés.
Notre pays ne peut s’en accommoder.
Il faut en finir avec la justification religieuse de la haine des Juifs.
Nous avons besoin, pour cela, des imams, des responsables communautaires et de l’ensemble des Français musulmans.
Nous sommes prêts à travailler, main dans la main, avec eux. Nous le faisons déjà avec certains, mais ils sont souvent menacés et insultés et quelques-uns vivent même sous protection policière.
Au siècle dernier, Vatican II a montré qu’il était possible de faire bouger un corpus religieux et d’en retirer toute justification de la haine des Juifs.
Nous invitons les musulmans à engager l’islam sur le même chemin.
Nous ne sommes pas les seuls.
En avril dernier à l’initiative de Philippe Val, 250 personnalités dont un ancien Président de la République et trois anciens Premiers Ministres ont signé le Manifeste contre le nouvel antisémitisme.
Ils y formulaient une demande similaire parce que le sujet n’est ni théologique, ni religieux, mais politique, parce que l’enjeu, c’est, avant tout, de vivre-ensemble.
Antisémitisme de certains musulmans, antisémitisme de certains gilets jaunes…
Il n’existe pas un seul profil d’antisémites, même s’ils sont nombreux à partager la pratique de la quenelle et la culture du complot.
Certains détestent tellement les Juifs qu’ils veulent en faire disparaître le souvenir. Ils ont tué symboliquement Ilan Halimi une deuxième fois en abattant les arbres plantés à sa mémoire.
D’autres, ou peut-être les mêmes, regrettent Hitler et son projet d’exterminer les Juifs.
Ils balafrent l’espace public comme le faisaient les nazis, à coup de croix gammée sur un portrait de Simone Veil et sur des tombes juives à Quatzenheim en Alsace ou encore en écrivant « Juden » sur la vitrine d’un magasin.
Ils sont rarement monomaniaques. Les actes antichrétiens et les actes homophobes ont, eux aussi, augmenté en France en 2018.
La veille de son ignoble agression par des gilets jaunes, Alain Finkelkraut parlait dans une interview d’une France black-blanc-beur qui s’agrège autour de la haine des Juifs.
L’antisémitisme n’est pas monochrome.
Il n’est pas non plus monocorde, il joue sur plusieurs ressorts.
L’un d’entre eux est aujourd’hui la Shoah, lorsqu’elle est moquée, banalisée, relativisée et, parfois, tout simplement niée.
J’imagine la colère et l’effroi des survivants de la Shoah et du nazisme, des descendants de déportés, de résistants et de Justes. J’imagine, en particulier, la colère et l’effroi de Simone Veil, Claude Lanzmann, Marceline Loridan et Georges Loinger qui nous ont quittés récemment.
Un autre ressort, très prisé à l’extrême-gauche et chez les islamo-gauchistes, est l’antisionisme, ce refus au seul peuple juif du droit d’avoir un Etat.
Les antisionistes ont une obsession haineuse : c’est l’Etat d’Israël qui, pour eux, est illégitime et le seul Etat maléfique sur terre.
Ici encore, l’élimination du bouc émissaire résoudrait, par miracle, tous les problèmes.
Au premier rang des antisionistes, les activistes du BDS pratiquent le harcèlement et l’appel au boycott. Leurs cibles du moment sont le prochain Concours de l’Eurovision qui aura lieu à Tel Aviv mais aussi des banques et des grandes entreprises comme Carrefour et Axa.
Leurs actions sont illégales et doivent être sanctionnées.
Une lutte efficace contre l’antisémitisme doit traiter tous ces ressorts.
Une définition de l’antisémitisme, illustrée d’exemples, fait aujourd’hui référence, celle de l’IHRA l’Alliance Internationale pour la Mémoire de l’Holocauste.
Elle en couvre tous les aspects, y compris le négationnisme et l’antisionisme.
A l’unisson des autres pays européens, la France a voté en faveur de cette définition lors de son adoption par l’IHRA en 2016 et, encore tout récemment, fin 2018, dans la résolution du Conseil européen sur la lutte contre l’antisémitisme.
Conformément aux recommandations du Parlement européen et du Conseil européen plusieurs États membres l’ont déjà intégrée, dans leurs propres textes de référence.
Pourquoi notre pays tarde-t-il à le faire ?
Ecoutons les policiers, magistrats, enseignants, éducateurs et responsables des réseaux sociaux.
Tous nous disent le besoin d’un texte clair auquel se référer pour démasquer toutes les formes de l’antisémitisme, y compris celui plus pernicieux qui se cache derrière l’obsession et la haine d’Israël.
N’est-ce pas le rôle de l’Etat de fixer le cadre ?
Certains prétendent que la définition de l’IHRA interdirait la critique de la politique israélienne. Ils ne l’ont pas lue ou sont de mauvaise foi car la définition indique explicitement que cette critique ne relève pas de l’antisémitisme.
Monsieur le Président de la République, ne laissons plus les antisémites jouer sur les mots pour échapper aux poursuites.
Nous avons besoin de la définition de l’IHRA. Nous avons aussi besoin de la justice et des juges.
Il est grand temps que l’antisémitisme, comme le racisme, relève du droit commun, et non plus de la loi de 1881 sur la presse.
Il est grand temps, lorsque des sanctions sont prononcées, qu’elles aillent au-delà du rappel à la loi ou de la pédagogie et qu’elles soient véritablement dissuasives.
Les juges sont indépendants et c’est heureux, mais ici encore, n’est-ce pas le rôle de l’état de fixer le cadre ?
Les antisionistes ne sont pas les seuls à voir Israël comme une parenthèse de l’Histoire qu’il faut absolument rayer de la carte.
