Gilad Carni dirige Israel Innovation Office EAU. Il est lui-même un fondateur réputé et a été pendant des années un investisseur providentiel dans des start up israéliennes qu’il a contribué à mettre sur pied, entre autres la première start up israélienne vendue à Google. Avec sa société « Innovation Israel » il montre au monde entier de quoi est capable la technologie israélienne. Au fil des années, il a connecté des centaines d’hommes d’affaires, établi des centaines de relations commerciales et permis à des délégations étrangères de mieux appréhender l’ADN particulier des start up israéliennes. Nous avons parlé avec lui du potentiel économique de l’accord avec les EAU.

Interview menée par Katharina Höftmann Ciobotaru

Israël entre les lignes (ELL) : L’accord de paix avec les Emirats Arabes Unis est considéré comme une chance en matière de coopération économique. Il est question de contrats portant sur des milliards de dollars. Cette vision est-elle réaliste ?

Gilad Carni : Ce montant est définitivement réaliste et l’accord change tout, mais nous avons maintenant passé le cap de la lune de miel. Au début, de nombreux Israéliens croyaient qu’il leur suffisait de prendre un billet d’avion pour les Emirats pour se voir attribuer une somme d’argent énorme après présentation d’un argumentaire d’une demi-heure et qu’ils avaient ensuite quartier libre pour s’amuser à Dubaï. Mais les choses ne se sont pas passées ainsi. Là-bas non plus l’argent ne tombe pas du ciel. Les investisseurs des EAU sont très avisés. Ils savent parfaitement ce qu’ils font. Maintenant que la première excitation est retombée, on peut passer aux affaires sérieuses.

ELL : C’est-à-dire ?

Gilad Carni : Tout d’abord, il existe un nombre incalculable de possibilités pour des sociétés israéliennes déjà bien établies mais pas encore représentées dans la région ou seulement par le truchement de firmes européennes, ce qui complique notablement les choses. Les EAU offrent, avant tout, l’accès à un marché beaucoup plus vaste englobant entre autres l’Arabie Saoudite, le Sultanat d’Oman, le Koweit ainsi que des pays d’Asie avec lesquels Israël n’a pas encore de relations officielles. Via des agences à Dubaï ou des joint ventures avec des sociétés émiraties, tous ces marchés seront beaucoup plus faciles à pénétrer et à moindre coût, ce qui sera également bénéfique à des PME israéliennes qui n’avaient pratiquement pas la possibilité de prospecter ces marchés jusqu’ici.

L’intérêt est immense dans de nombreux secteurs

ELL: Pouvez-vous nous citer des exemples de contrats déjà conclus ?

Gilad Carni : Je ne peux évidemment pas vous parler en détail des contrats conclus par notre entremise mais nous avons, par exemple, aidé une société israélienne dans le secteur agricole à vendre les capteurs qu’elle a développés à l’Emirat Fudschaira pour la culture du riz dans le désert. Nous avons également permis l’exportation de dattes dans un pays asiatique avec lequel Israël n’a pas de relations officielles. Le conteneur a été reconditionné et de nouveaux documents ont été établis.

ELL: Quels sont les développements israéliens dont les EAU pourraient particulièrement profiter ?

Gilad Carni : Pendant la pandémie, les EAU ont commencé à réfléchir au fait qu’ils sont extrêmement dépendants des importations. Nos solutions les intéressent car ils veulent devenir plus autonomes. Mais globalement ils sont intéressés par de nombreux secteurs, tant la cybersécurité que la fintech. Il ne faut pas oublier que les EAU sont eux-mêmes très développés. Ceci dit, il n’en reste pas moins que nous pouvons leur proposer de nombreuses solutions.

ELL : Comment Israël peut-il profiter de contrats avec les EAU ?

