Tel-Aviv (Israël). Un article exclusif de Dr Sabine Roitman pour IsraelValley. En 1908 Élie Metchnikoff reçoit le prix Nobel de médecine pour ses travaux concernant les bienfaits des bactéries lactiques sur la santé.
Pour Metchnikoff, chercheur à l’institut Pasteur, il s’agissait à l’origine de comprendre le secret de l’extraordinaire longévité des paysans bulgares, ces hommes de la terre persuadés que c’était le lait caillé – ou kéfir en bulgare – absorbé quotidiennement qui leur donnait une santé de fer et leur permettait souvent d’atteindre et de dépasser les 100 ans d’âge !
Le savant russe découvre alors dans ces yaourts un bacille qu’on appellera d’ailleurs lactobacilicus bulgaricum, l’ancêtre de tous les probiotiques qui font aujourd’hui partie de notre quotidien. Cette découverte passionne d’emblée nombre de scientifiques, mais pas seulement eux… Un jeune industriel originaire de Salonique, Isaac Carasso, se penche sur ces travaux et se rend vite compte de leur potentiel.
Résultats : en 1919, Isaac Carasso met en vente à Barcelone ses premiers yaourts fermentés à l’aide de bactéries lactiques choisies avec soin par Metchnikoff en personne. C’est « sur ordonnance médicale » que ces yaourts sont vendus… par les pharmaciens.
Pour que ce concept révolutionnaire puisse marcher, Isaac lui cherche un nom. Or son fils Daniel, qui vient de fêter sa Bar-mitsva, se fait appeler par tout le monde Danon (Petit Dan en catalan). Ces yaourts prodiguant la longévité s’appelleront donc comme lui. Un nom qui deviendra évidemment fort célèbre au fils des ans !
Très vite, les deux Danone – l’homme et son entreprise – grandissent de manière spectaculaire… Daniel se rend en France pour poursuivre ses études à l’École supérieure de Commerce. Ensuite, il se lance dans la bactériologie et suit un stage de formation à l’Institut Pasteur. C’est là qu’il en apprend bien plus long sur les ferments lactiques et c’est aussi là que Daniel va décider qu’il faut désormais faire consommer au grand public cet aliment magique qu’est le yaourt…
À la mort de son père, Daniel prend la tête de l’entreprise familiale et commence à commercialiser les yaourts Danone à Paris. Aussitôt, les Français se mettent à raffoler de ce nouveau produit laitier !
Mais la Seconde Guerre mondiale et les persécutions antijuives obligent la famille Carasso à prendre la fuite et à quitter la France pour se réfugier aux États-Unis, où Daniel crée la marque Dannon, qui conquiert aussi les foyers américains. Mais après la guerre, Daniel retourne à Paris et reprend les rênes de la société qu’il développe considérablement pour la transformer progressivement en empire multinational.
C’est à ce moment-là qu’intervient la rencontre – ou plutôt les retrouvailles – entre la famille Carasso et la famille Strauss, alors déjà l’une des plus puissantes familles israéliennes de l’industrie alimentaire. Strauss est en effet le second producteur de produits laitiers après Tnouva et le plus grand fabricant israélien de yaourts et desserts lactés.
En fait, pour la famille Strauss, ce long roman avec le yaourt commence en 1936 à Nahariya sous le Mandat britannique. À cette époque, la mère de famille, Hilda, fabrique elle-même de manière artisanale des yaourts et des fromages qu’elle vend dans les environs. Or très vite, ses produits se taillent une très bonne réputation, tout particulièrement parmi les soldats de Sa Gracieuse Majesté. Si bien que la petite entreprise familiale grandit et devient peu à peu une société prospère.
Mais ce que l’on sait moins, c’est que Hilda Strauss et l’épouse de Daniel Carasso ont étudié ensemble en Allemagne avant la Shoah à l’École de commerce de Berlin. Et que lorsqu’en 1969, la firme Danone acquiert 28 % des parts de Strauss, il s’agit non seulement de procéder à un investissement des plus rentables, mais aussi de resserrer les liens de la famille Carasso avec Israël. Ainsi, dès 1972, une nouvelle usine de Strauss est inaugurée à Nahariya en présence de Daniel Carasso et du ministre de l’Industrie Haïm Bar Lev.
Toutefois, cette association se trouve soudain menacée au milieu des années 80. À la suite du boycott arabe sur tous les produits israéliens, Danone International décide de rompre partiellement son contrat avec la société Strauss à qui elle permet de n’utiliser ses labels que s’ils sont écrits en hébreu.
Mais dans le sillage de la signature des accords d’Oslo en 1993, Danone reprend son partenariat avec Strauss et propulse l’entreprise israélienne qui devient vite la plus grande productrice de yaourts et desserts lactés.
Aujourd’hui, la fille de Daniel Carasso, Marina Nahmias, poursuit la tradition entamée par son père et reste liée de près avec Israël, notamment par le biais de la Fondation de Jérusalem dont elle est membre du comité exécutif.
On l’a constaté : c’est tout un siècle qui a été parcouru depuis la découverte d’Élie Metchnikoff. Une centaine de longues années vécues dans leur totalité par Daniel Carasso mort à l’âge respectable de 103 ans !