Au Proche-Orient, d’autres partagent cet objectif. Israël est aujourd’hui pris en étau au nord par le Hezbollah, au sud par le Hamas et au nord-est par les Iraniens qui s’installent en Syrie, sans oublier les missiles que l’Iran rêve d’équiper de têtes nucléaires.
Chaque menace est redoutable. L’encerclement l’est encore plus.
Cet encerclement est soigneusement orchestré par l’Iran, qui affiche publiquement son objectif : l’éradication de l’Etat d’Israël.
Depuis 40 ans, le pouvoir iranien renforce son régime totalitaire, éliminant ses opposants, interdisant toute presse libre, opprimant les femmes et finançant le terrorisme.
Monsieur le Président de la République, prenons au sérieux les menaces proférées par les mollahs. Comme tous les dictateurs, ils finissent toujours par faire ce qu’ils disent, pour peu que le monde démocratique leur laisse les mains libres.
Face à tant de haines, je me réjouis des solides relations d’amitié entre la France et Israël, de la saison culturelle croisée de 2018 et de la récente visite en France du Président Rivlin.
Permettez-moi néanmoins de regretter que votre projet de déplacement en Israël comme celui d’Edouard Philippe aient été successivement ajournés. Comme celle de tous vos prédécesseurs depuis François Mitterrand, votre visite en Israël est attendue.
J’espère, cette année, avoir l’honneur de vous accompagner en visite à Jérusalem, la capitale d’Israël.
Monsieur le Président de la République, 70% des Français pensent que la démocratie ne fonctionne pas bien dans notre pays selon le dernier baromètre du CEVIPOF.
Certains sont tentés par des régimes plus autoritaires, d’autres par des référendums permanents, les plus radicaux par le Grand Soir et par l’élimination des boucs émissaires.
Des pays, même en Europe, tiennent des élections, mais bafouent le pluralisme, la liberté de la presse, l’indépendance de la justice ou les droits des minorités.
En France, ce rêve est à portée de main ou de bulletin pour le Rassemblement National, la France Insoumise et les autres partis extrémistes qui, tous ensemble, ont attiré plus de 48% des suffrages au premier tour de la présidentielle de 2017.
C’est, pour nous, un cauchemar.
Les élections européennes de mai prochain seront cruciales car leur enjeu sera la défense des libertés qui sont l’essence de la démocratie face à la montée des populismes.
Monsieur le Président de la République, notre pays a pris ces derniers mois des orientations qui me semblent positives et qu’il faut aussi souligner.
Je pense à la régulation de l’Internet et à la lutte contre les discours haineux sur les réseaux sociaux.
Nous approuvons les recommandations du rapport Avia, Amellal et Taieb. Leur mise en œuvre est urgente car la situation se dégrade de jour en jour. Il faut même aller au-delà et lever l’anonymat sur les réseaux sociaux pour tous les comptes qui sont des vecteurs de haine.
Je pense aussi à plusieurs initiatives lancées par Jean-Michel Blanquer.
Nous savons sa volonté d’en finir avec la culture « pas de vague » et avec les atteintes à la laïcité. Nous savons sa détermination à lutter contre les haines, le complotisme et le négationnisme.
Mais les actions et les partenaires – je pense notamment au Mémorial de la Shoah – doivent être renforcés car aujourd’hui, des enseignants ont encore peur d’aborder la Shoah en classe et c’est indigne de la France. Nous attendons maintenant des résultats.
Des résultats et de l’efficacité, la France en a besoin dans la lutte contre l’antisémitisme car les haines se nourrissent du laisser-faire, des renoncements et de l’impuissance.
Monsieur le Président de la République, je sais l’engagement des pouvoirs publics contre l’antisémitisme, le racisme ou la haine anti-LGBT.
Pourtant, force est de constater que les plans de lutte contre les haines se succèdent mais produisent peu d’effet.
Si l’intention est bonne, la démarche n’est- elle pas trop générale ? Ces plans ne sont-ils pas trop génériques quand il faudrait répondre aux ressorts spécifiques de chacune des haines ?
Toutes ces haines sont autant de maladies et aucune n’est plus grave que les autres. Mais on ne soigne pas toutes les maladies avec un seul et même traitement.
Il est temps d’essayer des traitements plus ciblés.
Alors, ce soir, j’exprime solennellement le souhait que soit défini et mis en place un plan spécifique de lutte contre l’antisémitisme, intégrant toutes ses dimensions. La situation l’exige.
Monsieur le Président de la République, vous avez eu ces mots très forts à propos de Simone Veil lors de la très belle cérémonie de son entrée au Panthéon.
Je cite : « Puissions-nous sans cesse nous montrer dignes comme citoyens, comme peuple, des risques que vous avez pris et des chemins que vous avez tracés, car c’est dans ces risques et sur ces chemins, Madame, que la France est véritablement la France. »
Ces mots obligent chacun d’entre nous.
Le parcours hors du commun des femmes et des hommes qui reposent au Panthéon a allumé, au fond de chaque cœur, une petite lumière,
Celle d’une France courageuse et fraternelle,
Celle d’une France éprise de justice et de liberté.
Puissent ces lumières grandir, éclairer notre pays et lui redonner confiance !
Puissent ces lumières nous aider, tous ensemble, à surmonter les crises et à en sortir plus forts et plus unis !
Je mesure, comme chacun d’entre nous, l’ampleur du défi, je refuse la résignation et j’appelle ce soir avec vous au sursaut national et salutaire de la société française pour briser le mur d’indifférence qui entoure l’antisémitisme.
Vive la République. Vive la France.
Francis Kalifat, Président du Crif