De puissants capitalistes palestiniens prospèrent discrètement et, face au vide politique imposé par Mahmoud Abbas, ils font preuve d’une forte influence politique, économique et sociale qui s’exprime par le lancement de grands projets, symboles de normalisation économique. Comme d’ailleurs leurs homologues israéliens, ils refusent d’entrer dans la politique active pour préférer le combat au sein des Conseils d’administration de sociétés. Sans complexes, ils collaborent d’égal à égal avec le partenaire commercial israélien bien que leurs dirigeants les qualifient de «puissance occupante».

Welfare association

Les hommes d’affaires palestiniens ont toujours joué un rôle dans le mouvement national, avant même la fondation de l’OLP bien que le Fatah les qualifiât péjorativement de «bourgeoisie nationale». Les leaders palestiniens acceptaient leurs financements et leur offraient en remerciements quelques postes de premier plan dans l’OLP. Certains, dans les années 1980, ont favorisé le dialogue entre l’OLP et le régime jordanien et ont créé la Welfare Association pour venir en aide aux Palestiniens sur le plan éducatif et socio-économique.

Walfare association

Les accords d’Oslo de 1993 ont boosté leur importance. Beaucoup de bourgeois enrichis dans les Pays du Golfe et les Amériques ont choisi de réintégrer la Cisjordanie pour côtoyer les grands propriétaires fonciers et les «nouveaux riches», sous-traitants de compagnies israéliennes. Les hommes d’affaires, qui avaient misé sur la stabilité acquise par Oslo, garantissant leurs profits, ont alors soutenu la création d’un État palestinien avec l’espoir de le transformer en Singapour du Moyen-Orient. Ils ont été à l’initiative de l’article 21 de la loi fondamentale palestinienne qui a statué que «le système économique en Palestine est basé sur les principes d’une économie de marché libre».


L’Autorité a donc choisi le néo-libéralisme et le service privé qui ont cependant favorisé et renforcé la corruption à la suite du copinage entre les hommes d’affaires puissants et l’élite politique. Elle ne se rendait pas compte des effets négatifs sur l’économie qui entravaient la compétitivité du marché et excluaient l’accès de la majorité de la population à des opportunités économiques significatives. Les capitalistes, avec leur argent, ont réussi à exercer une influence sur les politiques gouvernementales en enrichissant les politiciens. Quelques individus ont transformé le projet national en intérêt personnel.

 

Des monopoles se sont constitués sur l’importation de produits clés comme la farine, le sucre, l’huile, les viandes congelées, les cigarettes, les animaux vivants, le ciment, les agrégats, l’acier, le bois, le tabac et le pétrole. Ces monopoles ont aggravé la corruption de l’Autorité qui, paradoxalement, a favorisé les entreprises proches des entreprises israéliennes. Des anciens responsables politiques et militaires israéliens sont devenus, après leur retraite, des partenaires commerciaux des capitalistes et des élites politiques palestiniens, à l’instar de l’ancien ministre Yossi Beilin. En échange, Israël a accordé à une caste des privilèges spéciaux et une grande liberté de mouvement et de commerce.

La nomination au poste de premier ministre de Salam Fayyed avait permis aux hommes d’affaires et aux technocrates pro-capitalistes d’occuper des postes ministériels. C’est d’ailleurs lui qui avait imposé une réforme du système bancaire poussant à une politique capitaliste croissante qui avait permis de contracter des emprunts à long terme de 4,2 milliards de dollars en 2013, avec un intérêt annuel de 200 millions de dollars, entraînant un endettement public très élevé. Mais le mystère reste entier sur l’usage qui a été fait de ces sommes empruntées.

 

Cela n’a cependant pas permis de se rapprocher des normes sociales israéliennes puisque le salaire minimum palestinien reste bas à 2.000 shekels par mois face aux 5.300 en Israël. Les travailleurs n’ont pas le choix, c’est cela ou le chômage, a fortiori lorsque le syndicalisme palestinien n’est pas développé ou inexistant. Les activités conjointes dans les zones industrielles mixtes se développent en même temps que les investissements palestiniens se développent en Israël et dans les territoires avec en particulier une gestion conjointe des ressources en eau.

 

Les projets conjoints israélo-palestiniens sont à la base de la normalisation. C’est le cas de la nouvelle ville de Rawabi en Cisjordanie qui a été construite par une dizaine d’entreprises israéliennes qui ont favorisé l’enrichissement des entreprises privées palestiniennes. Les zones industrielles intègrent des capitaux palestiniens, israéliens et régionaux générant de multiples emplois pour la main d’œuvre. Une grande collaboration s’est installée entre entrepreneurs palestiniens et sociétés israéliennes de haute technologie. L’entreprise Sadara basée à Ramallah a été cofondée par Saed Nashef et Yadin Kaufmann et est dirigée par des experts israéliens et palestiniens en matière d’innovation technologique et de services Internet. Plusieurs jeunes Palestiniens dans le domaine de la haute technologie travaillent avec leurs homologues israéliens.

 

Les intégristes politiques de la cause palestinienne s’inquiètent de la normalisation économique avec Israël car ils craignent pour leurs aspirations nationales. L’Autorité n’a pas mis en place des mécanismes pour contraindre les capitalistes palestiniens à rendre des comptes face aux sommes énormes qui sont en jeu. Elle n’a pas trouvé la méthode pour œuvrer pour une juste redistribution de la richesse nationale et pour une bureaucratie au service d’une politique économique et démocratique. Mais pour cela, les Palestiniens ont besoin d’un leadership moderne qui songe d’abord aux intérêts de la population et non pas à ceux d’une classe privilégiée.

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