1. Alors que l’Etat d’Israël est créé en mai 1948, l’idée d’une Constitution israélienne est écartée d’emblée pour deux raisons: d’une part, les partis orthodoxes, qui considèrent que la seule Constitution pour un Etat juif est la Torah, s’y opposent. D’autre part, David Ben Gourion, le père fondateur d’Israël, n’est pas enthousiaste à l’idée d’être « otage » d’une Constitution pour gouverner un Etat menacé de destruction depuis le premier jour de son existence.

2. A défaut de Constitution, le Parlement israélien (Knesset) vote, au fil des ans, des lois fondamentales qui représentent « le socle » d’une future Constitution.

3. Jusqu’en 1992, la Cour suprême israélienne fait office « uniquement » de Cour de cassation et veille à la séparation des pouvoirs. Elle bénéficie d’un très large consensus au sein de l’opinion publique.

4. En 1992, le ministre de la Justice Dan Méridor (Likoud), et le professeur en Droit et ancien ministre Amnon Rubinstein (centre), lancent un projet de loi fondamentale sur les droits et libertés de l’Homme. La loi est validée (le 17 mars) par une majorité relative de 32 députés, contre 21 qui s’y opposent (sur les 120 que compte la Knesset). Cette loi, présentée comme un « bouclier de protection du citoyen », va servir de facto de tremplin à la révolution juridique du pays, chapeautée par le professeur Aaron Barak.

5. En 1995, le juge Aaron Barak devient ainsi, à 49 ans, le plus jeune président de la Cour suprême. Considéré comme ultra-libéral, il est un virtuose du Droit constitutionnel et il va, avant tout, élever la loi sur les Droits de l’Homme au rang de « Loi constitutionnelle ». Il va ensuite révolutionner le monde juridique en Israël, en prônant un activisme juridique à outrance. Sa devise est simple : « Tout est judiciable ! ».

6. La révolution Barak va permettre à la Cour suprême de « se mêler de tout ». Elle statue sur des milliers de recours déposés par des citoyens israéliens mécontents, ou même par des Palestiniens contestataires ! La Cour va désormais siéger essentiellement comme Haute Cour de Justice. Mais son activité la plus controversée est celle qui lui permet de « casser » des lois ou des amendements votés par le Parlement, sous prétexte qu’ils vont à l’encontre de la loi sur les Droits du citoyen. Au cours des vingt-cinq dernières années, plus d’une vingtaine de lois votées par la Knesset sont cassées par la Cour qui les juge anticonstitutionnelles.

7. Précision importante : de 1996 à nos jours, la Knesset est, à quelques exceptions près (1999-2001, 2006-2008), conduite par une majorité de droite nationaliste (Likoud) épaulée par les partis orthodoxes et les partis sionistes religieux, avec à sa tête l’adversaire numéro un de la gauche israélienne: un certain Benjamin Netanyahou… La Cour ne cache pas vouloir se poser en contre-pouvoir pour palier l’absence de Constitution et de seconde chambre dans le pays.

8. Les juges sont désignés par une commission composée de neuf membres : trois juges, deux avocats au barreau, deux ministres et deux députés, dont un de l’opposition. Les juges membres de la commission ont un droit de veto. De facto, sous le « règne » d’Aaron Barak, la Cour suprême israélienne va devenir un forum de juges « façonnés » dans le moule de l’ultra-libéralisme qui lui est si cher. Et même si la droite conservatrice et les religieux/orthodoxes gouvernent, on ne compte que très peu de juges conservateurs au sein de la Cour. C’est donc l’impact dominant de ce « contre-pouvoir non-élu par le peuple et non représentatif » que le pouvoir politique dénonce.

9. Sur le plan international, la Cour suprême jouit d’un prestige et d’une excellente réputation, en particulier grâce à ses verdicts favorables aux Palestiniens.

10. Sur les quinze juges que compte la Cour, seuls deux sont d’origine sépharade, un seul est arabe (20% de la population) et pas un seul n’est orthodoxe (12-15% de la population) ! La majorité est d’origine ashkénaze, appartient à l’élite du pays, et ses membres sont laïcs pour la plupart. Durant le mandat d’Ayelet Shaked au ministère de la Justice entre 2015 et 2019, plusieurs juges conservateurs ont tout de même fait leur entrée à la Cour Suprême, mais ils restent minoritaires.

11. Plusieurs ministres de la Justice ayant tenté de tempérer l’activisme juridique d’Aaron Barak ont été écartés de leurs fonctions après que le Parquet ait publié des soupçons d’infraction contre eux. Des soupçons qui s’avèreront finalement faux.

12. L’idée d’une réforme du système juridique visant à réduire le pouvoir de la Cour suprême se développe rapidement dans l’esprit de Benjamin Netanyahou et de ses lieutenants. Mais les coalitions gouvernementales qu’ils forment incluent toujours une formation modérée et centriste (Travaillistes, Koulanou) qui fait obstruction au moindre changement du statu quo.

13. Les poursuites entamées contre Benjamin Netanyahou en 2016 et l’ouverture de son procès en mai 2020 ont un effet catalyseur sur la volonté, au sein du Likoud, de développer une réforme. La victoire de la droite nationaliste et religieuse lors des élections du 1er novembre 2022 permet, pour la première fois, d’envisager la mise en oeuvre de la réforme.

14. Le député Likoud Yariv Levin, très proche de Benjamin Netanyahou, et qui avait présenté pour la première fois sa réforme du système juridique en 2011, pose comme condition à son entrée dans l’actuel gouvernement d’être nommé ministre de la Justice, avec une carte blanche pour concrétiser sa réforme.

15. Le 5 janvier 2023, Yariv Levin présente aux Israéliens la première étape de son plan de réforme du système juridique.

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