Gilad Carni : En fait, les développements des entrepreneurs israéliens sont toujours destinés à des marchés hors d’Israël car le marché intérieur est trop restreint pour présenter un réel intérêt. Les Israéliens sont conscients de la qualité de leur capital humain mais ils se concentrent traditionnellement sur les Etats-Unis, également parce que la culture commerciale américaine est proche de la leur. L’accès à de nouveaux marchés bien plus que l’obtention de capitaux rend les relations avec les EAU particulièrement passionnantes.  En effet, les entrepreneurs israéliens ne manquent pas de capitaux. Alors que par le passé c’était les fonds de capital-risque (VCs) qui interviewaient les entrepreneurs, c’est maintenant le contraire qui se produit. Les entrepreneurs israéliens disposent de nombreuses options pour obtenir de l’argent, tous les grands VCs internationaux sont intéressés par Israël.  Nous avons plusieurs entreprises comme Coca-Cola ou Barclay qui sont à la recherche d’investissements intéressants en Israël.

Des cultures commerciales très différentes

ELL : Vous avez parlé de la culture commerciale des Etats-Unis. Comment les Israéliens s’adaptent-ils à la culture commerciale des Arabes ?

Gilad Carni : Au début, de nombreux Israéliens ont été surpris. En Israël, on conclut rapidement les affaires et on se concentre sur les faits. Dans les Emirats, les processus sont très différents, on ne conclut pas d’accord en une journée. Il faut rester au moins une semaine, on est invité chez son éventuel partenaire, on fait la connaissance de sa famille, le but est de créer une véritable relation. Quatre-vingts pour cent des entretiens n’ont rien à voir avec les affaires. Tout cela est très inhabituel pour les Israéliens.

ELL : Existe-t-il d’autres obstacles que doivent franchir les entrepreneurs israéliens pour conclure des accords commerciaux dans les EAU ?

Gilad Carni : La politique n’entre pas en ligne de compte si c’est à cela que vous faites allusion. Nous entretenons dans les Emirats des contacts au niveau de management le plus élevé avec des personnes venant de Syrie, du Liban et d’autres pays avec lesquels Israël est en guerre. Parfois, ces dirigeants ne veulent pas de communiqué de presse mais derrière les portes closes les Israéliens et leurs technologies sont amplement reconnus et respectés. Après la dernière guerre, un certain silence radio a été de mise, mais rien de très méchant, les choses vont revenir à la normale. D’ailleurs, nous faisons depuis des années des affaires dans la région mais depuis les accords d’Abraham, qui nous ont également surpris, nous pourrons les faire ouvertement. Depuis ces accords, notre téléphone ne cesse de sonner. Chaque jour, je reçois d’innombrables demandes via Linkedin. Un immense champ de possibilités s’ouvre à nous.

ELL :  Par exemple ?

Gilad Carni : Une ligne de chemin de fer du port de Haïfa au port de Dubaï. Cela n’a rien d’une utopie. Une telle liaison permettrait à l’Europe via Israël d’être beaucoup mieux connectée au marché asiatique.

C’est aux mères juives qu’Israël doit son ADN particulier en matière de start up

 ELL : Vous fûtes vous-même pendant des années investisseur et entrepreneur. L’une des sociétés dans laquelle vous avez mis des fonds en tant qu’investisseur providentiel a été la première firme rachetée par Google. Vous travaillez maintenant depuis des années à connecter des entrepreneurs israéliens avec le monde. Que recherchez- vous comme type d’entreprise et en quoi consiste cet ADN des start up israéliennes ?

Gilad Carni : Quand nous jouons les médiateurs pour Israël avec les EAU, nous voulons évidemment que le produit ou le service fonctionne et qu’il soit déjà vendu ailleurs. En tant qu’investisseur, je m’intéressais prioritairement aux entrepreneurs eux-mêmes. Un tel voyage entraîne de nombreux changements, il faut être d’une trempe particulière, dynamique et intrépide. Et ce sont là des qualités éminemment israéliennes. Je dis toujours que les mères juives font de nous des êtres particuliers. Les Israéliens n’acceptent pas le non, ils n’ont pas peur de prendre des risques et veulent au minimum changer le monde.

https://israelentreleslignes.com

Autres informations :
Site Internet Innovation Office EAU (en anglais)
www.uaeisraelinnovation.com

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