Avec 165 exposants, les Américains se classent au premier rang des industriels étrangers participant au plus important salon mondial de l’armement terrestre et aéroterrestre. Un symbole de la dépendance de l’Europe.

C’est avec, en toile de fond, la guerre entre Israël et le Hamas ainsi que le conflit en Ukraine, agressée par la Russie, que s’ouvre, ce lundi, le salon Eurosatory (17-21 juin à Paris Nord Villepinte), le plus important rendez-vous international de l’armement terrestre et aéroterrestre. Inauguré par Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, l’édition 2024 est percutée par les conflits en cours.

Pour la première fois, Israël en a été exclu. Fin mai, la participation de 74 exposants israéliens, dont le constructeur de drones Elbit et le groupe Rafael, principal fournisseur de l’Europe en missiles antichar Spike, a en effet été « annulée » sur décision gouvernementale. « Les conditions ne sont plus réunies pour recevoir les entreprises israéliennes (…), dans un contexte où le président de la République appelle à ce que les opérations israéliennes cessent à Rafah », avait alors expliqué Sébastien Lecornu.

Tardive, la décision a tourné au casse-tête pour Coges Events, l’organisateur du salon. La plupart des matériels israéliens avaient été livrés au parc des expositions de Villepinte pour y être installés sur les 2 500 mètres carrés réservés par les industriels. Les espaces libérés ont dû être réorganisés en urgence, des discussions engagées sur les clauses de remboursement et des solutions trouvées pour les coentreprises, principalement israélo-allemandes et américaines.

A contrario, l’Ukraine est à l’honneur avec un pavillon dédié, installé, en symbole du soutien de Paris aux armées de Kiev, à côté de ceux du ministère des Armées. Début mars, Sébastien Lecornu avait annoncé que Nexter, le fabricant du canon Caesar et d’obus de 155 mm, le droniste toulousain Delair et Arquus, spécialiste des blindés légers, allaient installer, cet été, en Ukraine, des ateliers de réparation et de production de pièces détachées. Une dizaine d’industriels ukrainiens ont pu se déplacer pour participer à la manifestation.

80 % des armements achetés hors d’Europe

Fait notable, les industriels américains sont venus en force. Avec 165 entreprises, les États-Unis se classent au premier rang des exposants étrangers et sur la deuxième marche du podium, derrière la France (674 exposants) et devant l’Allemagne (137) sur un total de 2 000 exposants (+ 20 % par rapport à l’édition 2022). Une présence massive, qui reflète le poids croissant des armements américains achetés par l’Europe, dont le budget défense a augmenté de 20 %, à 300 milliards d’euros depuis février 2022. « Depuis 2008, 60 % des achats des pays européens étaient réalisés hors d’Europe. En 2022 et 2023, c’est 80 %, dont deux tiers auprès de l’industrie d’armement américaine », relève Aymeric Gobilliard, « partner » au cabinet AlixPartners à Paris.

Disposant de stocks prêts à être livrés rapidement, les industriels américains raflent des commandes. « Nous avons perdu des contrats avec des pays de l’est de l’Europe, pour qui la rapidité de livraison l’emportait sur le prix », rappelait récemment le ministre des Armées. La Pologne notamment a acheté de nombreux armements américains, notamment 488 lance-roquettes Himars, en 2023, et en mai dernier plusieurs centaines de missiles de croisière JASSM-ER fabriqués par Lockheed Martin. Les Américains ne se contentent pas de vendre, ils vont bientôt produire en Europe. Ainsi, c’est Comlog, coentreprise entre Raytheon et le missilier européen MBDA, qui produira, outre-Rhin, les 1 000 Patriot (concurrent direct de l’Aster, produit par MBDA), commandés par le bureau d’acquisitions de l’Otan, pour le compte de l’Allemagne, des Pays-Bas, de l’Espagne et de la Roumanie, pour 5,5 milliards de dollars…

Des exemples parmi d’autres qui montrent la dépendance européenne. « Plus de deux ans après le début de la guerre en Ukraine, l’Europe n’est toujours pas en capacité de produire rapidement et en masse les équipements dont elle a besoin », relève le général Charles Beaudouin, directeur général d’Eurosatory. Pourtant, « la perception de la menace a augmenté face à la posture russe en Europe, les crises en Afrique, au Proche-Orient, aux tensions en mer de Chine et à la lutte dans les espaces cyber et informationnel », relève le général Bernard Barrera, conseiller défense terre de Thales. Avec 59 conflits armés, dont 28 en Afrique, la planète a connu, en 2023, le nombre de guerres le plus élevé depuis 1946, selon un rapport, publié le 10 juin, par l’Institut de recherche pour la paix d’Oslo.

Parapluie américain moins protecteur ?

Dans ce contexte, il est plus que temps que l’Europe « retrouve son autonomie stratégique dans la défense », martèle le général Beaudouin. Car le parapluie américain pourrait être moins protecteur à l’avenir. Dans toutes les têtes au salon, le scénario du retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, qui pourrait changer la donne en Ukraine et à l’Otan, dont le budget est financé à 70 % par Washington. « Si les États-Unis réduisaient la voilure, ce serait compliqué. Mais il ne faut pas sous-estimer les compétences de l’industrie européenne de défense. Elle doit toutefois accélérer pour combler son retard dans les drones et les missiles hypersoniques, par exemple », estime Aymeric Gobilliard. MBDA y travaille et présente au salon, Aquila, un concept d’intercepteur de missiles hypervéloces et balistiques, conçu au sein du consortium Hydis2, réunissant 14 nations européennes, afin de doter le Vieux Continent de cette capacité souveraine.

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