Johanna Afriat pour i24News (Copyrights).

Les années se succèdent mais le constat, comme une rengaine, reste le même. Qu’il s’agisse de François Hollande en 2013, d’Emmanuel Macron en 2015 ou de Bruno Le Maire en 2017, les derniers dirigeants français à s’être rendus en Israël ont chacun conclu leur visite en déclarant que les échanges commerciaux entre l’Hexagone et l’Etat hébreu étaient insuffisamment développés. Et tous ont fait le vœu, avant de reprendre l’avion, d’œuvrer pour remédier à ce qu’ils ont décrit comme une anomalie chronique.  

Seulement voilà : près d’une décennie après le voyage du président Hollande en Terre sainte, au cours duquel le chef d’Etat n’avait pas tari d’éloges face aux réussites économiques du pays, force est de constater que les noces commerciales annoncées n’ont toujours pas eu lieu. 

Certes, le volume des échanges entre les deux pays a augmenté de 6,8% en 2019, atteignant le record de 2,84 milliards d’euros : un bond significatif, si l’on considère que celui-ci n’avait progressé que de 2,1% par an en moyenne entre 2008 et 2018. Les Israéliens ont ainsi acheté encore plus de véhicules, de matériel électronique, électrique ainsi que de produits cosmétiques fabriqués dans l’Hexagone; les Français, de leur côté, ont confirmé leur intérêt pour les équipements mécaniques, le matériel électronique et informatique made in Israël, ainsi que les fruits locaux. La part des services, portée à 30% en 2019, est quant à elle de plus en plus importante dans les transactions entre les deux pays.  

Soulignons aussi que d’importants accords ont été conclus ces dernières années dans l’Etat hébreu par quelques grands groupes français comme la SNCF, Alstom, ou encore EDF Energies nouvelles, tandis qu’un certain nombre de partenariats technologiques – notamment dans le domaine des drones – se sont noués, et que des enseignes comme Décathlon se sont solidement implantées en Israël. Côté israélien, une cinquantaine d’entreprises blanc bleu installées dans l’Hexagone emploient quelque 1.500 personnes. Parmi elles, les 600 employés du fabricant de sous-vêtements Eminence racheté en 2018 par Delta Galil, qui a réalisé l’un des rares investissements directs d’une société israélienne sur le sol français.   

Il n’empêche, cependant, que les chiffres peinent à décoller véritablement. La France stagne depuis des années au 10e rang parmi les fournisseurs d’Israël, avec une part de marché qui a même accusé un léger recul en 2019 par rapport à l’année précédente. Quant à l’Etat hébreu, 16e exportateur de services dans le monde, il n’est que le 50e fournisseur de l’Hexagone (biens et services confondus). Des lacunes ainsi résumées dans le rapport du Trésor français de 2019 sur les échanges bilatéraux : « Les échanges commerciaux entre les deux pays ne sont ni à la mesure du poids économique de la France, ni à la mesure du niveau de développement d’Israël ». 

Des écueils structurels

Ces freins dans les échanges franco-israéliens ont plusieurs origines selon Daniel Rouach. La barrière linguistique, tout d’abord. Les Israéliens, qui maîtrisent généralement très bien l’anglais, se tournent plus naturellement vers les pays anglo-saxons lorsqu’il s’agit de faire des affaires. Et il n’est un secret pour personne que les patrons des PME françaises sont loin d’être des champions des langues étrangères. 

La barrière culturelle est également non négligeable : on ne conclut pas des contrats en Israël de la même manière qu’on le fait en France. « Les Israéliens ont une perception très opaque du milieu des affaires dans l’Hexagone, ils ont beaucoup de mal à l’appréhender. Ils comprennent mal par exemple l’importance des réseaux d’affaires ou des réseaux universitaires français ». Arié Bensemhoun, le directeur exécutif d’Elnet, une organisation qui œuvre au renforcement des relations bilatérales entre Israël et l’Europe, explique pour sa part que lorsqu’il s’agit de négocier, les Français s’inscrivent dans la durée, tandis que les Israéliens sont des « deal makers » : ils foncent et sont dans l’action immédiate, ce qui les rapproche encore naturellement des Anglo-saxons. 

Les obstacles administratifs ainsi que ceux posés par certaines instances françaises telle la pointilleuse CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés), qui empêche nombre de logiciels et outils technologiques de pénétrer le marché hexagonal, constituent d’autres écueils importants, explique Arié Bensemhoun à i24NEWS. Côté israélien, l’ouverture du marché continue à pâtir de la réglementation très stricte sur les importations, et du problème récurrent des monopoles.

Autant d’obstacles structurels, donc, que les parties peinent à surmonter pour faire véritablement exploser les échanges. « Contrairement à ce qu’on croit souvent, les Israéliens aiment beaucoup la France mais ils la voient avant tout comme une destination touristique et culturelle, et non pas comme un pôle économique », affirme le président de la CCIIF. Il en veut pour preuve le test qu’il avait fait passer à des étudiants israéliens en MBA à l’Institut du Technion, leur demandant de citer des noms d’entreprises françaises. « A part Renault, Peugeot et le Club Med, ils n’en connaissaient aucune », regrette Daniel Rouach. 

Un manque d’engagement véritable

Mais au-delà de ces difficultés, ce qui est surtout pointé est le manque d’efforts de la part des acteurs institutionnels pour développer le commerce bilatéral. « Le problème de la France réside dans un sous-investissement et un sous-financement pour s’ancrer dans le marché israélien, tandis que l’Etat hébreu, pour sa part, se tourne spontanément vers les Etats-Unis, ou d’autres pays d’Europe comme l’Allemagne, avec laquelle il entretient un lien particulier », dit le président de la CCIIF. Pour changer la donne, ce dernier souhaiterait notamment organiser un tour de France des grandes entreprises à l’adresse des hommes d’affaires israéliens.  

Arié Bensemhoun note de son côté l’absence de suivi nécessaire pour permettre de traduire l’expression des bonnes volontés en réalité concrète. Il raconte à ce propos avoir participé à un déjeuner réunissant l’ancien Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, plusieurs patrons du Cac 40 ainsi que le ministre français de l’Economie, Bruno Le Maire, au cours duquel celui-ci avait proposé, très enthousiaste, de débloquer un budget de 80 millions d’euros pour développer les échanges entre l’Hexagone et l’Etat hébreu. Une rencontre qui n’a toutefois pas été suivie de résultats en raison du manque de « follow up » par des intermédiaires pertinents, affirme le directeur exécutif d’Elnet. « Les relations bilatérales souffrent d’un manque d’acteurs et d’interlocuteurs vraiment efficaces », dit-il à i24NEWS, soulignant que les échanges économiques franco-israéliens pourraient être facilement doublés, voire triplés, particulièrement dans les domaines du cyber, de l’information ou de l’environnement. « Israël et la France possèdent tous deux des économies modernes, libérales et tournées vers l’innovation, qui ont une vocation naturelle à collaborer et à se potentialiser mutuellement », dit-il.

Collaboration renforcée à l’ère post-Covid ?  

La véritable embellie dans les échanges franco-israéliens pourrait venir d’une collaboration féconde entre startups. C’est en tout cas le souhait réitéré du président français Emmanuel Macron, qui lorsqu’il était ministre de l’Economie avait été à l’origine de l’implantation de la French Tech à Tel-Aviv, dont l’objectif est de créer des ponts entre les écosystèmes technologiques des deux pays. Dans la perspective d’une numérisation effrénée de l’économie à l’ère post-Covid, Israël est plus que jamais perçu par la France comme un partenaire stratégique de premier plan, capable de lui offrir les clés de sa résilience économique. Et dans ce contexte de dynamisation des partenariats franco-israéliens 2.0, c’est Erel Margalit qui pourrait bien faire figure d’homme providentiel. L’homme d’affaires israélien, fondateur et président du fonds d’investissement Jerusalem Venture Partner (JVP), s’apprête en effet à établir un hub d’innovation à Paris, à l’image de ceux qu’il a déjà mis en place à Jérusalem et New York. Avec pour objectif de faire de la capitale française un centre d’innovation européen majeur. 

Identifier les freins aux échanges bilatéraux revient immanquablement à se demander si l’image d’Israël, souvent façonnée à l’aune du conflit israélo-palestinien, n’est pas l’un d’eux. « Ce n’est plus le cas », affirme Daniel Rouach, qui assure que les Français font désormais la part des choses, et qu’ils ne sont pas prêts à sacrifier des échanges économiques féconds avec la « Startup Nation » au nom de divergences politiques ou idéologiques. Il mentionne toutefois que les sociétés israéliennes qui réussissent dans l’Hexagone font plutôt profil bas, par peur d’un éventuel boycott. 

Arié Bensemhoun se montre plus timoré. S’il relève une véritable évolution des mentalités, il note également que de nombreux entrepreneurs français se posent encore la question du « qu’en dira-t-on », et de l’influence que ces deals auront sur l’image de leur société, d’autant plus à l’ère du diktat des réseaux sociaux. « Le véritable changement doit venir de l’establishment politique français, qui doit assumer une relation totalement décomplexée avec Israël en tant que pays allié et ami. Le reste suivra », assure-t-il. 

Plus globalement, le directeur exécutif d’Elnet est convaincu que c’est l’Union européenne dans son ensemble qui doit renforcer ses liens avec Israël sur le plan économique, mais aussi stratégique. Si l’Europe est déjà le premier partenaire commercial de l’Etat hébreu, il est important selon lui qu’elle s’engage dans une véritable alliance avec le Moyen-Orient dessiné par les accords d’Abraham, pour faire la différence face aux géants chinois et américain, et relever les défis actuels. 

« Le terrorisme islamiste, l’immigration clandestine et l’émergence d’idéologies dangereuses menacent le rêve européen. C’est également la première fois dans l’histoire de l’humanité que toutes les crises sont conjuguées : crise sanitaire, environnementale, économique, sécuritaire etc. Cette situation inédite nécessite de rebattre les cartes et de se repositionner sur l’échiquier mondial », dit Arié Bensemhoun. « Le Goliath européen a besoin du David israélien. Il en va de sa survie. »

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